"Le maire, c'est l'élu qui est à portée de baffes". Depuis quelques semaines, le célèbre dicton a plus que jamais été confirmé par l'actualité politique. Maison incendiée à Saint Brévin, voiture bélier à L'Haÿ-les-Roses, la violence est montée d'un cran et les édiles, en Normandie comme ailleurs, en ont leur claque d'être en première ligne de la République. Le gouvernement a donc annoncé hier un plan de prévention pour protéger les élus. Mais il n'est pas à la hauteur des enjeux selon plusieurs maires normands.
C'est Dominique Faure, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, qui s'est vue confier la mission de jouer les émissaires de paix. Le vendredi 7 juillet, elle a été chargée devant le Congrès des villes de France, au Creusot, de présenter le plan prévention et de lutte contre les violences faites aux élus (disponible en ligne ici).
Alors que contient ce plan? En tout, ce sont 12 mesures qu'entend mettre en oeuvre l'État. Elles se répartissent dans 4 grands axes d'action :
La protection des élus
La protection fonctionnelle sera accordée automatiquement aux élus en cas d'outrages, de menaces ou de violences. Les frais de procédure pénale ainsi que les restes à charge des assurances seront pris en charge par l'État et un accompagnement psychologique à destination des élus victimes de violences sera mis en place.
La prévention des violences
Un système d'alarme individualisée sera mis en place. Il permettra à chaque élu d'être en possession d'un dispositif permettant en cas de menace d'être géolocalisé et donner l'alerte aux services de l'ordre plus rapidemment. L'État propose par ailleurs de prendre en charge une partie des frais de déploiement de la vidéosurveillance sur la voie publique ou sur les locaux de fonction des élus.
Des sanctions plus dissuasives
Les agressions d'élus seront sanctionnées de la même manière que celles des personnels en uniforme (jusqu'à 7 ans de pris et 100 000 euros d'amende) et une circonstance aggravante sera créée pour les cas de harcèlement contre les élus locaux. Les délais judiciaires seront par ailleurs raccourcis.
Une meilleure communication entre la Justice et les élus
Un protocole sera créé avec pour but de simplifier les liens entre les maires et le Procureur de la République. Des formations sur l'univers judiciaire seront par ailleurs proposées aux élus.
Un plan à la hauteur des attentes?
"Cela va dans le bon sens, s'enthousiasme d'abord Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime) et Président de l'Association des Petites Villes de France. C’est vrai que ça permet de voir qu’on prend en considération ce qui se passe depuis plusieurs mois et qui s’est aggravé depuis les récents événements. [...] Mais il est trop tot pour juger de leur efficacité."
Et trop tôt pour savoir si l'enveloppe allouée à ce plan sera suffisante. Avec seulement 5 millions d'euros, difficile en effet d'imaginer comment l'Etat pourra se donner les moyens de ses ambitions auprès d'environ 35 000 communes, et 1200 communautés de communes. "Nous savons déjà que les 3 millions d'euros alloués au déploiement de la vidéosurveillance ne seront pas suffisants pour équiper toutes les communes qui le souhaitent, souligne Christophe Bouillon, il faudra plus de moyens."
Violences contre les élus : un phénomène qui n'a rien de nouveau
Depuis sa présentation, le plan proposé par le gouvernement est soumis à de vives critiques de la part des élus. Au delà du scepticisme quant aux moyens d'application de ces mesures, c'est surtout le timing de l'annonce qui est dénoncé, alors que le nombre des faits de violences envers les élus ne fait qu'augmenter d'année : +32% entre 2021 et 2022 à l'échelle de la France.
C’est vrai que ça arrive un peu tard. Cela fait 4 ans qu’on demande à ce qu’il y ait de la part des pouvoirs publics un accompagnement beaucoup plus fort auprès des élus. Je pense qu’on aurait pu prendre les bonnes décisions un peu plus tôt, ce qui aurait permis d'éviter de voir autant d’élus démissionner (ndlr, au total environ 5000 élus ont démissionné depuis 2020). Ils ont jeté l’éponge tout simplement parce qu’ils considéraient que ça ne valait pas le coup de servir la République et de prendre tous les coups.
Christophe Bouillon, Président de l'Association des Petites Villes de France
"Qui a peur du gendarme aujourd'hui?" conclue l'édile de Barentin. "La peur, elle est plutôt du côté des élus, ce qui n'est pas normal. Il faut inverser ce rapport."
La peur, c'est ce qu'a ressenti Hervé Glezgo le 28 juin 2022. Ce jour-là, alors qu'il tente de jouer les juges de paix entre deux de ses administrés, le maire de Bazincourt-sur-Epte (Eure) s'est violemment et volontairement fait renverser par l'un des deux protagonistes de l'altercation. L'homme fera même demi tour pour revenir au niveau de l'édile, mis à terre après le choc, pour lui dire "je sais très bien que tu es le maire".
Une réponse pénale pas assez ferme
Si l'auteur des faits a été condamné à 7 mois de prison ferme, Hervé Glezgo dénonce une prise en charge judiciaire insuffisante. "Mon agresseur avait déjà eu des rappels à la loi notamment après des premiers faits de menace à l'été 2020. Mais cela n'a pas été assez dissuasif pour lui. Il aurait fallu une réponse beaucoup plus ferme."
En guise de réponse plus ferme, l'édile souscrit à la proposition de deux sénateurs de l'Eure, Hervé Maurey (Union Centriste) et Kristina Pluchet (Les Républicains), de rétablir des peines planchers pour les auteurs de ce type d'infractions. "Il y a une question de civisme qui ne fait que se dégrader, s'exaspère le maire de . C'est préoccupant pour l'avenir de la fonction de maire. Il faut être intransigeant avec ces faits là."
De l'intransigeance, Hervé Glezgo n'en voit pas dans le plan proposé par le gouvernement. Il ne s'agit, selon lui, que d'un effet d'annonce avec des mesures qui dans la pratique ne viendront pas soutenir les collectivités : "Les demandes de subventions seront vraisemblablement des usines à gaz à mettre en place. Cela restera donc à la charge des communes, parce que les services de l'État n'ont tout simplement pas les moyens de protéger les élus".
Les réseaux sociaux comme catalyseurs des violences?
Par ailleurs, d'autres mesures sont totalement absentes du plan. Notamment concernant la prévention contre le cyberharcèlement, qui n'est pas évoquée par cette proposition gouvernementale. Ces menaces en ligne sont pourtant devenues, avec les années, l'une des principales craintes des élus.
Mari-Lyne Vagner, la maire de Bernay (Eure), a ainsi du porter plainte mercredi 5 juillet dernier, après qu'un individu a prétendu sur les réseaux qu'il allait incendier sa voiture. L'homme de 31 ans a été dès le lendemain condamné à 6 mois de prison avec sursis et un stage de citoyenneté. Si l'élue est parvenue à faire entendre sa voix dans ce cas précis, elle considère que dans de nombreuses affaires similaires, les auteurs d'agressions en ligne ne sont jamais punis par la Justice. Elle dénonce un manque de contrôle sur Internet.
En Normandie, comme partout sur le territoire, le gouvernement a donc encore fort à faire pour convaincre de l'efficacité de son action contre les violences envers les élus.