Bettina Zourli et Laurie Rivière signent un guide cash et didactique sur les règles. En 200 pages illustrées, les deux jeunes femmes abordent avec légèreté mais sans pudeur, ce sujet toujours tabou.
C'est un livre à mettre entre toutes les mains. "Sang Honte" de Bettina Zourli, illustré par Laurie Rivière, est paru le 19 mai. Présenté comme "un guide qui propose de nouvelles règles", il s'attaque aux tabous des menstruations et démonte quelques idées reçues, de façon très didactique, un brin féministe mais non sans humour.
Bettina Zourli, figure du mouvement Childfree, est la créatrice du compte instagram jeneveuxpasdenfant qui compte plus de 16.000 abonnés ; elle a 29 ans et vit à Bruxelles, en Belgique. Laurie Rivière est illustratrice professionnelle ; âgée de 30 ans, elle réside à La Rochefoucauld, en Charente. C'est leur première collaboration.
France 3. Les femmes ont leurs règles depuis la nuit des temps. On pourrait penser que tout a déjà été écrit sur le sujet. On se tromperait ?
Bettina Zourli. Oui, j'en ai peur. Je le dis d'ailleurs dès le début du livre : si des gens se demandent pourquoi on écrit encore sur les règles, il faut qu'ils sachent qu'il y a toujours énormément de désinformation. On est loin de savoir tout ce qu'il y a à apprendre sur ce sujet qui est pourtant naturel et existe depuis la nuit des temps. Beaucoup de femmes ne connaissent pas leur cycle, ne savent pas comment ça fonctionne ou s'inquiètent pour rien parce qu'on ne leur donne pas les bonnes informations, donc je pense qu'il y a encore beaucoup à écrire.
Laurie Rivière. Comme beaucoup de filles de ma génération, j'ai pris la pilule très tôt et c'est en l'arrêtant que j'ai découvert mon corps et le fait d'avoir mes règles. Donc, oui, il y a encore énormément de choses à apprendre.
France 3. Cela veut dire que quand vous étiez dans l'adolescence, vous n'avez pas eu de réponses à vos questions ?
Bettina Zourli. Exactement. Comme Laurie, j'ai pris la pilule très jeune, j'avais 13 ans et je l'ai arrêtée à 26 ans. Et pendant toutes les premières années de ma vie menstruée, je ne savais pas comment ça marchait puisque mon cycle était artificiellement créé par la contraception hormonale. J'ai découvert très tard qu'on pouvait ressentir l'ovulation , qu'il y avait différentes phases dans un cycle, qu'on avait des sautes d'humeur... Mon gynécologue ne m'avait jamais expliqué comment fonctionnait la contraception et mes cycles. Et à l'école, le sujet est inexistant, ou très peu existant. Alors franchement, à moins d'avoir un milieu familial très ouvert sur la question, c'est très difficile d'avoir accès à l'information.
Laurie Rivière. Moi j'ai eu de la chance : ma grande soeur est sage-femme, elle m'a accompagnée un peu. Mais c'est vrai qu'à l'école, on parle un peu de reproduction et de préservatif, et c'est tout. La contraception féminine est à peine abordée.
France 3. Et entre femmes, on n'en parle pas non plus ?
Laurie Rivière. Je suis d'origine réunionnaise et, dans ma famille, on parle de tout ça, sans tabou. Mais cela ne sort pas du cercle familial. A mes amies proches, je peux raconter la position dans laquelle j'ai fait l'amour la veille avec mon mec, mais je ne leur parlerai pas de mes règles.
Bettina Zourli. Prenez l'exemple de l'endométriose. C'est une maladie connue depuis des décennies mais il s'écoule en moyenne 7 ans avant que celles qui en souffrent soient diagnostiquées. C'est bien la preuve qu'il y a un problème. Les femmes ont souvent entendu, et aujourd'hui encore, "les règles, ca fait mal, c'est votre lot, c'est comme ça", mais en fait, on n'a jamais vraiment pris au sérieux les douleurs menstruelles. En attendant, il n'y a aucun traitement. Il faut que les femmes se réapproprient ces sujets-là, y compris entre mère et fille, sœur ou cousine. Dans nos sociétés occidentales, le lien de transmission s'est brisé, c'est dommage.
France 3. Le sujet est à ce point tabou dans la société ?
Bettina Zourli. Beaucoup de textes religieux laissent entendre qu'une femme qui a ses règles est impure. Dans la Torah par exemple, il est écrit que la femme qui a ses règles ne doit pas dormir avec son mari pendant 7 jours. En Inde, on pense encore en 2020 qu’une femme réglée peut faire pourrir des cornichons, rien qu’en touchant le pot. Tout ça part de l'idée que le sang des règles est impur et qu'il faut absolument le cacher. C'est impressionnant.
France 3. Ces mythes et ces idées reçues, vous les démontez dans votre livre. "Non, les vagins n'ont pas de dents", "oui, on peut réussir sa mayonnaise quand on a ses règles". Ce serait à pleurer, mais vous réussissez à nous faire sourire.
Laurie Rivière. Et c'est à cela que servent mes illustrations : pour décomplexer, apporter de la légèreté et en rire. Les gens enregistrent plus facilement une information sérieuse apportée sur le ton de l'humour.
Bettina Zourli. Quand j'ai découvert la plume colorée de Laurie, je savais que c'était ça qu'il me fallait pour apporter une petite dose de fun à un sujet sérieux. Je ne voyais pas le livre autrement.
France 3. C'est un livre rigolo mais aussi très revendicatif, avec une pointe de féminisme. Vous dénoncez notamment une société où "rien n'est fait dans la sphère publique pour les femmes qui ont leurs règles"...
Bettina Zourli. Regardez les toilettes publiques ! Il n'y a pas toujours de poubelles pour déposer les serviettes jetables ou les tampons. Et rien n'est fait non plus pour nous aider à opter pour une solution moins polluante. Typiquement, si on utilise une coupe mensturelle ou une éponge, c'est la galère pour les nettoyer car très souvent, le coin lavabo est à l'extérieur de la cabine.
Laurie Rivière. Voilà. On nous pousse à utiliser des coupes ou des éponges parce que c'est meilleur pour l'environnement, mais rien n'est mis en place, donc du coup même si les femmes ont envie de passer le cap, elles n'ont pas les moyens de le faire.
Bettina Zourli. Idem pour la prise en compte des douleurs menstruelles dans le milieu de l'entreprise ; elles doivent être invisibles et silencieuses. Mais on a des hormones qui se manifestent tous les mois, on devrait les écouter !
France 3. La précarité menstruelle fait quand même partie aujourd'hui du débat public, c'est une avancée non ?
Bettina Zourli. En Ecosse, les protections périodiques sont gratuites depuis deux ans et la France va l'instaurer dans les universités en septembre grâce aux associations féministes. Mais il y a quand même une forme d'hypocrisie politique : le gouvernement dit qu'il veut agir pour l'égalité entre les genres, pour que les femmes soient mieux considérées dans la société mais cet intérêt est né parce que des associations féministes se sont mobilisées.
Laurie Rivière. C'est vrai qu'on en parle plus ouvertement aujourd'hui mais il faut se méfier de celles qui s'inventent parfois sur les réseaux sociaux des problèmes ou des maladies pour faire vendre tel ou tel produit. Moi je suis atteinte d'endométriose et ça me choque de voir que cela peut devenir un objet de marketing. Les règles sont naturelles mais ce n'est pas un sujet qu'il faut banaliser.
"Sang honte" de Bettina Zourli et Laurie Rivière est paru aux éditions Kiwi. 208 pages, 17 €.