Depuis plusieurs années, des milliers de Français sont victimes d'escroqueries sentimentales sur Internet. Ces arnaqueurs contactent des personnes en recherche ou en manque d'affection, dans l'unique but de leur soutirer de l'argent.
Tout commence par un message reçu en septembre 2017. Comme à peu près tous les matins, Nathalie envoie un post sur sa page Facebook à ses amis, du type "passez une bonne journée". "Un truc tout bête", explique-t-elle. Dans l'espace commentaires, elle voit un message d'un certain Gérald Duprez, lui répondant "des banalités" : "Je te souhaite une bonne journée, travaille bien". Au début, Nathalie ne prête pas attention à cela. "Dans un premier temps, je n'ai pas répondu parce que je ne connaissais pas cette personne". Mais comme bien souvent, la curiosité l'emporte devant l'indifférence.
Il faut dire que ce "beau jeune homme, barbu et tatoué", comme le décrit Nathalie, avait tout pour faire tomber n'importe quelle femme. Un message privé de la part de ce Gérald Duprez et c'est le début de l'idylle. "Cela a duré pendant six mois : on discutait quasiment du matin au soir, raconte Nathalie. La nuit, il m’appelait pour que je lui réponde. Il faisait sonner mon Messenger pour que je réponde à ses messages". Au bout de cette période, Nathalie se questionne et remarque quelque chose d'anormal. "J'ai découvert que, sur sa photo de profil, il s'agissait d'un ex-légionnaire roumain. Il m'avait envoyé une photo en tenue militaire, et l'on voyait marqué Burcea".
Je lui ai donné plus de 20 000 euros pendant un an et demi.
Nathalie GilletVictime d'arnaque sentimentale
En faisant ses petites recherches, Nathalie se rend compte de la supercherie. Elle découvre que la personne qui se cache derrière l'homme en tenue militaire se nomme Marin Burcea. "Je lui ai dit qu'il se faisait passer pour Gérald Duprez. Il m'a répondu : "Oui, c'est vrai, je ne peux pas donner ma vraie identité étant donné que je suis légionnaire"".
Malgré cette première alerte quant à la potentielle usurpation d'identité et l'arnaque qui se trame devant elle, rien ne change. Pendant deux ans, Nathalie et ce Marin Burcea discutent jour et nuit. C'est l'amour fou entre eux. Tous les jours, elle reçoit des messages comme "Bonjours mon cœur. Je serais connecté vers 17 h mon cœur. Prend bien soin de toi mon Cœur je t'aime" ou encore "Je t'aime vraiment mon ange. Je t'aime vraiment mon cœur".
Même l'une de ses filles pensait réellement que sa mère avait trouvé l'homme idéal. "Elle aussi, elle y croyait vraiment, vu tous les messages qu'il envoyait, les photos, et tout...".
Des demandes d'argent quotidiennes
Jamais Nathalie n'a vu le visage de ce Marin Burcea. "Il trouvait toujours des excuses pour ne pas m'avoir au téléphone comme "j'ai un vieux pc, la caméra ne fonctionne pas, mon microphone est mort". La confiance s'installe et les demandes d'envoi d'argent deviennent de plus en plus récurrentes. "Il me disait : "J'ai quitté la légion étrangère pour toi, je suis un déserteur, mon compte bancaire est bloqué"... Il fallait donc que je lui envoie de l'argent".
Un beau jour, Nathalie reçoit un message de la part de cet ex-légionnaire, lui demandant de lui envoyer 500 euros. "Il devait prendre le train pour venir chez moi. Une fois l'argent envoyé, je n'ai pas eu de nouvelles pendant deux jours. Il revient d'un coup en me disant : "J'ai eu un accident, je suis à l'hôpital"".
À chaque fois qu'il lui demande de l'argent, il trouve toujours une bonne excuse : cambriolage, donner des sous à une voisine qui le traite de violeur pour éviter qu'elle porte plainte. Il faut dire que ce Marin Burcea fait preuve d'une créativité et d'un imaginaire sans limites pour ne jamais voir Nathalie.
À l'époque femme de ménage, elle a donné beaucoup de ses liquidités personnelles. Le peu d'argent de côté qu'elle avait, elle le lui donnait. "Pendant trois ans de relation à distance, j'ai donné plus de 20 000 euros pendant un an et demi, avoue-t-elle. Nathalie n'arrivait plus à subvenir à ses besoins, c'était la goutte de trop. "À un moment donné, j'ai dit stop, on arrête. Il ne faut pas prendre des gens pour des imbéciles. J'avais des factures, il fallait que je mange, et le peu de salaire que j'avais, il fallait que je lui donne".
Leurs cibles, des personnes en manque d'affection
La supercherie ne s'arrête pas là. Aveuglée par l'amour, Nathalie lui avait transmis ses informations bancaires. "J'ai eu le droit à des chèques volés déposés sur mon compte. Il me disait qu'il allait m'envoyer de l'argent. De temps en temps, je me disais que c'était quand même louche, mais il avait l'uniforme militaire sur sa photo de profil, donc je faisais confiance". Quelques mois après avoir décidé de ne plus lui donner d'argent, elle décide de porter plainte pour escroquerie et arnaque en ligne, mais cela n'a rien donné.
Aujourd'hui sans profession et en situation d'invalidité, Nathalie Gillet s'occupe de sa mère près d'Angoulême. À 51 ans, elle se rend bien compte du piège dans lequel elle était tombée. "Des fois, ils étaient plusieurs sur le même compte : certains messages n'avaient aucune faute de français, puis trois heures après, c'était bourré de fautes".
Vice-présidente d'une association nommée AVESE (Aide aux victimes d'escroqueries sentimentales Europe), créée avec une autre victime d'arnaque amoureuse, elle souhaite mettre en garde les personnes sur leurs publications sur les réseaux sociaux. "Je souhaite prévenir les gens, révèle Nathalie. Il ne faut pas publier des photos ou des vidéos osées, ne pas accepter des choses à des personnes que l'on ne connaît pas".