Confinement et réouverture : les différentes recettes des chefs étoilés du Limousin

L'épidémie de Covid-19 a frappé de plein fouet l'ensemble de la restauration, sans distinction de rang. Mais alors que s'annonce (peut-être) la réouverture des établissements, nous avons demandé aux trois chefs étoilés du Limousin comment ils l’envisageaient.

Du nord au sud, Gilles Dudognon à La Chapelle Saint-Martin à Nieul (87), Pierre Bertranet au Moulin de la Gorce, à La Roche-l'Abeille (87), et Pierre Neveu à la Table d'Olivier à Brive (19) : voilà les trois étoiles limousines au guide Michelin.

La fermeture des restaurants, le 14 mars dernier, ils l'ont tous les trois mal vécue, regrettant unanimement la vitesse, l'urgence, au final quatre heures, avec lesquelles ils ont dû composer.

Un confinement vécu différemment, pour des raisons différentes.

Pierre Bertranet est celui qui, entre de très gros guillemets, l'a peut-être le mieux vécu.
Déjà habitué à fermer de novembre à février en temps normal, il a voulu profiter de cette période contrainte, pour prendre soin de lui. Il souffre en effet de problèmes de santé récurrents.
Et puis, nous a-t-il dit par téléphone, « J'ai eu la chance d'avoir les banques qui m'ont très vite suivi, via le PGE (Prêt Garanti par l'État). Alors effectivement, j'ai une perte de chiffre d'affaires de près de 250 000€. Et il va falloir rembourser dans les années qui viennent. Mais financièrement, j'étais peut-être moins stressé que d'autres ».
Quant à trouver des solutions alternatives, de part sa situation géographique, de part sa conception du métier, il n'en était pas question pour lui.

Confinement différent pour Gilles Dudognon. « Vous me connaissez, ça m'a rendu dingue. Alors pour ne pas « péter les plombs », je me suis mis comme un fou à bichonner mon parc. Je me suis même occupé de l'étang. Mais bon, ça ne dure qu'un temps. Après, j'ai cherché comment redémarrer ».

Pique-niques haut de gamme

Et alors que la crise mettait en sommeil certains de ses projets, il a développé un concept, inauguré ce 21 mai, dans son parc : des sortes de pique-niques haut de gamme, commandés et payés à l'avance en ligne, et où une fois arrivés, les clients trouvent tout déjà installé, dans de vieilles ruches, spécialement acquises, et disséminées en différents endroits. Ainsi, les contacts sont totalement limités, entre les clients entre eux, et avec le personnel.

Il compte aussi, avec un tout petit peu de retard, lancer un camion itinérant, dans un vieux fourgon J7 spécialement réaménagé, où il proposera plats à la demande, produits de son cru, de ses producteurs ou de ses amis restaurateurs.

Pierre Neveu, à Brive, n'avait lui ni la capacité financière pour attendre, ni la place pour se réinventer.

C'est sûr, je n'ai pas une grosse brigade, je ne suis qu'avec ma femme Fanny, et en salle, je n'ai qu'une employée. Mais il en allait de notre survie.
Alors j'ai très vite pensé à la possibilité des plats, ou des menus, à emporter.
Mais c'est tout un processus, de la conception à la livraison, en passant bien sûr par la réalisation, qu'il m'a fallu comprendre et apprendre.
Parce que ce n'est pas mon métier, je suis restaurateur, pas traiteur.
Sans parler des produits, qu'il m' a fallu trouver, parce que je n'allais quand même pas faire cela avec du surgelé, en « descendant » de gamme.
J'ai donc débuté le 21 avril. Et c'était vraiment indispensable, juste pour mes charges fixes, même pas pour dégager un salaire.

Et ainsi, chaque vendredi et samedi soir, sur réservations uniquement, il propose plats ou menu, différents chaque semaine.

Il y avait l'aspect financier, mais cela m'a aussi permis de garder le contact avec la clientèle. Peut-être même d'en trouver une nouvelle, qui ne venait pas au restaurant avant, les prix étant moins élevés.

Un joli succès en effet, puisqu'il sert depuis près de 120 repas par week-end, plus, mais avec donc un rapport moindre, que dans son restaurant.

La réouverture des étoiles

De l'inactivité à la transformation, tous n'en peuvent plus, et n'attendent qu'une chose : rouvrir.
Ils ont bien entendu coché les possibles dates du 28 mai pour l'annonce, et du 2 juin pour la reprise.
Mais là encore, avec des points communs et quelques différences.

La question du nombre de couverts possibles, et de l'espace alloué à chaque client, pose plus de problème à Pierre Neveu dans son petit établissement qu'à Pierre Bertranet et à Gilles Dudognon, dans leurs vastes domaines.
Par contre, ces derniers sont plus inquiets sur la question des protocoles sanitaires pour leur brigades plus grandes, en cuisine et en salle, même si pour beaucoup de choses, ils se sentent déjà rodés.

Pour la place, je n'en manque pas. J'ai pris la décision de ne pas rouvrir la Table du Moulin, sans doute jusqu'à la fin de l'année.
On va en transférer une partie, avec une carte réduite, au Moulin. Entre la terrasse et les quatre salles, cela devrait passer.
Pour les protocoles sanitaires, on a l'habitude de désinfecter chaque assiette, chaque couvert au vinaigre blanc, après passage en machine. Idem pour les cartes, à l'alcool. La carte des vins est plus problématique, on fournira des gants.
Après, pour les masques, visières et autres, il faudra voir. [Pierre Bertranet, chef étoilé du Moulin de la Gorce]

Mais tous de pointer un gros problème : celui des fournisseurs.

D'accord, on ne se fournit pas tous pareil, ni aux mêmes endroits. Mais vous imaginez si tous les restaurants de France rouvrent le 2 juin ? C'est impossible.
Il nous faut anticiper dans un flou total.
Actuellement par exemple, il n'y a pas de poissons. Moi, je me fournis dans les criées bretonnes. Mais si la pêche ne reprend pas ? Ou tout simplement s'il fait mauvais, et qu'il y a flambée des prix...
Alors qu'actuellement, plus que jamais, il faut vraiment calculer à l'assiette. On va tenter de s'adapter, mais cela va être très, très juste. [Pierre Neveu, chef étoilé de la Table d'Olivier]


Et tous d'être unanimes sur les difficultés financières à venir, quand elles ne sont pas déjà là !

Autant d'incertitudes qui leur font envisager des reprises différentes

Pierre Bertranet la souhaiterait le vendredi 12 juin au soir, pour tout bien roder, tout bien préparer, bien installer. « Enfin, si les mesures de chômage partiel continuent après le 1er juin, ce dont on n'est pas sûr, parce que sinon, je devrais rouvrir plus tôt ».

Pierre Neveu voudrait aussi des certitudes. Mais la seule qu'il ait aujourd'hui, c'est de continuer pour un temps son activité de plats à emporter. « Les gens vont-ils revenir de suite ? Régulièrement ? Et puis sur les débuts de semaine, les midis, à Brive, dans un restaurant étoilé, avec nos prix ? Je ne vois que cette solution ».

Et comme Pierre Neveu, Gilles Dudognon s'interroge également sur ce que cette période aura pu modifier des attentes, des demandes, des envies des clients, et jusqu'à quel point il faudra adapter, modifier, réinventer cuisines, établissements, approches même !

Les grands chefs limousins brillent au firmament, mais ne voudraient pas vivre le célèbre oxymore de Corneille : « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles...".
 
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