Trois mois après la violente mutinerie du 22 mars 2020 au centre de détention d'Uzerche, le procès de huit détenus s'est tenu ce 11 juin 2020 devant le tribunal correctionnel de Tulle. Les prévenus risquent entre 7 et 10 ans de prison.
Entre 7 et 10 ans de prison pour dégradations en réunion, incendies et violences aggravées. C'est ce que peuvent encourir les huit détenus du centre de détention d'Uzerche jugés jeudi 11 juin 2020 devant le tribunal correctionnel de Tulle, suite à la mutinerie du 22 mars dernier.
Par visioconférence
L'audience s'est ouverte dans un climat particulier. En ce matin du 11 juin, les habitants de Tulle ont découvert des inscriptions sauvages sur les murs aux abords du tribunal.
Les prévenus comparaissent par visioconférence. Certains minimisent leur participation à la mutinerie, d'autres nient en bloc.
"Chacun pour soi sûrement, mais un des grands principes de droit pénal non-écrit, c'est qu'on ne sauve pas sa tête avec celle d'un copain. Conséquence de quoi, personne ne se dénonce, chacun assume ce qu'il a fait , c'est donc de dire qu'il n'a rien fait !", commente Michel Labrousse, avocat de l'un des prévenus, "malgré les vidéos, il n'y a pas de preuve directe des agissements des uns et des autres."
L'audience s'est poursuivie tard dans la soirée. Entre 3 et 6 ans de prison ferme ont été requis à l'encontre des prévenus. Le jugement a été mis en délibéré au 23 juin.
Rappel des faits
Il est 16 h 30 à la prison d'Uzerche, lorsque quatre détenus montent sur le toit d'un bâtiment administratif, sans revendication particulière, confiait la Préfecture le jour des faits. Une fois le groupe délogé, 200 autres détenus ont refusé de rentrer après leur promenade et ont provoqué des départs de feu et dégradé des locaux et du matériel du centre de détention.
Ces incidents sont survenus quelques jours après l'annonce de la suspension des parloirs par le ministère de la Justice, le 18 mars 2020, en raison des restrictions sanitaires dues au covid-19. Ce fût le cas ce même jour à Maubeuge, Longuenesse, Meaux, Nantes, Carcassonne, Moulin, Rennes, Saint-Malo, Nice-Fleury-Merogis, comme nous le souligions dans notre article du 23 mars 2020.
Au total, 88 détenus se sont retrouvés en mutinerie, sur le toit du centre de détention d'Uzerche et sur l'ensemble du site, interpellant le personnel pénitentiaire avec des propos haineux. Ces derniers ont par ailleurs filmé et diffusé leurs révoltes sur des réseaux sociaux, notamment Snapchat et se sont vus identifiés grâce à ce support.
Ce jour-là, les ERIS (Equipes Régionales d'Interventions et de Sécurité en milieux pénitentiaires) sont venues en renfort de Bordeaux. Étaient également présents la Communauté de Brigades et Peloton Motorisé d'Uzerche, COB de Lubersac et de Donzenac et le PSIG de Brive. Ils ont pu maîtriser les détenus en liberté aile par aile, notamment avec l'utilisation de grenades de désencerclement et de tirs de balles en caoutchouc. Ces "scènes de guerre" entre forces de Gendarmerie et détenus se sont poursuivies jusqu'en fin de soirée. Pour prévenir les évasions de ces derniers, le personnel pénitentiaire a procédé à un appel nominatif.
Le centre de détention d'Uzerche : trois mois plus tard
Deux bâtiments du centre de détention d'Uzerche ont été largement endommagés au point de ne plus pouvoir accueillir de détenus : le bâtiment C est dégradé et le bâtiment D quant à lui, partiellement brûlé.
Dans un article du 4 juin 2020, nous mentionnions la durée des travaux de rénovation à la prison d'Uzerche. Des travaux de rénovation ont débuté deux mois après les fait, ils devraient prendre fin au printemps 2021 pour le plus endommagé des deux bâtiments.
Au début du mois de juin, le centre de détention comptait 173 détenus pour 185 places. Avant la mutinerie, le site pouvait accueillir 596 détenus. 330 détenus ont été transférés dans d'autres centre pénitentiaire de la région. Aucune précision sur la date de leur rapatriement à Uzerche n'a encore été annoncée.
8 détenus jugés devant le Tribunal correctionnel de Tulle le 11 juin 2020
Pour Maître Philippe Caetano, avocat de la partie civile, à savoir des quinze surveillants pénitentiaires du centre de détention d'Uzerche et de l'Etat, ce dossier est d'une "exceptionnelle gravité".
C'est la première fois qu'un dossier d'une telle gravité vient devant une juridiction répressive.
Les actes menés par les détenus le 22 mars dernier s'inscrivent dans une "démarche quasi-insurrectionnelle" mentionne Me Caetano. Des locaux en partie détruits et une attitude hostile envers les surveillants pénitentiaires avec jets de projectiles et insultes, sont pour l'avocat deux grandes questions du procès à venir.
Aucune des victimes n'est dans une logique vindicative. C'est le Parquet qui poursuit, le Tribunal prononcera la peine. Nous, nous sommes simplement là pour obtenir la réparation des préjudices subits.
Concernant la destruction des locaux et du matériel au sein du centre pénitentiaire, Me Caetano rappelle les coûts pour une remise en état globale du centre de détention d'Uzerche, "pour l'instant, la remise en état globale est estimée à 2,7 millions d'euros [...] des premiers travaux ont été engagés, en terme de nettoyage et de remise en état, ils se chiffrent pour l'instant à 339 000 euros". Des coûts assumés par l'Etat, auxquels devront s'ajouter la "rémunération des surveillants pénitentiaires en arrêt maladie, des traitements médicamenteux, des suivis psychologiques" auxquels vont être soumis les victimes.
Interrogé sur le contexte du 22 mars 2020 et la suspension temporaire des parloirs dans les centres pénitentiaires, Me Caetano répond.
On peut comprendre qu'ils soient affectés par cette situation. Simplement, rien ne justifie ce qu'il s'est passé. Certaines personnes n'ont pas pu aller voir leurs parents en EHPAD, des parents d'enfants en situation de handicap placés dans des structures spécialisées n'ont pas pu aller les rencontrer. Ont-ils pour autant incendié le bâtiment public qui se trouvait à côté de chez eux ?
En plus de la détérioration des lieux, Me Caetano insiste sur le préjudice moral causé auprès des surveillants pénitentiaires. "Ils ont vu les locaux dans lequels ils travaillent au quotidien ravagés. Aujourd'hui, certains sont confrontés à un stress post-traumatique ayant pensé que leur vie était en jeu ce jour-là. D'autres sont encore en arrêt travail, sous traitement médicamenteux ou n'arrivent toujours pas à trouver le sommeil."
Avant de rappeler "pas d'amalgame! La majorité de la population carcérale ne pose pas de problème [...]. Le Tribunal fera son travail et rendra une décision à la mesure de ce qu'il s'est passé."