Enquête. "Une bombe à retardement au même titre que les algues vertes en Bretagne" : la prolifération des cyanobactéries inquiète

Chaque année, la propagation des cyanobactéries empoisonnent les lieux de baignade, les rivières ou encore les réserves d’eau potable. Aujourd'hui, leur présence préoccupe grandement la communauté scientifique.

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Présentes dans n'importe milieu aquatique, les cyanobactéries sont des êtres vivants microscopiques qui se développent à la surface des algues. En se détachant, elles forment des flaques verdâtres sur les bords des cours d'eau ou des étangs. Elles sont devenues un fléau dans le monde entier. La région Poitou-Charentes n'est pas épargnée par ce phénomène.

"Un organisme très ancien"

Dans un laboratoire de Haute-Vienne, Philippe Cambrouze, ingénieur en hydrobiologie agréé par le ministère de la Santé, analyse l’eau d’une dizaine de départements en France, dont cinq en Nouvelle-Aquitaine. Sa mission consiste à surveiller, pour les autorités sanitaires, l’évolution de ces cyanobactéries. "Les eaux qui sont analysées ici sont, à la fois, des eaux de baignades ou de l'eau destinée à la consommation humaine", explique l'ingénieur.

Les cyanobactéries sont "des organismes très anciens, vieux de plusieurs milliards d’années. C’est un filament qui est composé de plusieurs cellules. Elle représente, à la fois, les caractéristiques d’une bactérie, et d’une microalgue. Mais certaines sont toxiques". Et c'est là qu'est tout le danger de ces cyanobactéries. "Quand elles meurent, elles libèrent une toxine intracellulaire dans le milieu extérieur qui peut être hépatotoxique, neurotoxique, voire dermato-toxique " alarme Philippe Cambrouze.

Un risque sanitaire décuplé depuis quelques années. Les cyanobactéries envahissent les rivières, les étangs et les réserves d’eau. Face à cette prolifération, le scientifique ne cache pas son inquiétude. "On voit arriver une déferlante qui va avoir des conséquences sur la disponibilité en eau potable, sur le coût de l’eau, sur la santé humaine et animale.

Il s'agit d'une bombe à retardement au même titre que les algues vertes en Bretagne. Franchement, je pense que l’on va être dépassé.

Philippe Cambrouze

Ingénieur en hydrobiologie

Un risque sanitaire majeur

Une eau infestée par ces cyanobactéries peut terrasser un chien en moins de vingt minutes, un bovin en quelques heures. En cas de contact avec la peau, elle peut provoquer des réactions dermatologiques et en cas d’ingestion, des "vertiges, des tremblements ou des troubles digestifs causant nausées, vomissements et diarrhées", selon le docteur Véronique Carreno, médecin à l’ARS des Deux-Sèvres.

Cependant, elle se veut rassurante sur ce sujet : "Si les taux de toxine étaient vraiment élevés, les troubles précédemment cités seraient bien plus graves. Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a jamais eu d’hospitalisation et de cas graves qui ont été détectés". Pour autant, l’été 2023 a battu tous les records : poissons impropres à la consommation, chiens empoisonnés, eau du robinet contaminée... Dans le département de la Creuse, de l’eau en bouteille a dû être distribuée dans 56 communes pour cause de contamination de cyanobactéries dans l’eau du robinet.

Au Lac du Cébron, dans la commune de Saint-Loup-Lamairé (79), la couleur de l’eau a fait fuir les promeneurs. Pour la première fois, l'été dernier, la plus redoutable des toxines a été détectée, l’anatoxine A. Conséquence, l’usine de traitement de l’eau a dû actionner son réseau de secours à deux reprises.

Pour endiguer le phénomène, traiter le problème à la source

Dans l’usine de protection d’eau potable à Sainte-Néomaye (79), l’eau provient du barrage de La Touche-Poupard, à une dizaine de kilomètres. La présence de cyanobactéries est contrôlée ici une fois par semaine, et plus fréquemment, si les risques sont élevés. S’ils pénètrent dans le réseau, ils pourraient libérer leurs microtoxines, un poison soluble dans l’eau.

Cependant, l’analyse demande deux à trois jours. Entre le prélèvement et le résultat, les toxines peuvent se trouver dans l’eau du robinet. "Malheureusement, peut-être... On ne peut pas le savoir", avoue Eric Bazireau, directeur technique de l'usine de production d'eau du SERTAD, implantée à Sainte-Néomaye.

Une menace grandissante, mais toujours pas de solution miracle. Pour le moment, le seul moyen de lutter contre les cyanobactéries est de traiter la prolifération directement à la source. "Le développement des cyanobactéries n’est jamais lié au hasard, ce n’est pas un phénomène naturel, mais liée aux activités humaines, comme l’agriculture et les eaux usées principalement", révèle Philippe Cambrouze.

S'il n’y avait pas d’excès de nutriments, il n’y aurait pas de prolifération de cyanobactéries.

Philippe Cambrouze

Ingénieur en hydrobiologie

En cause, l’arrivée massive de phosphore et d’azote dans les plans d’eaux. "Ça arrive en trop grande quantité depuis bien trop longtemps. Cela peut être lié aux engrais, mais ce sont plus souvent des lisiers ou des fumiers ou les rejets des stations d’épuration. S'il n’y avait pas d’excès de nutriments, il n’y aurait pas de prolifération de cyanobactéries".

Quelles solutions existent-ils ?

Pour lutter contre ces micro-organismes, certaines collectivités travaillent depuis plusieurs années en revoyant les normes des stations d'épuration ou sur certaines méthodes agricoles. Philippe Caclin, vice-président de l'usine de production d'eau du SERTAD de Sainte-Néomaye, confie "préparer des échanges fonciers, de manière à remplacer les cultures sur le bord du plan d’eau par des prairies d’élevage, qui ne nécessitent pas d’intrants qui risqueraient de polluer l’eau".

Des efforts sans doute insuffisants au regard de la situation de l’été dernier. En France, il n’existe, à ce jour, aucune donnée sur la mortalité animale ou la santé humaine liée aux cyanobactéries.

Reportage d'Alain Darrigrand et Cyril Paquier :

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{} ©France télévisions

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