Fin 2023, l'association de consommateurs UFC-Que Choisir lançait une pétition pour un meilleur accès aux soins et attaquait l'État pour son inaction face à la fracture sanitaire. Aujourd'hui, elle estime que rien n'a été fait et que l'écart s'est encore creusé, sondage à l'appui. Une situation particulièrement sensible en Dordogne.
Jusqu'à 189 jours pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologue, 11 jours pour voir un généraliste, 93 jours pour un gynécologue. Ce sont les délais que subissent les 10% des Français résidant dans les pires déserts médicaux. Selon les chiffres du ministère de la Santé, ces zones concernent plus de huit millions de Français.
En termes d’écart, en 2022, on comptait trois fois plus de médecins généralistes par habitant dans le département le mieux doté que dans le département le moins bien doté. Les Bouches-du-Rhône par exemple comptaient un "excédent" de 976 médecins spécialistes alors que dans le même temps, il en manquait 109 en Dordogne. Un département qui d'ailleurs ne compte que huit médecins généralistes pour 10 000 habitants, contre 14 en moyenne en Nouvelle-Aquitaine.
45 % à avoir renoncé aux soins
En décembre 2023, l'opération #MaSanteNattendPlus lancée par l'association de consommateurs UFC-Que Choisir dénonçait cette fracture "abyssale" face à l'accès aux soins, entre les métropoles et le milieu rural, mais aussi entre les populations aisées et les plus démunies. Un an plus tard, la pétition "J'accuse l'État" lancée pour l'occasion a recueilli plus de 135 000 signatures et le recours en justice auprès du Conseil d'État pour faire condamner l'inaction des pouvoirs publics est toujours en cours.
En attendant, la situation s'aggrave, les inégalités dans l’accès aux soins continuent de se creuser, frappant en priorité les plus modestes et les zones sous-dotées, et les Français sont de plus en plus demandeurs d'un changement. C'est ce qui ressort du récent sondage réalisé par UFC-Que Choisir du 6 au 13 novembre 2024 auprès d’un échantillon représentatif de plus de mille personnes.
Un spécialiste à moins de trois mois, maintenant, on ne trouve pas. Et encore, quand il accepte de nous prendre !
Arnaud Lajugie,Président UFC-Que Choisir de Dordogne
Ainsi, 69 % des sondés déclarent que leur accès aux soins s’est encore détérioré lors de ces derniers mois. Ils sont 45 % à avoir dû renoncer à se soigner cette année, faute de rendez-vous ou à cause de dépassements d’honoraires trop élevés. 60 % des habitants de villes éloignées des grandes métropoles ont constaté une détérioration de leur accès au système de santé et même jusqu’à 72 % dans les banlieues ou zones périurbaines.
Enfin, 42 % des personnes ayant des revenus inférieurs à 24 000 € souffrent de maladies chroniques, contre 34 % des plus aisés. "C’est une double peine, explique Marie-Amandine Stévenin, présidente de l’UFC-Que Choisir. Les personnes les plus modestes sont en moins bonne santé et sont confrontées à des barrières financières qui entretiennent une difficulté pour accéder aux soins. Pour ceux qui subissent, en plus, une barrière géographique, c’est même une triple peine".
Encadrer davantage les médecins
Face à ces chiffres, UFC-Que Choisir réitère ses propositions pour résorber la fracture sanitaire, notamment par des conditions plus restrictives imposées aux médecins. Il s'agirait tout d'abord de mettre fin aux dépassements d’honoraires injustifiés par un encadrement strict des tarifs, pour que les soins soient accessibles à tous, sans barrière financière.
Mais surtout, l'association souhaite réguler l’installation des médecins : cette mesure, qui serait soutenue par 93 % des Français sondés, favoriserait une présence des professionnels de santé dans les zones les plus touchées par les déserts médicaux en limitant l’installation des médecins dans les zones sur-dotées, sauf pour remplacer des départs à la retraite ou répondre à des besoins critiques.
Cette liberté d'installation, elle est à mettre en regard avec des gens qui vont mourir parce qu'il n'y a pas un médecin sur place.
Arnaud Lajugie,Président UFC-Que Choisir de Dordogne
Le sujet fait bouillir Arnaud Lajugie, le président UFC-Que Choisir de Dordogne, car son département est particulièrement concerné : il fait partie des cinq départements les moins bien desservis, comme pour les transports. "S'il n'y avait qu'une mesure à adopter, ce serait celle-ci, plaide-t-il. L'ancien qui a une douleur au ventre, qui ne peut pas monter dans un bus et qui va renoncer à se faire soigner, dans six mois, il peut avoir un polype et dans un an, peut-être un cancer."
Bientôt en place pour les dentistes
Pour le président départemental de l'association, le risque sanitaire est bien réel et préoccupant. "Il y a des gens qui vont mourir parce qu'il n'y a pas un médecin à moins de 30 km et qu'il n'y a pas de transport pour partir éventuellement sur Bordeaux pour se faire soigner", fulmine-t-il.
La fracture sanitaire et sociale se creuse. Seuls les gens qui gagnent suffisamment vont pouvoir aller se faire soigner ailleurs.
Arnaud Lajugie,Président de l'UFC-Que Choisir de Dordogne
Cette régulation de l'installation des nouveaux médecins est d'autant plus imaginable qu'elle vient d'être adoptée à la mi-décembre et qu'elle sera effective pour les dentistes dès le premier janvier 2025. Elle l'était déjà pour les pharmaciens et les infirmiers. Pour les médecins, jusqu'alors, la France a préféré un système d'incitations financières "dont les résultats sont décevants, voire vraiment inefficaces" selon UFC-Que Choisir.
Le 17 janvier 2023, une proposition de loi transpartisane signée par 256 députés proposait également cette installation sélective des médecins. Mais le 15 juin suivant, en adoptant la proposition de loi "visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels" la restriction de la liberté d'installation des médecins n'a finalement pas été retenue, le ministre de la Santé, de l'époque, François Braun, se disant opposé à "la coercition à l’installation". Une "fausse solution" selon lui, qui risquait même d'aggraver la situation au lieu de l'améliorer.