Pauline et Benjamin ont construit leur "earthship" en 2017 à Biras. La deuxième de France. Une logique écolo poussée à l'extrême dans une maison "passive", en matériaux recyclés ou biodégradables qui ne consomme pas d'énergie. Aujourd'hui ils partagent leur expérience en toute lucidité
Il faut bien l'avouer : respecter complètement ses convictions écologiques en France en 2022 semble encore relever de l'utopie, tant la société, les réglementations et les usages peinent à suivre les innovations et les bonnes idées. Il y a pourtant autant d'urgence que de nécessité à inventer d'autres manières de vivre que celles imposées par les logiques commerciales et réglementaires. Heureusement, certains pionniers défrichent la voie et permettent de faire avancer les choses dans le bon sens. Des pionniers qui, comme tous les pionniers, payent le plus souvent de leur personne pour "essuyer les plâtres".
Reportage effectué lors de la construction en juillet 2017
Le sujet web écrit EN 2017 par Florian Rouliès
La géonef, un vaisseau de terre qui atterrit en Dordogne
Pauline, Benjamin et leur fille Noéha sont de cette trempe. Inspirés par ce qu'ils avaient découvert en vivant aux États-Unis, ils se lancent en 2017 dans la construction d'une "earthship", selon le terme anglo-saxon consacré. Un "vaisseau de terre" ou une géonef, une maison qui exploite les ressources naturelles douces de la nature sans les épuiser, fabriquée en matériaux recyclés ou naturels. Le principe est aussi simple qu'élégant : orientation au sud pour bénéficier de la chaleur du soleil via une serre, un bâti semi-enterré pour l'inertie thermique du sol, de la géothermie pour équilibrer l'ensemble, des panneaux solaires pour l'alimentation électrique, et des matériaux recyclés autant que possible, comme des pneus remplis de terre pour ériger les murs et assurer l'inertie thermique.
Économie, écologie, et confort
Après avoir longtemps brocardé sur le fait que vivre en respectant la nature c'était retourner à l'âge de pierre et à l'éclairage à la bougie, les réfractaires à l'écologie sont aujourd'hui à court d'arguments. De l'ampoule basse consommation alimentée au solaire en passant par la récupération d'eau de pluie, les murs en paille, le chauffage au bois ou les toilettes sèches, les solutions existent, elles sont viables et de moins en moins contraignantes. Ce qui semblait un délire utopiste il y a une vingtaine d'année encore est de plus en plus répandu dans des maisons toujours plus confortables habitées par des particuliers qui n'ont rien de doux-rêveurs perchés. Chaque solution apparaît selon les cas plus confortable, plus satisfaisante, moralement plus acceptable, plus économique... La géonef, c'est le condensé de toutes ces solutions pour aboutir à un habitat sain, sans gaspillage, qui respecte aussi bien l'extérieur que les habitants. Exactement que devraient être toutes les nouvelles constructions.
Énergie douce... et démarrage lent
La géonef de Pauline et Benjamin a été la deuxième officielle à se construire en France, même si des techniques approchantes sont de plus en plus exploitées un peu partout. Une quinzaine de maisons similaires ont fleuri depuis 2017. Mais face à la nouveauté du concept, les pouvoirs publics, les mairies ou groupement de communes, les banques et les artisans sont autant d'obstacle que le navigateur terrien doit surmonter avant de pouvoir se lancer. Rageant, lorsqu'on a conscience de l'urgence à changer les modèles, et que l'on est prêt à se lancer. Faute de trouver un banquier ouvert d'esprit, un artisan compétent, un maire accueillant, et une administration souple, nombre de candidats de bonne volonté finissent, découragés, par se contenter d'un panneau solaire et d'une cuve de récupération d'eau dans une maison en béton chauffée au nucléaire.
Guide de survie en géonef
Les plus opiniâtres arrivent pourtant à démontrer la faisabilité de la chose, et dans ce domaine, chaque expérience élargit un peu plus la voie. C'est pour cela que Pauline et Benjamin ont publié le récit de leur expérience dans un livre intitulé La maison magique aux éditions Massot.
L'eau, le bon tuyau
Le saviez-vous, en France il est interdit de laver son linge à l'eau de pluie. Ce n'est éventuellement possible qu'à titre expérimental, après autorisation, et à condition que cette eau ait subi un traitement désinfectant !
Depuis 2008, l'eau de pluie, gratuite et en théorie assez pure (sans tartre et, contrairement à celle du réseau, pas retraitée après être passée par les toilettes du voisin), ne peut être utilisée que pour arroser son jardin, laver sa voiture et le sol et, éventuellement, remplir ses chasses-d'eau. Conséquence, même en habitat individuel où l'eau ne repart pas dans le réseau, on continue à gaspiller des milliards de m3 d'eau chèrement retraitée pour un usage non-alimentaire. En toute logique, dans les Géonefs ou dans les maisons plus conventionnelles, les solutions sont de plus en plus partagées sur les réseaux pour contourner cette aberration, tout en veillant à la qualité de l'eau utilisée.
Échanges chaleureux
Depuis la généralisation des pompes à chaleur, le grand public sait qu'il est possible de profiter des calories de l'air, de l'eau ou du sous-sol pour réguler la température d'une maison ou d'une piscine. Le principe du puits canadien (échangeur air-sol, puits provençal, cheminée solaire ou puits climatique) peut être encore plus simple, silencieux et moins énergivore. Grâce à une tuyauterie passant dans le sol (dont la température est pratiquement constante à 12° en moyenne), il fonctionne comme un échangeur géothermique pour rafraîchir ou réchauffer l'air ventilé dans un bâtiment. En combinant les différentes ressources (voir ci-dessous), la maison de Biras maintient une température moyenne annuelle de 18 à 22° sans fuel, charbon ou gaz, et avec une consommation électrique ridiculement faible.
La serre, l'autonomie en toute transparence
La serre, dont le principe est maîtrisé en France depuis plus de 150 ans, est l'un des atouts majeurs de ces nouvelles maisons. Orientée plein sud, c'est un chauffage naturel au premier rayon de soleil, dont l'énergie est conservée par l'inertie de la maison. C'est aussi un potager annuel qu'un peu de compost naturel et d'eau de pluie transforme en jardin d'Eden. À Biras, Noéha va bientôt avoir au menu des bananes poussées à la maison.
J'veux du soleil !
Les installations solaires moins onéreuses, plus simples et plus productives rendent aussi l'habitat passif plus abordable. Sans partir vers une "usine à gaz" solaire, les géonefs permettent de produire du photovoltaïque pour la consommation électrique, mais aussi pour réchauffer directement l'eau chaude sanitaire.
Exemples à suivre
À travers leur livre, Pauline et Benjamin montrent la voie et décomplexent les candidats au voyage en géonef. À chacun son chemin, selon ses ambitions et ses moyens, ses choix et ses possibilités. Ici comme ailleurs, il ne s'agit pas de verser dans l’extrémisme mais bel et bien d'adapter son habitat à une situation que les générations précédentes ont largement dégradée, sans attendre que la directive tombe d'en haut.