En 20 ans, le nombre de sangliers aurait triplé en France. En Dordogne, où le phénomène ulcère les agriculteurs et parfois les particuliers, la préfecture a autorisé le piégeage partout sur le territoire à partir d'avril prochain. Un soulagement pour ceux qui militaient pour cette mesure.
Il n'en pense que du bien ! Florian Lacroix, éleveur à Castelnaud-la-Chapelle près de Sarlat, est l'un des premiers agriculteurs de Dordogne à avoir eu l'autorisation de piéger des sangliers sur son exploitation. Chaque année, depuis trois ans, il installe une cage construite avec l'aide de la Chambre d'Agriculture à laquelle il a apporté quelques modifications lui-même. Du fer à béton et de l'acier, du solide.
Résultats encore modestes
En avril prochain, l'agriculteur installera à nouveau son unique cage, même si le nombre de sangliers qu'il a prélevé jusqu'alors reste limité. "Ce n'est pas énorme, j'en suis à 15 ou 16. En fait, c'est sur des courtes périodes : deux mois chaque année. Globalement, j'en piège entre quatre et sept sur deux mois. Des jeunes surtout, parce que les vieux, ils sont un peu plus malins", détaille Florian Lacroix.
L'agriculteur espère "faire mieux l'année prochaine", grâce à une période de prélèvement plus longue. "Il y en a un qui s'y est mis sur la commune voisine l'an passé et il a fait de bons résultats, il en a fait au moins onze pour la première année", s'exclame l'éleveur.
Pour moi, c'est l'avenir. Il y a eu de l'amélioration malgré la population qui augmente.
Florian Lacroix,Eleveur à Castelnaud-la-Chapelle
Même si le nombre de sangliers qu'il prélève par rapport à la population reste infime, c'est suffisant pour qu'il sente une différence. L'an dernier, les sangliers ont détruit une grande partie de sa récolte de maïs, soit 7 000 euros de dégâts. "Ça prolifère quand même, mais ça a un bon effet tampon. Je n'ai pas vu les dégâts grandir. Ils ont même diminué un petit peu, mais il ne faut pas baisser la garde."
Piège pour tous
En avril 2025, après une formation d'une journée, ce seront tous les agriculteurs de Dordogne qui seront autorisés à piéger les sangliers sur la totalité des 503 communes du département. Suite à une réunion avec la préfecture et la fédération de chasse fin novembre, le groupe de travail "sanglier", composé de représentant de la Commission Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage (CDCFS) a autorisé ce piégeage du 1ᵉʳ avril au 14 août 2024, expérimenté depuis 2021 dans une centaine de communes sur tout le département.
Cette autorisation est une victoire pour les syndicats agricoles FDSEA et JA, excédés par les dégâts des suidés sur leurs cultures et l'impuissance des chasseurs à en venir à bout. "Ça fait maintenant six ans, et on a un retard de 7 000 à 8 000 sangliers par an. Donc, vous n'avez qu'à faire la multiplication. Et encore, tout ça sur les données de la Fédération de chasse", explique Florian Lacroix.
En 2018, on a eu 50% de maïs détruit. Et pour revenir à un niveau acceptable, pas pour exterminer, on parlait déjà de tuer 30 000 sangliers par an.
Florian Lacroix,Eleveur de Dordogne
Fin novembre dernier, un nouveau message de colère avait été passé à ces chasseurs en charge de la régulation du gibier sous la forme de lisier déversé et de têtes de sangliers empalées sur les grilles de la Fédération de chasse de Dordogne.
Explosion démographique
Mais comment en est-on arrivés là ? Il y a un demi-siècle encore, le sanglier se rencontrait exceptionnellement dans les campagnes françaises, il constituait un gibier dangereux, mais rare et de choix. En 1975, 36 429 sangliers avaient été abattus. En 2022, il y en a eu 842 802, révèle l’Office Français de la Biodiversité. Soit vingt-trois fois plus ! Et le Centre National de la Recherche Scientifique estime que leur population a désormais dépassé le million.
Les explications sont multiples. Tout d'abord, le territoire naturel du sanglier s'est étendu en même temps que la superficie des forêts en France. L'agriculture, la sécheresse, les tempêtes l'ont aussi fait sortir de ces forêts dans lesquelles il était jusqu'alors cantonné et où il pouvait à l'occasion croiser le chemin du loup et du lynx.
La recherche d'eau et de nourriture suite aux aléas climatiques ont fini de désinhiber cet animal adaptable et opportuniste. Il a colonisé pratiquement tous les milieux, du bord de mer à la plaine, des sommets de montagne aux milieux urbains sans oublier les décharges. Le réchauffement climatique a réduit la mortalité hivernale et augmenté sa capacité de reproduction.
La faute aux hommes
Dans le journal du CNRS, l’écologue Raphaël Mathevet auteur avec Roméo Bondon de Sangliers, géographies d’un animal politique reprend ces explications et enfonce le clou en expliquant qu'à la fin des années 60, l'agriculture moderne fait disparaître les petits gibiers.
Pour compenser, les chasseurs ont encouragé le développement des "grands gibiers" et surtout du sanglier. Élevage et lâchers dans des sites vierges, croisement avec des truies domestiques plus fertiles, nourrissage hivernal, chasse "conservatrice" épargnant les reproducteurs. Malheureusement, l'opération aura été un succès et les chasseurs se font progressivement dépasser. D'autant que, contrairement aux sangliers, leur nombre est en constante diminution. Officiellement seuls autorisés à "réguler" les sangliers, ils doivent rembourser les agriculteurs victimes de dégâts. L'an dernier, la fédération de Dordogne a ainsi déboursé près de 700 000 euros.
Les dégâts agricoles des sangliers, principalement sur les champs de maïs et de céréales de l'hexagone, représenteraient désormais 35 millions d’euros par an. Auxquels il convient d'ajouter 30 000 collisions avec l'animal chaque année sur les routes et les innombrables perturbations en zone urbaine ou péri-urbaine difficilement chiffrables. En Dordogne, les 16 200 chasseurs du département avaient été autorisés à tuer jusqu'à 24 000 sangliers l'an dernier. Lassitude ou manque d'effectifs, ils n'en ont tué "que" 21 000. On estime qu'il en aurait fallu au moins 9 000 de plus pour arriver à une régulation efficace.
Des pièges en plus des fusils
L'an dernier, les pièges avaient permis de capturer une centaine d'animaux sur le département. Une proportion limitée à côté des 21 000 trophées des chasseurs. Les agriculteurs-piégeurs auront pour seule obligation de suivre une journée de formation gratuite dispensée par la fédération de chasse et la chambre d'agriculture.
Il faudra aussi se doter d'une cage, les trois de la Chambre d'agriculture présentes dans le département ne suffiront pas à la demande. Le coût est d'environ 500 euros, la matière première est assez peu coûteuse, mais il faut pouvoir la fabriquer. L'autre option est un filet d'approximativement 10 mètres de diamètre, du type de ceux utilisés pour sécuriser les chantiers en hauteur. La maille très résistante est posée légèrement au-dessus du sol et l'animal, une fois glissé dessous, ne peut plus sortir. Le prix avoisine les 1 000 euros, mais il peut être plus efficace. "Une cage dès qu'elle est fermée, ce qui est dehors fait le tour, ils ne peuvent plus rentrer, alors que le filet, il n'y a pas de limite. Si toute la compagnie doit rentrer, tout rentre", explique Florian Lacroix.
Au passage, le sanglier a vu son statut de l'an dernier confirmé, passant de gibier ordinaire à celui peu enviable d'ESOD, Espèce Susceptible d'Occasionner des Dégâts. Une infortune qu'il partage dans la foulée avec la palombe ou pigeon ramier, lui aussi grand amateur de cultures humaines.
Quant à la question que vous vous posez peut-être de savoir ce que deviennent les sangliers piégés vivants : pour le meilleur ou pour le pire selon les points de vue, ils connaissent le même sort que les sangliers chassés.