Selon le président de l’Université de Bordeaux, un tiers d'entre eux ont "des indicateurs d'anxiété ou de dépression". Face à ce mal-être, le manque de psychologues est criant. Après dix mois de crise, l’ARS annonce des fonds supplémentaires pour proposer plus de consultations.
« J’ai complètement décroché », avoue cette étudiante à l’Université de Bordeaux Montaigne qui tient à garder l’anonymat. « Déjà que cette formation m’a laissé avec une grosse dépression, ce deuxième confinement m’a complètement fait perdre les pédales ». Une souffrance bien réelle, vécue dans le plus grand isolement.
Le sujet sera évoqué ce soir par Jean Castex, lors de sa conférence de presse à 18 heures. Il est au cœur des préoccupations, tout du moins des discours. Le sort des étudiants. Lors des questions au gouvernement, la sénatrice EELV de la Gironde Monique de Marco, a alerté sur la nécessité de proposer plus de cours en présentiel pour rompre l’isolement des jeunes. « Il nous semble urgent de recruter davantage de psychologues », a-t-elle martelé.
Les étudiants se sentent déconsidérés, oubliés, sacrifiés.
— Monique de Marco (@moniquedemarco) January 13, 2021
?Pour le retour des cours en présentiel, davantage de psys et assistantes sociales et le #RSAmoins25ans
Ils poussent un cri d’alarme, il faut une vraie concertation a l’écoute de nos jeunes.#etudiantsfantomes pic.twitter.com/tKisK9Ap0H
Ce jeudi, alors que le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, doit se rendre sur le campus de Bordeaux, l’ARS de la Nouvelle-Aquitaine annonce des fonds supplémentaires dédiés à la prise en charge sanitaire des étudiants. Presque un an après le début de cette crise, certains messages finissent par être entendus. Mais cela suffira-t-il ?
Une étude menée à l’université de Bordeaux corrobore le constat d’une crise grave dans le monde estudiantin. Sur un groupe de 1600 jeunes, l’étude a comparé l’état psychologique des étudiants et des non étudiants. Et le résultat est clair. « Il y a pratiquement 50% de plus de symptômes dépressifs sévères, de stress à un niveau élevé, de symptomatologie anxieuse etc », analyse l’épidémiologiste Christophe Tzourio. « Donc vous le voyez, les étudiants sont vraiment beaucoup plus exposés à ces conséquences sur la santé mentale que les non étudiants ».
Précarité et isolement
« C’est une situation compliquée », annonce Paul Marsan, vice-président de la Fédération Etudiante ATENA (association territoriale des étudiants aquitains). « La crise amplifie tout le système de précarité autour des étudiants. C’est une population précaire, cela n’est pas nouveau, avec une santé mentale parfois fragile. On se souvient d’un étudiant qui s’était immolé par le feu à Lyon où il y a peu un étudiant s’est lui défenestré. Des étudiants ont également tenté de se pendre dans leur chambre à Toulouse et Clermont-Ferrand il y a quelques années. Des suicides ou des tentatives de suicides qui montrent que la situation était déjà fragile avant la crise sanitaire. Et celle-ci a augmenté cette précarité. Depuis mars, beaucoup d’étudiants sont en situation d’isolement, de dépression".
Les plus touchés sont ceux dont la famille est à l’étranger ou dans une autre ville et qui sont seuls sur le campus.
"Sont aussi particulièrement fragiles ceux qui viennent d’arriver à la fac, qui sont en première année, et peinent à découvrir ce nouveau monde qu’est l’université", poursuit Paul Marsan. "Sont globalement touchés tous ceux qui ont perdu leurs jobs du fait de la crise et se retrouvent dans une situation financière compliquée voire critique ».
Concernant les recherches de stage, les démarches relèvent parfois d’un parcours du combattant non seulement avec les entreprises mais aussi avec les professeurs référents. « Personnellement, ma prof de stage, lorsque je lui dis mes soucis, la seule chose qu’elle a su dire c’est « faut utiliser ton réseau », relate cette étudiante en L3 qui souhaite elle aussi garder l’anonymat tant le climat est tendu. « Honnêtement je me suis énervée en plein cours. Parce que c’était un conseil non seulement que j’applique, et elle n’a rien d’autre à me donner. Ce qui fait que maintenant je me débrouille toute seule. J’ai zéro information sur ce qui se passe.
J’ai zéro information sur comment il faut faire. J’ai zéro information pour savoir si j’ai le droit d’aller à l’international »
L’ARS débloque des renforts sanitaires sur le campus
L’Agence Régionale de Santé de la Nouvelle-Aquitaine a décidé de débloquer des fonds pour la santé mentale sur le campus. Un coup de pouce qui s’avérait absolument nécessaire. Et qui, aux yeux de certains, tardait à venir. « C’est un public sensible et fragile », rappelle Pierre-Yves Louboutin, chef de projet santé mentale à la délégation de la Gironde de l’ARS.
Il y avait déjà un dispositif qui convenait, et les effets de la crise ne se sont pas fait de manière immédiate.
"Ils se sont développés dans le temps", poursuit Pierre-Yves Louboutin, "on a donc senti qu’il fallait un renfort". "En septembre, nous avons constaté que le Pôle Santé était très sollicité et que les étudiants étaient de plus en plus en demande de consultations. Donc le dispositif existant ne suffisait plus. Cela s’est donc fait dans le temps, de façon logique. Cela a fait son cheminement".
« Lors du dernier confinement, 27% des consultations portaient sur la santé mentale contre 15% en temps normal », explique Sophie Lefevre, chargée de mission sur le suicide et la santé mentale à l’ARS. « Nous avons réagi via des financements qui nous restaient à destination de l'hôpital Charles Perrens. Nous lui avons donné une dotation supplémentaire pour une mise à disposition de trois équivalents temps plein (ETP) de professionnels en santé mentale (infirmiers expérimentés en santé mental ou psychologues). Pourront en profiter les étudiants de la Gironde mais aussi ceux de la Dordogne ou du Lot-et-Garonne en téléconsultation ». Trois professionnels à temps plein sur le campus, ce qui représente une enveloppe de 165 000 euros versée à l’hôpital psychiatrique fin décembre. Jusque-là les professionels de Charles Perrens disposaient à l'université "de quatre demi-journées de psychiatre par semaine et d'un temps plein d'infirmier de psychiatrie". Cela constitue donc une réelle avancée.
L’Agence Régionale de Santé a également acté des ETP supplémentaires dans les autres universités de la Nouvelle-Aquitaine. Un renfort calculé au prorata du nombre d’étudiants. Ainsi, un équivalent temps plein supplémentaire a également été accordé à Pau et Poitiers, mais aussi à La Rochelle et Limoges.
"Un psychologue gère à peu près 30 000 étudiants "
Les étudiants ont besoin d’aide et surtout d’écoute. Concernant la surcharge de travail, l’une d’entre elles raconte. « J’ai essayé d’avertir les profs, mais la seule réponse a été de la “bienveillance” en ajoutant juste une semaine supplémentaire pour un des travaux ». Une réponse mal vécue qui peut démotiver certains élèves pour appeler à la rescousse leurs professeurs. Et parfois la solution passe par une prise en charge thérapeutique pas toujours évidente.
Selon Paul Marsan, la France serait l’un des plus mauvais élèves d’Europe. "Un psychologue gère à peu près 30 000 étudiants qu’il s’agisse de psychologues dédiés à un service pour les étudiants ( sur le campus ou en libéral avec des créneaux dédiés). Il faut que cela change".
Marion Lenoir-Roy est psychiatre à l’hôpital Charles Perrens. Elle reçoit des élèves en consultation sur le campus. Chaque année, le Centre Hopsitalier assure 1800 consultations auprès des étudiants à l’Espace Santé Etudiant. Ces rendez-vous existent depuis de nombreuses années, mais ces derniers mois il y a embolie.
Pendant le premier confinement, on a eu une augmentation de 25% des consultations.
"Aujourd’hui, on observe toujours une augmentation de la demande", poursuit la psychiatre." On ne refuse personne mais les délais se sont allongés". Ce jeudi, elle est sur le campus. Elle réalisera une vingtaine de consultations dans la journée. "On manque clairement de psychologues et de psychiatres", dit-elle, "mais la solution ne passe pas que par eux"." Il faut donner des ressources pour que les étudiants puissent s’aider entre eux, que les professionnels (professeurs, intervenants dans les cité universitaires ou au Crous, agents administratifs) soient sensibilisés pour pouvoir régir de manière plus précoce. Il faut être innovant ».
C’est la raison pour laquelle l’Espace Santé Etudiants propose des groupes de lutte contre l’anxiété sur zoom ou encore des « escape games ». Des outils qui viennent renforcer d’autres dispositifs. « Nous avons développé une formation pour les étudiants délégués ou ambassadeurs, mais aussi le renforcement des lignes des psychologues, des infirmiers, des médecins, qui écoutent nos étudiants pour les aider à passer ce cap et à tenir », explique Anne-Cécile Rahis, directrice du centre de santé.
Idées noires et libération de la parole
Deux études, dont une bordelaise, ont récemment montré une augmentation des idées suicidaires, « sans qu’on ait le chiffre sur l’augmentation du taux de passage à l’acte », explique Marion Lenoir-Roy. Pour la psychiatre, « les idées noires ont toujours été une question présente chez les étudiants ». "Aujourd’hui, ceux qui viennent nous voir, et nous en parlent, sont déjà dans une grande avancée. Le problème, c’est ceux qui ne nous en parlent pas ».
Avec la crise, les étudiants souffrent clairement d’isolement. « Ce n’est pas pareil d’être isolé dans un appartement de 9m2 que dans la maison familiale », poursuit Marion Lenoir-Roy. « C’est là qu’arrive la question des difficultés universitaires avec plus de décrochage et de lassitude sur les cours en ligne. Il est encore plus difficile de suivre des cours sur zoom quand on est anxieux et démotivé. La première chose à faire est de les informer sur ce qui existe pour les aider. Car, quand on ne va pas bien, on n’ose pas demander de l’aide. Et après, il faut mettre en place une prise en charge thérapeutique. Je ne donne pas plus de traitements de type anxiolytique qu’avant mais je sollicite plus des demandes d’aménagement universitaire."
Certains ont lâché, il faut donc travailler avec eux la question à l’échelle d’une vie, leur expliquer que les choses vont se rattraper.
Mais pour la psychiatre de Charles Perrens, cette crise que traversent les jeunes ne s’illustre pas que de manière négative. « Il y a aussi une grande libération de la parole chez les étudiants avec la crise et c’est très positif », analyse-t-elle. « C’est une génération, avec « me too » etc, qui ose parler. Il est moins stigmatisé aujourd’hui d'évoquer sa santé mentale et cela se ressent chez étudiants ».
Une journée nationale de mobilisation est prévue le 20 janvier pour réclamer la réouverture des universités. D'ici là, le Premier ministre Jean Castex a annoncé qu'il recevrait dès vendredi les représentants de la communauté universitaire.
► Ecoutez l'analyse de Greg Descamps, maître de conférence en psychologie à Bordeaux, spécialiste des problèmes d'isolement et de la santé des étudiants :