À quelques jours du début des vendanges 2024, le Collectif Viti 33 a tenu une réunion de crise lundi 2 septembre au Pian-sur-Garonne, dans le sud Gironde, dans une ambiance tendue. Le collectif girondin alerte une nouvelle fois sur la situation catastrophique des viticulteurs bordelais en général et du vignoble de l’Entre-deux-Mers en particulier.
"Cela ressemble un peu à la curée, comme quand on fait une battue, quand les chiens attrapent le gibier, je pense qu'on en est arrivé là", lance Didier Couziney, porte-parole du collectif Viti 33 et maire de Pian-sur-Garonne, en préambule de la réunion "de la dernière chance".
Colère des viticulteurs
L'ambiance n'était pas tranquille au Pian-sur-Garonne lundi soir où 150 personnes étaient rassemblées pour aborder les sujets brûlants de la viticulture du Bordelais. "La campagne d’arrachage n’a rien réglé. La crise est toujours là. La situation est même chaque jour plus catastrophique. Et les mises en redressement judiciaire se sont multipliées cet été", enchaîne Didier Couziney.
La profession s'est montrée à bout hier soir, certains vignerons invectivant les élus locaux présents dans la salle sur leur manque de soutien.
Ils s'en foutent de nous, l'agriculture est vouée à disparaître !
Un vigneron de l'Entre-deux-Mers (33)
Un autre vigneron tient pour responsables aussi les élus de la profession. "Il faut constater que la relance de la commercialisation est un échec. La méthode et les résultats ne sont pas là" regrette-t-il. Au cœur des débats, l'arrachage des vignes en friche, mais surtout le prix de production du vin qui est jugé trop bas et ne permet plus aux viticulteurs de s'en sortir.
"Ce soir, ils sont en détresse, une nouvelle fois, il faut les aider", a réagi Sophie Mette, députée de la 9ᵉ circonscription de Gironde, "il y a une difficulté avec la loi EGALIM (EGALIM II est une loi de 2021 qui entend mieux protéger les agriculteurs français, NDLR) et les projets qui se sont arrêtés avec la dissolution de l'Assemblée nationale. Il faut discuter avec les viticulteurs, tout remettre à plat pour les aider au mieux, notamment sur le prix de production".
Pour Edwige Diaz, députée girondine du Blayais et porte-parole du Rassemblement national, "il faut arrêter de stigmatiser les vignerons au plan environnemental pour "enrayer la descente de la déconsommation. Il faut arrêter de les traiter de pollueurs comme le fait le discours environnementaliste et écologiste qui est à la manœuvre. Je me réjouis que l'on soit un groupe plus puissant aujourd'hui à l'Assemblée nationale, nous pourrons aider les viticulteurs et contrecarrer ces discours fallacieux qui font beaucoup de mal à la viticulture française et particulièrement girondine."
Commercialisation en baisse de 40 %
Ces dernières années, la baisse de la consommation de vin se poursuit. La région de Bordeaux a été la première touchée, car elle est une grosse productrice de vin rouge, et elle a subi par ailleurs le retournement du marché chinois. Selon le CIVB, les viticulteurs du Bordelais enregistrent des baisses de commercialisation entre 25 et 40 % pour les rouges, toutes appellations confondues, à l'exception des plus prestigieuses Margaux et Pauillac.
"La déconsommation de vin n'est pas qu'à Bordeaux, elle est partout en France. Et partout dans le monde, en particulier sur les vins rouges, explique Bernard Farges, président du CIVB. Bordeaux arrache des vignes, la Californie arrache des vignes, l'Australie, le Chili, et d'autres régions en France veulent arracher des vignes, notamment le Languedoc et toute l'Occitanie".
Le patron de l'interprofession du vin de Bordeaux défend une solution pour redynamiser les ventes. "Il faut soutenir la consommation de vin en France avec une consommation saine et équilibrée. Il faut faire découvrir les vins au consommateur français comme on le fait avec Bordeaux fête le vin. Il faudrait faire cet évènement ailleurs, comme on investit un certain nombre de festivals auprès des jeunes".
Le vin est moins à la mode qu'il n'était, il faut redonner le goût à ce produit sans vouloir saouler les Français, mais y a besoin de relancer la consommation.
Bernard Farges,président du Conseil interprofessionnel du Vin de Bordeaux
Hausse des mises en liquidation
Dans ce contexte de crise, Bastien Mercier, maire de Camiran et membre du collectif Viti 33, alerte sur le nombre de viticulteurs qui se retrouvent en grandes difficultés financières. " De plus en plus de vignerons se retrouvent en procédure devant le tribunal de commerce. C’est le désarroi. Ils arrivent ici complètement démunis, ont peur de la justice, car il y a encore des gens qui n'ont jamais eu de problème avec la justice et qui se demandent ce qu'ils ont fait pour en arriver là. Donc, ils ont peur d'un jugement qui ne vient pas d'eux, mais d'une crise conjoncturelle et structurelle.
Le problème est que beaucoup d'agriculteurs sont rentrés en procédure tardivement, qu'ils n'ont pas forcément les finances pour faire tourner la boutique durant cette période d'observation.
Bastien Mercier,membre du collectif Viti 33
Le risque, c'est qu'en ayant attendu le dernier moment, il y est beaucoup de liquidations, et derrière une incapacité de pouvoir payer les fournisseurs ou des vendeurs de matériel qui ont des dettes. Ne pas aider les agriculteurs et les viticulteurs, c'est entraîner une autre crise derrière", redoute-t-il.
Incertitude sur les vendanges 2024
La profession, déjà un genou à terre, redoute par ailleurs les vendanges qui vont bientôt commencer. Les attaques de mildiou ont encore frappé la Gironde cette année. Guillaume Lemoing, jeune viticulteur qui exploite 57 hectares de vignes dans l'Entre-deux-Mers, a constaté également des problèmes de mûrissement des raisins malgré les traitements. Les attaques de la vigne, cela se traduit par des coûts de production plus élevés. "Espérons qu'il y aura le rendement, car déjà qu'on est payé très bas, s'il n'y a pas le volume, ça va être très compliqué", annonce-t-il. S'il s'en sort encore, c'est grâce à quatre systèmes de commercialisation de son vin auprès de la grande distribution.
L'an dernier, le mildiou avait engendré des dégâts dans 95 % du vignoble girondin. L'AOC Bordeaux rouge avait enregistré une récolte historiquement basse.
Plan d'arrachage prolongé
Concernant le plan d'arrachage, le délai de demandes des aides d'état via les services de la préfecture de Gironde, est prolongé jusqu'au 30 septembre. Les viticulteurs peuvent obtenir 6000 euros par hectares.
Au 22 août, la préfecture avait enregistré 4 500 hectares de vignes arrachées avec aides et 3 000 hectares sans aides. Le plan d'arrachage en Gironde bénéficie de 38 millions d'euros apportés par l'état et de 19 millions d'euros du CIVB pour favoriser la reconversion des terres. Dans le premier plan d'état, les aides étaient dédiées aux parcelles laissées nues après arrachage.