Fin de vie. Certains ont déjà aidé des malades à mourir, d'autres refusent de "donner la mort" : la loi divise les médecins

Le projet de loi sur l'aide à mourir, dont les grandes lignes viennent d'être dévoilées par Emmanuel Macron, suscite des réactions très opposées. Impensable pour certains soignants, à améliorer pour ceux qui attendaient une loi depuis longtemps... Le Dr Mesnier, atteint lui-même de la maladie de Charcot, raconte l'ambivalence d'une telle décision.

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"Oui, j'ai aidé des malades en fin de vie et en grande souffrance, qui le demandaient, à mourir. Antoine Mesnier, médecin généraliste bordelais atteint de la maladie de Charcot, l'avoue très franchement : j'ai aidé un ami proche. Car une agonie peut être longue et abominable. Et je ne suis pas le seul soignant à avoir accepté de pratiquer un tel acte. Aujourd'hui, nous risquons la prison, cette loi va nous protéger". 

Le projet de loi sur la fin de vie, annoncé dimanche 10 mars par Emmanuel Macron, prévoit quatre grandes conditions pour pouvoir bénéficier de cette "aide à mourir". Un, la personne doit être majeure. Deux, être capable d'un discernement plein et entier. Trois, sa maladie doit être incurable et son pronostic vital engagé à court ou moyen terme. Quatre, ses souffrances physiques ou psychologiques doivent être réfractaires, soit impossibles à soulager.  "Si tous ces critères sont réunis, s'ouvre alors la possibilité pour la personne de demander à pouvoir être aidée afin de mourir", explique le président, précisant toutefois qu'il "revient à une équipe médicale de décider, collégialement et en toute transparence, quelle suite elle donne à cette demande".

"Vivre avant de mourir"

Antoine Mesnier, se sachant lui-même condamné par la maladie, a laissé des consignes. "Lorsque j'aurai perdu l'usage de mes bras et de mes mains... honnêtement, est-ce que vous accepteriez de vivre en ne bougeant que les paupières ?" Il a désigné deux amis. "Je ne voudrais pas qu'ils soient inquiétés à cause de moi". 

Il reconnaît cependant que la décision n'est pas si simple. En apprenant sa maladie, il a immédiatement pensé à l'euthanasie. Puis s'est ravisé. "Je me suis dit, j'ai envie de vivre avant de mourir, et j'ai bien fait. Voyez, je viens juste de faire connaissance avec ma petite-fille qui vient de naître". Il raconte aussi la culpabilité qui l'a rongé après avoir pratiqué l'injection sur son ami.

Un jour, je serai puni, j'aurai, moi aussi, la maladie de Charcot.

Antoine Mesnier

Médecin généraliste atteint de la maladie de Charcot

"J'ai vu un psychiatre pendant 18 mois après avoir fait partir mon ami atteint de la maladie de Charcot. Pourtant, je l'ai fait sur sa demande, en accord avec tous ses proches. J'avais promis, j'ai tenu. Mais je vais vous dire quelque chose d'horrible : je me suis dit, un jour je serai puni, j'aurai moi aussi la maladie de Charcot". 

Alors légiférer, il le réaffirme, il est pour à 100%. Mais il sait que les débats seront compliqués, très compliqués. "Il va falloir beaucoup de temps pour qu'une loi aboutisse, si elle aboutit un jour."

"Pas choisi ce métier pour ça"

Ce point de vue est loin d'être partagé par tous les soignants. "Ma réaction ? Colère, tristesse et incompréhension" lâche le docteur Emmanuel de Larivière. À la tête du pôle de soins palliatifs de la maison de santé Marie Galène à Bordeaux, il ne s'imagine pas un instant décider de la vie ou de la mort de ses malades, même " à l'issue d'une réunion collégiale". 

Je n'ai pas choisi ce métier pour ça. Donner la mort, je ne considère pas que ce soit un soin

Emmanuel de Larivière

Responsable pôle soins palliatifs maison de santé Marie Galène

"Je n'ai pas choisi ce métier pour ça. Donner la mort, je ne considère pas que ce soit un soin", proteste le Dr de Larivière, qui travaille depuis treize ans auprès de malades en fin de vie.

"Je ne m'imagine pas préparer une seringue, administrer un produit létal, surveiller que le malade meure bien, puis continuer ma journée en allant soigner mes autres patients". Pour lui, sans aucun doute, il est nécessaire de mettre en place une cellule médico-psychologique indépendante pour valider un tel acte.

48 heures pour se décider

Si médecins et personnel soignant pourront faire valoir leur clause de conscience pour éviter d'avoir à pratiquer ce geste irréversible, Emmanuel de Larivière s'inquiète du délai très court entre la décision et l'action. "Il est question de 48 heures pour tester la solidité de la détermination du patient et de quinze jours pour répondre à cette demande de mort. Dans la réalité, on voit bien l'ambivalence : ce n'est pas en 48 heures que les choses peuvent être réglées. Les patients peuvent changer d'avis, un jour dire oui, un autre non". Il pointe également la difficulté de déterminer le caractère réfractaire de la souffrance : "il va falloir dire oui à tel patient et non à un autre sur des critères très subjectifs".

Le médecin, par ailleurs administrateur de la SFAP, la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, assure que sa position n'a rien d'idéologique. Il souligne la différence entre la loi actuelle, qui permet de "maintenir endormi un malade en fin de vie jusqu'à ce que la mort arrive" via la sédation longue et profonde, et ce projet de loi, visant à "administrer un produit qui va donner la mort en quelques secondes".
"Si cette loi passe, je ne pourrai pas continuer à travailler en soins palliatifs", affirme le Dr de Larrivière.

"Il y a des gens qui ne veulent pas souffrir"

"Certes, les médecins des soins palliatifs sont contre ce projet de loi, mais il y a des gens qui ne veulent pas souffrir" argumente Jacques Vialettes, délégué lot-et-garonnais de l'ADMD, l'Association pour le droit de mourir dans la dignité. "L'ADMD a toujours dit qu'il fallait renforcer le palliatif, mais certains malades n'en veulent pas".

Il s'agit ici de la liberté ultime de finir sa propre vie.

Jacques Vialettes - délégué ADMD 47

L'association salue, elle, l'engagement du président : "c'est la première fois qu’un texte de légalisation de l’aide active à mourir sera porté par un projet de loi, et non par une proposition de loi d’origine parlementaire ; avec de fortes chances d’être adopté par le Parlement". Mais l'ADMD attend de nombreux ajustements. "Le pronostic vital engagé à court ou moyen terme, c'est quoi précisément ? Six mois, un an, deux ans ? Et puis nous demandons que le malade lui-même puisse choisir, la décision ne doit pas revenir au seul collège de soignants". 

Le projet de loi doit être examiné par le Conseil d'Etat, puis sera discuté en avril en conseil des ministres avant d'arriver à l'Assemblée Nationale en mai, pour une première lecture. 

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