Inquiétude pour la nature, terres agricoles transformées en gravières... le projet de ligne à grande vitesse, censé relier Toulouse à Bordeaux, continue de cristalliser les tensions. Près de La Réole, en Gironde, les opposants dénoncent un projet "aberrant".
"Une fois qu'il y aura ces pylônes, le paysage sera mort à jamais." Dans la voix d'Alain Chadoutaud, un soupçon de nostalgie. De la peur, surtout, de voir les forêts qu'il arpente depuis plus de 25 ans, se transformer pour changer radicalement de visage. La future LGV, reliant Bordeaux à Toulouse, est censée passer à une centaine de mètres des sentiers de Balizac, en Gironde. Inconcevable pour cet amoureux de la nature, qui qualifie le projet "d'aberration environnementale".
"Un danger pour la faune sauvage"
Il connaît chacune des espèces qui habitent les sous-bois. "Là, regardez, une crotte de mustélidé, ou ça, peut-être un renard." Alain Chadoutaud habite la commune depuis une vingtaine d'années et sillonne les forêts depuis autant de temps. "La richesse du lieu", il pourrait en parler des heures, tout comme de son indignation face au projet de LGV, qui devrait traverser la zone forestière. "Imaginez un train qui passe à 300 kilomètres/heure, ça va être une horreur, lâche-t-il, effondré".
Les gens qui habitent les grandes métropoles ont besoin de ces lieux pour se promener. Si ça disparaît, c'est juste une profanation des lieux.
Alain Chadoutaudprésident de l'association Adryades
Pour ce Girondin, aussi président de l'association écologiste Adryades, ce projet, qui devrait voir le jour d'ici six à sept ans, "est dangereux pour la faune sauvage". "Quand on vient ici, on peut entendre le cri de la chouette, glisse-t-il. Il y a des gens qui vivent ici, qui vont regarder passer ce train qui va défigurer le paysage alors que c'est la seule richesse qu'ils ont."
Le village entouré de gravières
Le début des travaux est annoncé d'ici à la fin de l'année. En Gironde, certains chantiers ont même déjà débuté. La ligne Bordeaux-Toulouse, longue de 200 kilomètres, devrait permettre de rapprocher l'Occitanie à la capitale. "C'est aberrant de faire une ligne parallèle à celle existante, au lieu d'aménager celles qui existent déjà, tout simplement pour qu'une toute petite minorité de gens puisse gagner une heure", martèle l'écologiste.
Les opposants s'étendent sur tout le territoire. Dans la commune de Bourdelles, à la frontière entre la Gironde et le Lot-et-Garonne, les habitants font aussi entendre leurs inquiétudes. La ligne du futur train ne devrait passer qu'à une cinquantaine de kilomètres d'ici et pourtant, le village devrait lui aussi en subir les conséquences.
Plus de 120 hectares de terrains agricoles devraient être transformés en gravières, pour extraire le béton qui servira à la construction de la ligne LGV. "On sait depuis peu que ça va servir essentiellement à l'alimentation des centrales à béton pour construire les ouvrages d'art", détaille Hugues Savoye, membre du collectif "Les Garonnais liquidés" contre "la liquidation des terres agricoles".
"C'est fou de détruire un tel potentiel agricole"
Des chantiers menés par la société Lafarge, qui viendra ici creuser jusqu'à cinq mètres sous terre. En Gironde, de nombreux manifestants anti-LGV viennent s'opposer à ces carrières de béton, destinées à la construction de la ligne. Hugues Savoye en fait partie :"On fait tout pour que cette gravière ne soit pas là, on se refuse à l'imaginer."
"C'est comme si on gommait de la carte des surfaces agricoles", peste le membre du collectif "Les Garonnais liquidés". Selon lui, "ces terres agricoles ont un énorme potentiel". "Si on travaille en maraîchage ces terres, un hectare peut nourrir 70 familles. C'est considérable pour les générations futures et c'est primordial de les préserver", insiste-t-il.
Il a fallu des millions d'années géologiquement pour qu'on arrive là. Lafarge va prélever des ressources non renouvelables. C'est fini, une fois qu'on aura tapé dedans, il n'y aura plus rien derrière.
Hugues Savoyemembre du collectif "les Garonnais liquidés"
En Gironde, comme à l'autre bout de la ligne à Toulouse, des travaux préparatoires ont déjà démarré. La LGV devrait voir le jour d'ici six à sept ans.