En région Nouvelle-Aquitaine, l'aide au maintien de l'agriculture biologique va être reconduite, pour la seconde année consécutive, en 2024 à hauteur de 14 millions d'euros. Une aide qui encourage les agriculteurs engagés à poursuivre cette filière. Pourtant, face aux contraintes et à la restriction du marché, certains agriculteurs songent à jeter l'éponge.
Comme chaque jour depuis 25 ans, Jean-Denis Dubois distribue le fourrage dans les mangeoires. Du foin produit sans engrais ni pesticides car l'éleveur de vaches laitières est engagé en agriculture biologique, une filière en difficulté.
Cette année encore, il devrait bénéficier de l'aide exceptionnelle de la Région Nouvelle-Aquitaine."Cette aide au maintien de l'agriculture biologique va permettre à beaucoup d'agriculteurs de se maintenir et continuer et ne pas rentrer dans la "déconversion"...
14 millions d'euros
Avec l'inflation, l'argument bio n'est pas le seul critère d'achat pour les consommateurs qui sont de plus en plus limités par leur porte-monnaie. Face à ce désamour, les ventes régressent et dans le même temps les contraintes du bio face aux aléas (traitement des maladies ou parasites) sont de plus en plus prégnantes. Les agriculteurs sont de plus en plus forcés d'opérer une "déconversion" en retournant dans le conventionnel. Pour l'Etat, il s'agit de limiter cette fuite des agriculteurs bio en les aidant à poursuivre leur activité durant cette crise qu'on espère ponctuelle.
La région Nouvelle-Aquitaine, première région agricole et deuxième région productrice de Bio en France, se substitue à l'Etat dans le maintien de cette agriculture biologique. Elle a annoncé, ce 15 décembre la reconduite en 2024 de l'aide exceptionnelle, pour la seconde année consécutive. Elle sera de 14 millions d'euros. Il s'agit pour la région de maintenir ces acteurs économiques mais de contribuer dans le même temps à la biodiversité et à la santé des agriculteurs.
Engagés dans le Bio
À 37 ans Benjamin Caie s'est engagé dans l'agriculture Bio sur le tard. Il y a trois ans, il a choisi un métier plus en adéquation avec ses convictions environnementales. Autrefois directeur commercial dans une enseigne de matériels sportifs, il est devenu maraîcher à la Ferme du Plantey à Gradignan en Gironde. Il produit une trentaine de légumes mais ne peut se verser de véritable salaire. Il demande lui aussi l'aide régionale. "Ça va m'aider quand même à pérenniser l'activité et surtout à la faire entrer dans un rythme de croisière pour les années futures (...) Si on peut être aidés dans les moments difficiles c'est bien".
Regardez le reportage de Marthe Dolphin et Nicolas Pressigout.
durée de la vidéo : 00h01mn35s
En région Nouvelle-Aquitaine, l'aide au maintien de l'agriculture biologique va être reconduite, pour la seconde année consécutive, en 2024 à hauteur de 14 millions d'euros. Une aide qui encourage les agriculteurs engagés à poursuivre cette filière. Pourtant, face aux contraintes et à la restriction du marché, certains agriculteurs songent à jeter l'éponge.
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©France télévisions
Plus que des subventions, "il faut des acheteurs"
Samuel Allix est à la tête d'une ferme agricole à Saint Jean d'Illac. Ici, on produit des légumes depuis 50 ans et, en 2016, on a choisi de consacrer une partie des cultures à l'agriculture biologie. "On a converti des terrains conventionnels dans le courant des années 2010 à 2020". La ferme ALLiX a connu un succès notamment avec sa production de pommes de terre Bio. De 3 ha "pour apprendre" en 2016 jusque 42 ha en 2021, "avec d'autres producteurs" pour pouvoir alimenter la grande distribution.
"Aujourd'hui, on a un retournement de marché assez violent, une baisse de la demande. Il y a eu un croisement des courbes : on continuait de produire de plus en plus alors que la consommation s'effondrait..." Le producteur semble abasourdi par les changements d'habitude des consommateurs souvent dictés par le prix, en grande surface notamment.
En trois ans, on a perdu 50% de nos volumes de ventes en Bio.
Samuel AllixProducteur de pommes de terre Bio
Il travaille avec deux groupes de la grande distribution mais reste prudent pour les récoltes à venir. "On est repassé de 42 à 20 ha en Bio cette année et malgré la baisse des surfaces, j'ai encore la moitié de ma production Bio qui ne sera pas vendue en Bio mais de façon "anonyme" à des tarifs conventionnels", soit 35% moins cher. Mais le coût de production n'est pas le même, insiste-t-il, notamment à cause des engrais bio qui ont flambé ces dernières années, avec un changement de législation et des contraintes supplémentaires.
Avec un tel tableau, il souhaite se projeter une année encore avec 20 ha de pommes de terre l'an prochain mais après, ne "sait plus quoi produire..." Il ajoute que "dans les réunions Bio" du secteur, "beaucoup n'attendront pas un an". Dans les rayons, c'est surtout le prix qui compte. Il reste pragmatique : "ce ne sont pas des paroles ou des subventions qu'il faut, ce sont des acheteurs !".
Le choix ou non de la "déconversion"
En un an, plus de 200 exploitations ont renoncé au Bio en Nouvelle-Aquitaine. Certains sortent du Bio à cause des contraintes ou de la non-rentabilité, d'autres, comme Alexandra Bruere et son mari, ne peuvent pas faire autrement.
Quadragénaires aujourd'hui, ils venaient tous deux de familles d'agriculteurs. Il a repris l'exploitation de ses parents et elle, celle de ses grands-parents en 2001 et 2003, à Saint Denis de Pile et Les Billaux. À eux deux maintenant ils disposent d'une exploitation de près de 110 hectares de prairies, une trentaine de vaches et quelques vaches à viande. Ils sont passés en agriculture bio en 2021. "On avait énormément de parcelles de prairies qui étaient beaucoup en zone Natura 2000, on ne pouvait pas faire ce qu'on voulait".
Situés en Gironde, ils ne sont pas si nombreux à produire du lait. Encore moins du Bio. "En Bio, ce qui nous pose problème, c'est que je n'ai toujours pas de laiterie Bio. J'ai toujours, heureusement, mon ancienne laiterie qui nous le prend mais toujours en conventionnel". C’est-à-dire qu'elle le vend entre 400 et 440 euros les 1000 litres alors qu'il y a quelque temps, selon elle, l'achat en Bio était environ 100 euros de plus.
"Les débouchés qu'il y aurait, seraient de faire de la vente directe totale. Mais cela demande des investissements énormes : un laboratoire et tout le matériel pour faire de la transformation.... Et, à l'heure actuelle, les banques ne prêtent plus".
Alexandra et son mari n'ont pour autant pas prévu encore d'arrêter leur démarche bio même si "on ne sait pas comment ça va évoluer".
Une chose est sûre, ils ne peuvent bénéficier des aides pour le maintien en bio, puisqu'ils n'ont pas vendu en bio. Ils ne sont pas en capacité de faire des investissements supplémentaires sur l'exploitation.
Ils s'organisent familialement pour la faire tourner et travaillent déjà, chacun, à mi-temps, comme chauffeur de bus et contrôleuse laitière, pour pouvoir dégager un revenu suffisant. Ils ont deux grandes filles, de 17 et 21 ans. La plus grande, qui a fait des études agricoles, les relaie régulièrement, et voudrait pouvoir se projeter, elle aussi, pourquoi pas, dans de l'agriculture bio.