Depuis le 17 avril 2023, la pêche à la lamproie, emblématique du sud-ouest, est suspendue en Gironde. L'association Défense des Milieux Aquatique a obtenu gain de cause auprès du tribunal administratif de Bordeaux pour protéger une espèce "en plein effondrement". En face, les pêcheurs de lamproies assurent ne pas être responsables et veulent se battre pour continuer leur activité.
"C’est une excellente nouvelle, c’est tout simplement du bon sens. On va suivre son évolution et on espère que la lamproie va pouvoir réinvestir son milieu." À l’association Défense des Milieux Aquatique (DMA), Gwenaëlle Boulet se félicite de la décision du tribunal administratif de Bordeaux. Le 17 avril 2023, celui-ci a suspendu toute autorisation de pêche à la lamproie. Une victoire pour l’association qui se bat depuis des mois pour défendre l’espèce menacée et combattre sa pêche, traditionnelle dans le sud-ouest. Du côté des pêcheurs, cette interdiction a un goût très amer, mais ils annoncent vouloir se battre pour défendre leur activité.
"On ne vide pas la Garonne"
C’est sur son bateau, en train de relever son filet, que le pêcheur de lamproie professionnelle Vincent Desqueyroux apprend la décision du tribunal administratif. "J’en ai un petit peu les larmes aux yeux, avoue-t-il. C’est l’incompréhension parce qu’on a tout fait comme on nous l’a demandé." Ancien vigneron, il est reconverti depuis 5 ans dans la pêche à la lamproie, qui représente à présent 80 % de son activité. Si le pêcheur observe bien une diminution du poisson qui se reproduit dans la Garonne, selon lui, "ce n’est pas la faute des 35 pêcheurs professionnels de lamproie". "On ne vide pas la Garonne, et ce n’est pas notre but. Notre but, c'est que la lamproie se reproduise pour en pêcher tous les ans", ajoute-t-il.
Vincent Desqueyroux pointe un autre "fléau", argument principal des pêcheurs : "Le silure se nourrit de poissons migrateurs 24h/24, dont la lamproie. Il faut le réguler." Pourtant, du côté de l’association DMA, on relève que la responsabilité du silure n’a jamais été démontrée et que les chiffres de la pêche sont éloquents. "L’an dernier, il y a eu une pêche déclarée de 77 500 spécimens, ce qui est énorme, qui plus est pour une espèce en danger ! Il faut arrêter le carnage", pointe Gwenaëlle Boulet.
Des études alarmantes
L’association comme le tribunal administratif se basent sur une étude de l’association Migado qui fait un constat alarmant sur la faible reproduction de la lamproie. "Il n’y a plus de larves dans les sédiments", s’alarme la bénévole de DMA. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (Uicn), en Europe, en 50 ans, les poissons migrateurs, dont la lamproie, ont diminué de 93 %.
"L’association s’est fondée sur des chiffres totalement faux, rétorque Vincent Desqueyroux. Ils ne nous ont rien demandé, ils ne sont pas venus nous rencontrer et moi, je trouve que c’est le plus désolant. Une association décide un beau jour d’interdire une pratique et voilà !" Selon le pêcheur, l’ancien arrêté, qui visait à réduire à 45 % la pêche à la lamproie, était suffisant. "On a fait un effort colossal, on a relâché 10 000 lamproies, cela a un cout, on y passe beaucoup de temps. Tout cela, on le fait", assure-t-il.
S'ils vont sans doute se tourner vers un autre type de pêche, les pêcheurs de lamproies alertent sur les effets néfastes de la suspension de la pratique sur l’économie. "Ce sont des entreprises en péril. Pas uniquement la pêche, mais aussi les fabricants de filets, les fabricants de bateaux, les fabricants de moteurs, les conserveries, les restaurateurs… La conserverie avec laquelle je travaille, par exemple, ne va plus acheter de bocaux et ne va plus avoir besoin de ses 2 salariés", argumente Vincent Desqueyroux.
Un argument qui ne passe pas pour Gwenaëlle Boulet : "Comment justifier la pêche d’un poisson en danger ? Les intérêts économiques ? Au moins 80 % des pêcheurs de lamproie sont en double activité. Ils sont viticulteurs, artisans, marins-pêcheurs ou retraités. Quand on leur a demandé leur chiffre d’affaires, nous n’avons pas eu de données."
Un dialogue rompu
Les relations entre associations de protection de l’environnement et les pêcheurs de lamproies ne sont pas au beau fixe. Ces derniers dénoncent des attaques de principe de la part des association écologistes. "Tout cela, c'est une culture qui est attaquée sans cesse. Depuis maintenant 5 ans, on est attaqué sans savoir pourquoi. Aujourd’hui, ce sont les pêcheurs, demain ce seront les bouchers ou les charpentiers parce qu’ils coupent un arbre de travers", accuse Vincent Desqueyroux. Avant de continuer : "On nous demande de faire de la pêche locale, de faire du circuit court, et franchement plus court, il n’y a pas. On nous demande de faire bouger notre culture, de faire vivre nos traditions, et là on nous l’interdit."
L'effondrement de la lamproie marine est en train de se réaliser sous nos yeux et sera acté en 2026 au plus tard.
Philippe Garcia, président de l'association Défense des Milieux Aquatiques
"S’il y a un effondrement total de l’espèce, il n’y aura, quoi qu’il en soit, plus de tradition", rétorque Gwenaelle Boulet. Mais suite à l’annonce de la décision du tribunal administratif de Bordeaux, sur les bords de la Garonne, les pêcheurs, même occasionnels, s’inquiètent. "J’ai peur que, comme l’alose, la pêche soit fermée pour toujours. Pour moi, c'est juste un loisir et faire des bons plats avec les copains", assure Jean-Pierre Barbe.
"Que les gastronomes se rassurent, déclare avec une pointe d’ironie le président de DMA, Philippe Garcia. C’est une espèce envahissante aux USA. Les Américains ne savent plus comment s’en débarrasser. Il semble que le marché de la gastronomie bordelaise ne devrait donc pas manquer de lamproies." Ce qui ne manque pas d’agacer les pêcheurs locaux qui se battent déjà contre les importations. Mais Vincent Desqueyroux l’assure, les pêcheurs de lamproies n’ont pas dit leur dernier mot.
Avec Gladys Cuadrat