Frédéric, 49 ans, ancien sergent-chef de l'armée de terre est l'un des nombreux militaires blessés lors d'une opération extérieure, souffrant de syndrome post-traumatique. Ce dimanche 22 septembre, il s'élancera pour 300 km de marche depuis le Tarn jusqu'à la maison Athos de Cambes en Gironde, structure qui accompagne les militaires blessés psychiques.
Il prépare son sac avant de s'élancer sur la route et tout n'y rentrera pas. Qu'importe ! Ce dimanche 22 septembre, Frédéric, quittera sa commune de Saint-Pierre-de-Trivisy dans le Tarn pour rejoindre la maison Athos à Cambes, près de Bordeaux, en Gironde. Cette structure accompagne les blessés psychiques de l'armée.
Un parcours de 600 km aller-retour réalisé à pied, en autonomie, pour renouer avec lui-même. "Depuis ma blessure en 2010, il y a une partie de moi qui est morte, la partie vivante, celle qui était joyeuse. J'ai envie de la retrouver", relate Frédéric.
Blessé suite à un tir fratricide
Ancien sous-officier dans l'armée de terre, il effectue une mission de maintien de la paix au sud du Liban, sa 7ᵉ en opération extérieure, quand sa vie bascule. Une roquette antichar explose juste à côté de lui, suite à un tir fratricide, déclenché accidentellement.
Gravement blessé à la tête et aux cervicales, Frédéric reprend le travail au bout de deux mois avec un corset cervical et développe un syndrome post-traumatique. Aucune prise en charge n'est enclenchée pour lui, ni pour son épouse, qui passera des mois à le faire manger, à l'habiller, à l'accompagner dans les gestes du quotidien. Promis initialement à une belle carrière, il finit par quitter l'armée deux ans plus tard. "J'avais quatorze ans de service, j'aurai pu prétendre à une retraire 5 ans plus tard. Je suis parti sans rien."
S'ensuit une descente en enfer. "Des années où je me suis complètement isolé, de mes amis, de ma famille, à cauchemarder toutes les nuits. J'ai beaucoup de mal à rester en prise avec le présent." Frédéric rate son insertion dans le monde "civil", malgré plusieurs tentatives. Il s'enfonce dans son mal-être, sans jamais oser demander de l'aide.
J'adorais mon boulot, j'étais doué, je me demande comment j'ai pu démissionner et en arriver là, au fond du trou.
FrédéricAncien sergent-chef de l'armée de terre
Une prise en charge tardive
C'est sa rencontre avec le président des anciens combattants du centre Tarn, Cyril Pefaure, ancien parachutiste, également blessé lors d'une "Opex", qui va tout changer en 2019. "À son époque, comme à la mienne, il n'y avait quasiment rien pour accompagner les soldats blessés en opération extérieure, ni leur famille, décrit celui qui est devenu son ami. C'est seulement depuis 2015 que les choses ont changé."
Avec ce nouveau soutien, Frédéric est aiguillé sur ses droits. Il devient membre de l'Union des Blessés de la Face et de la Tête (UBFT), plus connue sous l'appellation des "Gueules Cassées", est expertisé sur le plan médical et bénéficie désormais d'une pension militaire d'invalidité.
Il est aussi pris en charge par l’hôpital d’instruction des armées Robert Picqué près de Bordeaux, puis par la maison Athos de Cambes, la première à avoir été créée en France sur les cinq existantes.
Là-bas, il rencontrera d'autres militaires blessés comme lui. Cent-soixante blessés psychiques y sont accompagnés volontairement depuis l'ouverture du dispositif en 2021, mis en place par le Ministère des armées. "Notre structure ne se résume pas à un lieu d'accueil, c'est un ensemble d'outils utilisés pour répondre aux besoins et aux attentes du blessé qui évoluent dans le temps", détaille François Etourmy, son directeur.
Sur place, d'anciens militaires y viennent à la journée ou à la semaine, dans l'objectif de sortir de l'isolement, en recréant du lien avec d'autres qui ont le même vécu, à travers des activités très diverses et sous l'œil des équipes de la structure. "Ensuite, on travaille sur le fondement d'un projet comme celui de Frédéric. Le sien a émergé de manière autonome", rapporte le directeur de la structure.
Souvent, quand les blessés psychiques ont avancé, ils ont envie de matérialiser par une aventure, comme cette marche, une confrontation à eux-mêmes, et ils vont parcourir ce chemin comme ils ont parcouru toutes les étapes de leur reconstruction
François EtourmyDirecteur de la maison Athos de Cambes
Arrivée prévue le 30 septembre
Frédéric devrait arriver à Cambes le 30 septembre et y passer quelques jours, avant d'entamer les 300 km retour jusqu'au Tarn. Aujourd'hui, l'ancien sous-officier, désormais réserviste à Albi, se sent à la croisée des chemins. "Depuis quinze ans, c'est ma femme qui porte tout, c'est aussi pour lui rendre un peu hommage que je fais cette marche et pour la laisser respirer. Avec ce petit défi, j'espère avoir le déclic pour tourner la page, trouver ma place à presque 50 ans", lâche-t-il.
Il avancera au rythme d'environ 30 à 40 km par jour. Ne disposant que de peu de moyens, malgré un fort soutien des anciens combattants du Centre Tarn et des Gueules Cassées, il espère pouvoir compter sur un peu de solidarité et dormir dans les granges de ferme ou des monastères, pour protéger son matériel. Certains anciens militaires viendront marcher avec lui quelques kilomètres, mais Frédéric n'est pas contre un peu de compagnie pour l'aider à avancer sur le long chemin de la sérénité intérieure qu'il cherche à retrouver.
Avec cette initiative, il espère adresser aussi un message d'espoir à tous les militaires blessés, qui comme lui, se sentent désarmés face à leur propre traumatisme.