Bien malgré lui, l'homme en bleu était devenu un emblème de Limoges. Depuis son décès tragique, la famille nous a fait savoir qu'elle souhaitait des obsèques dans l'intimité alors que, sur les réseaux et dans la ville, les hommages défilent. Mais pourquoi était-il si apprécié ? Nous avons posé la question à un historien et un spécialiste du monde de la culture.
"Cet engouement, cela nous dépasse", nous confie Jacques Roux, la maire de la petite commune d'Eyjeaux. Depuis l'annonce de son décès, les hommages à l'homme en bleu se multiplient. Sur les réseaux sociaux, les messages affluent en nombre : "Immense chagrin", "une personne emblématique, toujours souriante" et même "C'était une légende."
"Le vélo, c'était toute sa vie"
La famille ne souhaite pas communiquer sur ce décès. "Le vélo, c'était plus qu'une passion pour lui, c'était sa vie", confie simplement sa soeur qui était également sa tutrice. Par téléphone, elle fait savoir qu'elle déconseille aux gens de se rendre aux obsèques. "Nous préférons une cérémonie dans la plus stricte intimité", nous explique-t-elle.
Face à cette discrétion de l'entourage de la victime, un engouement inattendu qui dépasse les frontières du Limousin : chacun poste sa photo de l'homme en bleu, devenu icône de la ville malgré lui.
La ville de Limoges a même décidé de participer à l'hommage en parant la mairie d'un manteau bleu tous les soirs de la semaine et en organisant une "marche bleue", ce samedi à 10 heures au départ du Champ-de-Juillet, où il est recommandé de se vêtir en bleu.
Suite à l’émotion suscitée par le décès tragique de Jean-Marc Chatard le 8 novembre dernier, la Ville de Limoges a décidé d’illuminer l’hôtel de ville en bleu jusqu’au samedi 16 novembre en hommage à celui qui était surnommé "L’homme en bleu" et était devenu une figure de… pic.twitter.com/UreTvzD4fj
— Ville de Limoges (@VilleLimoges87) November 13, 2024
Mais pourquoi le décès de Jean-Marc Chatard fait-il autant parler ?
"L'homme en bleu est un vestige d’une certaine époque"
"Je l’ai remarqué comme tout le monde. Lui et son vélo. Un véritable phénomène." Richard Madjareff se plaît à repenser cette figure locale, et se désole de sa fin brutale." Il y a toujours eu des personnages reconnaissables dans le Limousin", relate-t-il. L'ancien directeur adjoint des affaires culturelles du Limousin se souvient notamment des années 60 : "À cette époque, il y avait d’autres personnages, des marginaux, explique-t-il. Ils étaient habillés de façon spéciale. À Limoges, certains venaient à la bibliothèque municipale pour se réchauffer. À Tulle en Corrèze, il y en avait quelques-uns aussi. Je me souviens d'un gars à vélo, que l’on appelait 10 h 10. Il y avait aussi un philosophe, toujours avec un manteau marron. Petit à petit, ces personnages ont disparu, il ne restait que l’homme en bleu."
Selon Richard Madjareff, il y a, dans cette figure, la fin d'un temps révolu : "L'homme en bleu était un vestige d’une certaine époque. Une représentation sociale de la fin de l’époque moderne."
L'homme en bleu, un miroir sur le passé ouvrier ?
La fin de l'époque moderne, c'est une idée qui fait écho au travail de Vincent Brousse. Ce professeur agrégé d'Histoire a longtemps travaillé sur la mémoire ouvrière de la région. Si l'homme en bleu était aussi populaire, c'est peut-être qu'il était un miroir tendu aux habitants. "Il incarnait l’extrême humilité des habitants de la Haute-Vienne et du Limousin, affirme l'auteur de Limoges, humble et rebelle (2023). Par le fait de se déplacer à vélo - un vélo très simple - un moyen de locomotion particulièrement humble."
Et puis sa tenue, reconnaissable entre toutes. "Il arborait un bleu de travail, bleu d’ouvrier. Il représentait un peu le passé industriel. Finalement, il était ainsi la ville des émeutes ouvrières de 1905, la ville qui a créé la CGT : Limoges."
Pour l'historien, qui est également adjoint de la culture de Limoges, l'homme en bleu est spécial par l'usage de son vélo, sa tenue, mais également ses bottes. "Elles étaient en décalage avec son bleu de travail. Elles rappelaient le côté agricole. Et lui, qui habitait Eyjeaux, et qui allait dans la ville chaque jour ou presque, faisait le lien entre la campagne et la ville."
L'attachement très fort de la population à l'image que l'homme en bleu renvoyait en dit long, en tout cas peut-être, sur notre société dans laquelle l'image et les symboles sont omniprésents.