L’affaire Vert Marine et la fermeture brutale de l’Aquapolis de Limoges mettent en lumière un mode de gestion parfois méconnu des équipements collectifs : la délégation de service public, quand un équipement public est géré par le privé. Au-delà de l’Aquapolis, des secteurs très variés sont concernés : le Zénith, la collecte des déchets, l’eau, les réseaux de chaleurs, et même certains marchés.
La fermeture de L’Aquapolis, c’est l’histoire d’une délégation de service public (DSP) qui déraille. Le délégant, Limoges Métropole, est désormais en conflit avec le délégataire, l’entreprise Vert Marine.
Concrètement, Limoges Métropole a construit L’Aquapolis, puis en a délégué la gestion à une entreprise privée. Pierre Sorbets, membre de l’Institut de la gestion déléguée (IGD), résume : "La DSP est un principe par lequel un opérateur privé va se charger d’exercer un service. Il doit assumer les risques et les périls. Ça marche très bien dans la plupart des circonstances. La collectivité choisit quelqu’un qui est le mieux à même de faire le boulot pour le meilleur prix."
Le conflit en cours est rarissime, mais les délégations de service public sont nombreuses, et parfois critiquées.
Où sont les délégations de service public ?
Il n’existe pas de liste exhaustive, et même les collectivités ont parfois du mal à s’y retrouver. Sur son site internet, l’Institut de la Gestion Déléguée (IGD) propose une cartographie, mais elle est incomplète. Une chose est sûre : les délégations de service public sont nombreuses, et parfois surprenantes.
Dans l’agglomération de Limoges, les principales structures concernées sont bien sûr le Zénith et L’Aquapolis. Mais la collecte des déchets est également assurée par une entreprise privée, comme la gestion du restaurant du golf municipal. A Guéret, c’est le cas d’un réseau de chaleur. À Brive, le marché de l’eau est confié au privé. Plus étonnant, à Panazol, le marché dominical fait lui aussi l’objet d’une délégation de service public.
Quel intérêt pour les collectivités ?
Fabien Doucet, vice-président de Limoges Métropole, est en première ligne dans l’affaire de l’Aquapolis. Il défend pourtant les délégations de service public : "Il faut garder la raison et ne pas s'enflammer."
Il avance plusieurs arguments. D’abord, une plus grande souplesse des entreprises privées : "La commande publique est très lourde d’un point de vue administratif. La différence entre droit privé et droit public complexifie grandement la tâche."
Ensuite, les risques financiers sont, en principe, assumés par le délégataire : "Dans un contrat de DSP, c’est le délégataire qui porte le risque. La rémunération de ce risque, c’est la marge du délégataire."
Et puis, il y a la spécificité de certaines activités : "Au Zénith, on pourrait gérer le parking, les entrées, ou le ménage. Mais pour avoir le numéro des tourneurs, des producteurs ou des agents d’artistes, on n’a pas l’expertise."
Cette gestion est-elle efficace ?
Selon Pierre Sorbets, les DSP donnent la plupart du temps de bons résultats : "Dans le contexte du Covid, les DSP ont survécu dans la plupart des cas. Avec les entreprises ayant les reins solides, ça c’est bien passé. Les autoroutes ont continué à marcher, et dans le domaine de l’eau, les grands opérateurs ont continué à fonctionner."
Pour lui, les DSP peuvent permettre d’introduire dans les équipements des innovations et permettent des économies d’échelle : "Un bon appel d’offre peut donner des résultats très efficaces."
Concernant l’affaire Vert Marine, sans connaître précisément le dossier, Pierre Sorbets tente une analyse : "Là où c’est compliqué pour des entreprises de petite taille, c’est quand un paramètre explose. On a une entreprise mono secteur, qui n’a peut-être pas les reins solides".
Alors, mieux vaudrait une régie municipale ? Difficile à dire selon lui : "Pour comparer, il faudrait prendre deux installations absolument identiques et voir au bout de 10 ans ce qui se passe."
Un système critiqué
Le tableau est plus sombre quand on se plonge dans les nombreux rapports de la Cour des comptes consacrés aux délégations de service public.
Un rapport rédigé en 2022 par la Cour des comptes des Hauts-de-France explique : "La crise a plus affecté le service public rendu à la population que la rentabilité de l’exploitation pour les délégataires, qui a été préservée par des mesures de soutien que les communes et leurs groupements ont prises dans l’urgence, sans véritable analyse préalable des besoins et sans maîtrise des enjeux financiers."
À Limoges, l’aéroport de Bellegarde a fait l’objet d’un autre rapport de la Cour des comptes en 2018. Il appartient à un syndicat mixte qui regroupe la région, le département et l’agglomération. Sa gestion est déléguée à la CCI.
La Cour des comptes n’est pas rassurante : "Les conditions financières du contrat d’affermage entre le syndicat et la CCILHV apparaissent irrégulières car ayant été conclues dans l’avantage exclusif du délégataire. En effet, il est prévu que le syndicat prenne en charge le déficit d’exploitation de l’aéroport alors qu’une concession de service public doit nécessairement prendre en charge une partie significative du risque d’exploitation."
Selon le syndicat mixte, ce contrat qui prendra fin en 2027 est en cours de "toilettage".
Une délégation incontournable ?
Pour Pierre Sorbets, il n’y a pas d’ "incontournabilité" de la délégation de service public.
Limoges montre un exemple très concret avec la patinoire municipale. En 2013, sa gestion avait été déléguée à… Vert Marine. Lors d’une nouvelle mise en concurrence en 2020, la municipalité n’a reçu qu’une seule offre, venant à nouveau Vert Marine, pour un coût deux fois supérieur au contrat précédent.
Conclusion de la mairie : "Les conditions économiques de ce renouvellement étant exorbitantes, il est proposé de reprendre en régie directe la gestion de l’équipement". Aujourd’hui, la ville gère toute la patinoire.
Une bonne opération selon Marie-Annick Mazelier, directrice générale des services : "Avec deux ans de recul, le choix est satisfaisant : il y a plus de monde à la patinoire, et on a moins de récriminations…"