“Elle peut apparaître dans des régions où on ne s’attendait pas à la trouver” : l'apparition de la transhumance en Limousin

La transhumance est désormais inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. En Limousin, elle ne se pratique que depuis très peu de temps et uniquement sur le plateau de Millevaches. Nathan Morsel, doctorant en agroéconomie et salarié de l'Association pour le pastoralisme de la Montagne limousine (APML) nous explique pourquoi.

On le surnommait "la petite Ecosse" à cause de sa ressemblance avec les paysages de landes outre-Manche. Le plateau de Millevaches a toujours été une région pastorale. En revanche, la transhumance telle qu’on l’entend habituellement, c'est-à-dire le déplacement saisonnier des animaux, est un phénomène très récent sur la montagne limousine. 

"Le plateau de Millevaches est un peu à part à l’échelle du Massif central, car il n’y a pas ce que l’on retrouve en Lozère et dans une bonne partie du Massif central fin XIXe siècle, c’est-à-dire des bergers communaux qui embarquaient à la journée l’ensemble des troupeaux d’un village pour les garder." explique Nathan Morsel, spécialiste du pastoralisme en Limousin.

Sur le plateau, chaque exploitation possédait ses propres landes à callune et ses propres tourbières, sur lesquelles elles faisaient paître leurs propres bêtes toute l'année. "Il n'y avait pas de transhumance telle qu'on la connaît dans le sud de la France."

Ce sont les agriculteurs eux-mêmes, un membre de leur famille ou, pour les plus grosses fermes, un berger salarié qui en assuraient la garde.

Nathan Morsel, doctorant en agro-économie

Toutefois, une pratique s'en rapproche vaguement : dans la seconde moitié du XIXe siècle, certains éleveurs achetaient des animaux en plaine, les faisaient paître sur le plateau durant la belle saison puis les revendaient sur les marchés à bestiaux avant l'arrivée de l'hiver.

Une pratique en plein essor

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'agriculture rentre dans l'ère de la mécanisation. Les landes à callune et les tourbières, qui pouvaient représenter jusqu'à 80% des surfaces communales sur le plateau, sont progressivement délaissées, défrichées ou plantées en résineux.  "Les agriculteurs se sont concentrés sur les surfaces les plus facilement mécanisables - les prairies - et ont eu tendance à abandonner les surfaces de parcours : les landes à callune qui ne pouvaient pas être défrichées parce que trop pentues, et les zones humides trop bourbeuses pour s’y aventurer." poursuit Nathan Morsel.

Sauf que sur le plateau, les surfaces de prairie se font rares et sont inégalement réparties, limitant la taille de certaines exploitations. Au milieu des années 2010, plusieurs éleveurs, appuyés dans leur entreprise par le Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin et le Conservatoire d'Espaces Naturels en Limousin,  ont donc l'idée de créer sur ces terres abandonnées des estives, autrement dit de faire garder plusieurs troupeaux en même temps par des bergers salariés, en s'inspirant de ce qui se pratique dans les Alpes ou les Pyrénées. En 2019, l'Association pour le Pastoralisme de la Montagne Limousine (APML) est créée afin d'appuyer cette dynamique, et de fédérer les acteurs du pastoralisme limousin

Les estives commencent au début du mois de juin et se terminent à la fin du mois de septembre. Elles durent donc quatre mois et s'adressent, en règle générale, aux brebis allaitantes pour la production de viande. Chaque troupeau comprend entre 400 et 600 brebis, issues de trois à quatre exploitations différentes. Selon Nathan Morsel : "la plupart des éleveurs qui transhument sur la montagne limousine sont surtout sur les contreforts de la montagne limousine, ce sont des agriculteurs locaux, mais quelques agriculteurs qui viennent d’un peu plus loin."

Cinq estives de brebis allaitantes et trois estives laitières ont lieu chaque été, ce qui porte à environ 3 000 le nombre d'ovins et de caprins en transhumance sur le plateau de Millevaches. Ils sont gardés tout au long de l'été par des bergers salariés ou des éleveurs-bergers.

Les terres pâturées lors des estives appartiennent soit aux communes du plateau, soit à des propriétaires privés, soit au Conservatoire d'espaces naturels (CEN) de Nouvelle-Aquitaine. Depuis 1992, le CEN a acquis ou pris en gestion plusieurs centaines voire milliers d'hectares sur la Montagne limousine, en grande partie des landes et de tourbières, qu'il entretient grâce aux éleveurs via des conventions de pâturage ou des baux ruraux à clause environnementale : "Aujourd’hui, il y a beaucoup de surfaces de tourbières qui sont encore à l’abandon, donc il y a toujours du potentiel pour développer davantage d’estives."

Un outil de développement durable

Avec le changement climatique, de plus en plus d'éleveurs sont contraints d'affourrager leurs troupeaux, y compris l'été. Les estives permettent d'éviter ce recours au fourrage, car les tourbières résistent beaucoup mieux aux sécheresses. Ces zones humides deviennent ainsi essentielles pour l'autonomie alimentaire des exploitations.

La pratique de l'estive permet également d'envisager l'installation de nouveaux agriculteurs sur le territoire. "Grâce aux estives, on peut installer plus d’agriculteurs, sur de plus petites exploitations complétées par une estive. Cela veut dire moins de terres à acheter ou louer à l’installation."

Pendant les estives, les agriculteurs peuvent également passer plus de temps sur leur exploitation. "Ce n’est pas les vacances (loin de là), mais ça veut dire davantage de temps pour faire les foins quand on en fait, ça permet que ce soit plus tenable. Ce n'est pas négligeable pour des métiers aussi chronophages que ceux de l’élevage."

Véritable tradition séculaire ailleurs en France, la transhumance n'en est donc qu'à ses balbutiements en Limousin. Mais grâce au savoir-faire de bergers et d'éleveurs venus d'autres régions, elle peut jouer un rôle pour la préservation des espaces naturels et le maintien des emplois agricoles.

Nathan Morsel est doctorant en agro-économie auprès de l'UFR agriculture comparée d'AgroParisTech et salarié de l'Association pour le pastoralisme de la montagne limousine (APML). Sa thèse s'intitule " Les systèmes agro-pastoraux économes : élevage et agro-écologie en régions de moyenne montagne et de piémont méditerranéen." Il donnera une conférence sur les transformations de l'agriculture de la montagne limousine à la mairie d'Eymoutiers le 12 décembre à 19h.

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