Une soixantaine de personnalités, d'élus de différents bords politiques et d'associations ont signé une tribune publiée dans le Journal du Dimanche, ce 4 juin, pour demander le droit d’expérimenter localement un modèle de légalisation encadrée de production, vente et consommation de cannabis. Bègles, près de Bordeaux, serait, sur ce projet, le futur laboratoire de cette expérimentation.
"Mettons l'humain au cœur de nos préoccupations" : pour Eric Correia, président du Grand Guéret et infirmier, ainsi que la soixantaine de signataires de cette tribune publiée dans le Journal du Dimanche, "légaliser le cannabis apparaît comme la seule option pertinente, objective et rationnelle pour la France", face au nombre de consommateurs quotidiens, évalués à près de 4 millions de personnes. Notre pays est le plus gros consommateur de cannabis en Europe.
Pourquoi sont-ils favorables à une légalisation encadrée du cannabis ?
Selon les signataires, cette légalisation permettrait notamment de contrôler la qualité des produits en vente, d'éviter les économies parallèles, responsables de troubles et d'insécurité dans les quartiers, de désengorger les prisons et les tribunaux et de permettre une réduction de la consommation et de la criminalité.
En effet, le trafic illégal de cannabis est évalué à près de quatre milliards d'euros par an dans l'hexagone, cela pourrait donc "représenter une manne financière pour l'État". Ce que confirme Eric Correia : "laisser le cannabis illégal coûte très cher à la France. Près d'un milliard d'euros sont dépensés dans l'immobilisation des policiers, des tribunaux. C'est une dépense d'argent public énorme".
Cela permettrait aussi de "créer une filière économique légale, donnant la part belle à l'agriculture biologique et aux circuits courts. C’est tout un savoir-faire agricole français qu’il s’agit de réhabiliter. Nous gardons en mémoire, que la Creuse fut un haut lieu de production du chanvre".
Pourtant, selon Eric Correia, aucun maire creusois ne s'est porté volontaire pour accueillir cette expérimentation.
Mais une autre commune de Nouvelle-Aquitaine s'est portée candidate : à Bègles, Clément Rossignol Puech, son maire, dit faire face à des problèmes de délinquance dans sa commune ; légaliser le cannabis pourrait être, selon lui, la solution.
Une table ronde est d’ailleurs organisée le 15 juin prochain au Centre régional de Formation de la Croix Rouge à Bègles.
Des élus limousins signataires
Ce n'est pas une surprise, certains politiques de la région, et notamment en Limousin, militent depuis des années pour légaliser le cannabis. C'est le cas d'Eric Correia, notamment pour son usage thérapeutique : "nous avons besoin de nouvelles molécules pour calmer la douleur. Les opiacés sont utilisés, pourquoi diaboliser le cannabis ? Instaurer une telle politique de répression, comme le fait Gérald Darmanin, est hypocrite, alors même qu'Emmanuel Macron, en 2017, se positionnait en faveur d’une “dépénalisation de la détention en petite quantité du cannabis afin de désengorger les tribunaux”. En 2022, le candidat Macron avait toutefois fait volte-face en se prononçant contre la légalisation du cannabis.
De son côté, Jean-Baptiste Moreau, ex-député de la Creuse, n’apparaît pas dans la liste des signataires de la tribune, non pas par refus, mais par oubli de sa part en raison, nous a-t-il expliqué par téléphone, "de sa charge de travail". Il soutient évidemment cette initiative et participera à la table ronde du 15 juin, bien que cette expérimentation devrait dépasser, selon lui, les frontières des régions.
Une production française de cannabis suffisante ?
Si le cannabis venait à être légalisé, le pays aurait-il la capacité d'en produire assez pour les consommateurs ? "Oui, c'est largement envisageable", valide Jouany Chatoux, producteur de chanvre creusois. "La plupart des producteurs de cannabis dans les pays où il est légalisé sont des ingénieurs français. Il existe donc un savoir-faire. Cela permettrait de co-créer avec l’État une nouvelle filière agricole prospère".
En revanche, selon Jean-Baptiste Moreau, il est "illusoire de penser que la France pourrait produire les quantités nécessaires pour le nombre de consommateurs, mais peut-être faudrait-il envisager des accords à signer avec d’autres pays producteurs, comme le Maroc", premier producteur mondial de hashich selon l'ONU.
Légalisation le cannabis : une bonne nouvelle en termes de santé publique ?
Pour les signataires de la tribune, comme Jouany Chatoux, la dépendance serait le plus souvent due au tabac consommé avec le cannabis, mais aussi au taux trop élevé de THC dans le cannabis vendu illégalement. La légalisation permettrait, selon lui, de contrôler ces taux. Il s'appuie sur l’usage thérapeutique qui a déjà été expérimenté, avec des résultats positifs pour les patients. Depuis avril 2021, le cannabis thérapeutique est ainsi arrivé en Creuse.
En outre, légaliser le cannabis permettrait un meilleur accès aux soins, comme l'indique Françoise Jeanson, vice-présidente de la Nouvelle-Aquitaine en charge de la santé : "puisque c'est une activité illégale, il est difficile pour un consommateur de demander une aide médicale à son médecin. Consommer du cannabis reste tabou. Et pourtant, cela concerne près de la moitié de la population, dont de nombreux jeunes ! Oui, cette substance peut avoir des effets secondaires néfastes pour la santé... au même titre que l'alcool, qui, lui, est légal. Cette consommation, un problème de santé publique. Cette tribune ne veut pas dire que nous demandons une légalisation immédiate dans tout le pays, mais bien une expérimentation au niveau local, pour en tirer des conclusions".
Des arguments qui sont démentis par certains professionnels de santé.
La dépendance au cannabis n’est pas un mythe, puisqu’elle peut entraîner de sérieux problèmes physiques et des troubles psychiatriques et psychotiques.
Certains médecins s’accordent notamment sur le fait que le cannabis affecte aussi la mémoire à court terme.
Est-il possible juridiquement de légaliser le cannabis en France ?
Dans cette tribune, les signataires indiquent que légaliser le cannabis permettrait de diminuer la délinquance liée au trafic de drogue, notamment puisque la production, la vente et la consommation seraient contrôlées par l'État. Mais est-ce possible techniquement ? Oui, selon le spécialiste que nous avons interrogé :
La constitution n'empêche pas la légalisation.
Baptiste NicaudMaître de conférences en droit pénal à Limoges et avocat à Paris
Cela engrangerait évidemment des "changements de législation puisque l'on ne pourrait plus condamner les consommateurs, mais la constitution n'empêche pas la légalisation", comme l'indique Baptiste Nicaud, maître de conférences en droit pénal à Limoges et avocat à Paris.
Cette légalisation permettrait-elle réellement de faire baisser les trafics ? Pas forcément, selon ce professionnel : "Aux Pays-Bas, bien que le cannabis soit tolér, les réseaux clandestins restent puissants et inquiètent les autorités".
Un processus qui aurait malgré tout des avantages : Cela permettrait aux services de police d’être mobilisés sur d’autres actions que des contrôles d'usagers, même s'ils devront continuer à enquêter sur les trafics parallèles.
Françoise Jeanson rajoute : "il y a d'autres problématiques bien plus graves que le cannabis sur lesquelles les forces de l'ordre devraient être mobilisées. D'autres types de drogues, mais aussi d'autres types d'infractions".
Politiquement, c’est autre chose. Après les déclarations contradictoires du Président Macron, son ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a mis en place, en 2022, une amende forfaitaire pour les consommateurs. Un durcissement auquel s'ajoutent plusieurs accidents mortels incluant la consommation de ce stupéfiant... le climat est peu propice à une telle expérimentation.