Saturation des urgences du CHU de Limoges : témoignage cauchemardesque

Alors que les urgences sont saturées un peu partout en France, une femme raconte son cauchemar et celui de son père au CHU de Limoges.

Les urgences saturent. En Nouvelle-Aquitaine, la situation est d'autant plus compliquée que la 5e vague de Covid est toujours au plus haut. A Bordeaux  des tentes destinées à la médecine de catastrophe ont été installés depuis mardi 1 février à l’extérieur pour recevoir les malades.

En Limousin, de la même manière, les tensions sont très fortes. A Brive, d'ordinaire, 80 à 100 patients viennent aux urgences chaque jour. Elles accueillent en ce moment 120 à 130 malades par jour, dont une dizaine qui sont positifs au Covid. 

Même situation préoccupante au CHU de Limoges. Elle dure déjà depuis deux mois, selon un praticien des urgences qui préfère rester anonyme.  

Actuellement, on a près de 130 passages par jour et on sait qu’on ne peut en hospitaliser qu'une quarantaine.

Un praticien des urgences du CHU de Limoges

Une saturation qui s’accentue par le manque de personnel : près de 10% de l'effectif est en arrêt. Mais pour le praticien des urgences que nous avons contacté, ce phénomène "est le fruit d’une politique de fermeture de lits et de réduction de masse salariale, qui a commencé depuis des années". Il s’insurge. "C’est de la maltraitance. Pour 18 boxes aux urgences, vous avez 80 malades qui attendent dans le hall et dans les couloirs".

"Il y a 20 ans, quand il restait 4 malades aux urgences le matin, on n’était pas contents. Et là en ce moment, il y en a 40, 30 qui sont là depuis la veille, l’avant-veille…"  Il insiste : "Chaque jour est un combat pour trouver des lits. Ce ne devrait pas être un combat".

Certains patients ont fait les frais d’une telle situation. Comme cette femme qui nous raconte le passage interminable et cauchemardesque de son père aux urgences de Limoges. C’était le samedi 21 janvier 2022.    

"Le samedi en fin d’après-midi, le médecin de garde envoie mon père aux urgences. Son état de santé est très inquiétant. Je demande comment avoir de ses nouvelles. Les ambulanciers me répondent d’appeler le standard du CHU où il est transporté, et que l’on me passera les urgences où il y aura toujours quelqu’un pour me répondre, 24 heures sur 24.

Je laisse partir mon père en me raccrochant à cette idée : je ne vais pas l’accompagner, pour ne pas gêner, et on m’informera de l’évolution de son état.

Vers 19 heures, j’appelle. Et en effet, une infirmière me répond qu’il est pris en charge. Il vient juste de commencer les examens. On me dit de rappeler à 23 heures. Ce que je fais. Et refais. Et encore.

Ma matinée du dimanche est consacrée aux appels sans réponse. Je me rends donc aux urgences, dans l’espoir d’avoir des nouvelles. J’use ma patience dans la salle d’attente, je finis par apprendre qu’il est toujours aux urgences. Rien de plus. Je rentre. Poursuis les appels. En vain. La médecin de garde qui l’a envoyé aux urgences essaie aussi de son côté. Sans plus de succès que moi. On lui répond juste qu’il y a eu 100 admissions et qu’ils sont débordés. Le lundi matin, rongée par l’inquiétude, j’appelle une amie qui est infirmière au CHU. Elle prévient le service et en fin de matinée, le médecin des urgences me téléphone pour m’apprendre que l’état de mon père est grave. Il dit  "aigu". Ce que je ne comprends pas. J’arrive à obtenir de le voir 5 minutes. "Comme nous ne sommes pas en mesure d’informer les familles, je ne vois pas comment je pourrais vous refuser ces 5 minutes", me dit-il. J’attends ma pause méridienne pour aller aux urgences. Je découvre mon père dans un box. Alité. Sous oxygène. Les constantes ne sont pas bonnes. Mais je le vois. Enfin ! Et il est vivant.

Le médecin passe. L’informe qu’il a une grave infection. Que l’on ne sait pas s’il va s’en sortir. Qu’il devrait être dans un service. Pas aux urgences. Mais qu’il n’y a pas de place…

Personne ne me dit de partir. Je reste. Certes le cadre des urgences n’est pas des plus accueillants, avec la salle commune, les lits serrés les uns contre les autres, que les soignants doivent déplacer pour accéder à leur patient…. Mais je ne pensais pas vivre ce cauchemar. Une infirmière est venue apporter un soin à mon père. Quelques instants plus tard, mon père n’arrivait plus à respirer, la machine à laquelle il était relié s’est mise en alarme. Et personne n’est venu. Je suis allée chercher une infirmière. Qui s’est rendue compte que dans sa manipulation la première avait privé mon père d’oxygène… Une erreur, apparemment. Elle aurait pu être fatale.

Et pourquoi l’infirmier chargé de s’occuper de mon père n’est-il pas intervenu ? Parce qu’il était occupé avec un autre patient qui était certainement dans la même urgence que mon père. Je ne blâme pas le personnel, débordé par l’afflux de patients, qui restent aux urgences plusieurs jours alors que ce n’est pas leur place, parce qu’il n’y a pas de lits disponibles dans les services.

Et que dire des conditions matérielles exécrables dans lesquelles le personnel travaille, qui mettent la vie des malades en danger ? Alors que mon père recevait de l’oxygène nécessaire à sa survie, le tuyau s’est décroché, et a commencé à se "balader".

Par chance, une interne d’un autre service était passée l’ausculter. Elle a rebranché le tuyau et l’a maintenu en place avec sa main car il n’arrêtait pas de se décrocher. Que ce serait-il passé si elle n’avait pas été là ?

En fin de journée, j’ai quitté mon père. J’ai placé la sonnette tout près de sa main car il ne pouvait plus faire de mouvements. Je savais qu’il mobilisait toutes ses forces pour se battre. J’avais confiance en lui. Très peu dans sa prise en charge. Je me suis dit : "c’est peut-être la dernière fois que je le vois, car s’il a besoin d’aide en pleine nuit, qui viendra ?"

Après une nuit supplémentaire dans l’enfer pour lui, dans l’angoisse pour sa famille, il a été admis dans le service adéquat. Un lit s’était enfin libéré. Les médecins nous ont alors dit qu’ils déploraient cette longue attente aux urgences, et que s’il avait été admis dans ce service un jour plus tôt, il aurait eu plus de chances de s’en sortir".

Pour dénoncer l’état de l’Hôpital Public et "sa mise à mort", les professionnels du CHU de Limoges se réunissent chaque vendredi en début d’après-midi, depuis le 14 janvier, en respectant une minute de silence. Ils appellent les usagers à les soutenir.  

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