C'est un axe incontournable de la ville de Limoges, aujourd'hui réservé aux piétons : la rue Jean Jaurès. On vous raconte l'histoire de sa réalisation. une idée qui a mis beaucoup de temps à se réaliser...
Comment est née cette grande artère dans le centre-ville ?
En 1850, Limoges ne ressemble en rien à ce qu’elle est aujourd’hui. Entre ce que sont devenus le boulevard Louis-Blanc et l’Avenue de La Libération, il y a une succession de rues : Verdurier, Taules, Pont-Hérisson.
Celles-ci relient deux espaces bien distincts : en bas, le populaire et commerçant quartier du Verdurier. En haut, l’insalubre et interlope quartier Viraclaud, haut lieu de la prostitution.
Sous l’impulsion notamment du préfet Haussmann à Paris, l’heure est à l’hygiénisme, social et urbain, et donc, à la création de grandes artères.
"L'hygiénisme dans tous les sens du terme. C'est à la fois de l'hygiène médicale et de l'hygiène sociale. La ville du milieu du 19ᵉ siècle est une ville malade, avec une surmortalité par rapport aux campagnes. Il s'agit de faire rentrer l'air, la lumière, de faire circuler aussi, dans ces quartiers anciens," précise l'historien Limougeaud Philippe Grandcoing.
Pourquoi a-t-il fallu soixante-dix ans ?
Le projet de la construction d'une grande artère est donc lancé. Mais entre la première idée, et la réalisation de la rue Jean-Jaurès, près de 70 ans vont s’écouler, et plusieurs grands maires vont se pencher sur son cas, de Louis Ardant à Léon Betoulle.
Cela aurait pu aller plus vite, à condition qu'il n'y ait pas d'autres préoccupations, que les pouvoirs politiques ne varient pas, et que cela n'engage pas des centaines et des centaines d'expropriations. C'est-à-dire, aller voir les familles, et leur proposer, parfois pour peu, d'aller se loger ailleurs.
Éric Boutaud, conférencier à l'office de tourisme de Limogesà France 3 Limousin
La destruction des deux vieux quartiers, dont il ne reste aujourd'hui que la petite rue du Temple, débute dès la fin du XIXᵉ siècle. Parallèlement sont érigées la préfecture et la poste.
Le percement de la rue Jean-Jaurès débute, lui, pendant la Première guerre mondiale. Et c'est tellement radical, qu’en arrivant à Limoges en 1917, les Américains se trompent de plusieurs centaines de kilomètres sur la position de la ligne de front.
"Les soldats américains croient que Limoges a été bombardée. Il y a toute une partie de la ville qui est dévastée. Et sur des photos aériennes de 1920-23, on voit encore toute la partie entre la rue Jean-Jaurès et le lycée Gay-Lussac, c'est désert."
Michel Toulet, président de l'association "Renaissance du Vieux Limoges"
Pourquoi les immeubles sont-ils tous différents ?
Si la rue existe, et est baptisée, dès le 31 juillet 1915, à l’anniversaire de l’assassinat de Jaurès, ses immeubles et les environs ne sortiront de terre qu’entre les années 20 et 50 : d’où le style disparate, pourtant pensé au départ uniforme comme nous l'indique Éric Boutaud : "Les lots ont été redispatchés entre différentes sociétés, et chacune a employé un architecte différent. On était parti sur du quatre étages au départ, et on arrive à six, huit étages, et de plus en plus de verticalité."
Lieux de grandes enseignes, de commerces chics, d’habitats bourgeois, d’embouteillages et de manifestations, la rue Jean-Jaurès va vivre, et symboliser, durant près d’un siècle, l’évolution des hypercentres urbains en France.
Impensable de revivre aujourd’hui un tel changement, comme le souligne Philippe Grandcoing : "On préfère des rénovations douces, à des rénovations bulldozer, mais qui se sont faites jusqu'aux années 50-60 dans beaucoup de villes, je pense par exemple à Bordeaux, mais assez tardivement encore à Limoges."
Une piétonisation contestée
"20 000 piétons par jour et jusqu'à 30 000 le samedi, la rue Jean Jaurès est l'axe le plus fréquenté de Limoges". En 2022, la mairie lance une grande consultation : 78 % des personnes interrogées s'étaient dites favorables à une piétonisation, à l'année, de la partie haute de la rue Jean-Jaurès.
Ce grand bouleversement sera mis en place le 28 novembre 2022 : la partie de la rue Jean Jaurès, située entre l'Opéra et la rue Rafilhoux, est définitivement réservée aux piétons ainsi qu'aux "mobilités douces" (trottinettes ou vélos). La circulation des voitures est alors interdite et les bus sont déviés. La municipalité prévoit alors de renforcer la fréquence des navettes électriques.
Trois mois après la piétonisation, la polémique enfle. Pétition, affiches sur les vitrines... Face à cette colère, la mairie annonce plusieurs mesures. "Nous allons relancer les ateliers avec les commerçants sur la rénovation de la rue, la décoration et la végétalisation, et mettre en place une nouvelle dynamique d'animations", affirmait alors Rémy Viroulaud, adjoint au maire de Limoges en charge des commerces. Concernant les problèmes de stationnement, la mairie prévoyait alors d'améliorer la signalétique en entrée de ville sur les places de parking disponibles et de distribuer aux commerçants, pendant six mois, des tickets de stationnement gratuits que leurs clients pourront utiliser dans les parkings desservis par la navette électrique. Enfin, la mairie a demandé à la CCI de créer un observatoire dédié au suivi du chiffre d'affaires des commerçants dans cette zone piétonne.
Voulue tels des Champs-Élysées limougeauds, parfois taxée de partir de rien pour arriver nulle part, la rue Jean-Jaurès n’est ni d’Augustoritum ni de Futuropolis. Mais elle est, et fait Limoges. Un peu d’hier, beaucoup d’aujourd’hui et, à voir comment, de demain. C’est, au propre comme au figuré, le sens d’une artère.