Ils sont agriculteur, infirmière aux urgences ou bénévoles dans une association. Tous habitent autour de Marmande, dans la la 2e circonscription du Lot-et-Garonne. A quelques jours des élections législatives, ils nous font part de leurs envies et regrettent que les spécificités de leur territoire rural ne soient que trop peu prises en compte.
C'est une circonscription de 106 000 habitants, située à l'ouest du Lot-et-Garonne. Un territoire rural, qui s'étend autour de Marmande, et qui se retrouvera sous les feux des projecteurs les 12 et 19 juin. Le Rassemblement national pourrait-il l'emporter dans cette circonscription ? En 2017, c'est un candidat LaREM, Alexandre Freschi, qui est devenu député.
S'il se représente en espérant conserver son siège à l'Assemblée, la candidate RN Hélène Laporte l'affrontera à nouveau, avec cette fois-ci, l'avantage des chiffres : ici, au premier comme au deuxième tour de la présidentielle, les électeurs ont massivement voté pour Marine Le Pen. Sur place les électeurs eux, racontent leurs difficultés au quotidien, et la sensation que les solutions apportées "par Paris" ne sont pas adaptées à leurs réalités.
Agriculteur pour "3 euros de l'heure"
Comme chaque jour, Laurent Goudelin est au travail depuis 6 heures du matin. Il ne devrait pas terminer avant le coucher du soleil. Des journées intenses, passées auprès de ses 200 vaches, dans sa ferme de Saint Pardoux Isaac, en Lot-et-Garonne.
C'est le père de Laurent, qui, il y a près de 50 ans, s'était installé dans ce village d'un millier d'habitants, situé à 25 kilomètres au nord est de Marmande. Bien que retraité, il travaille toujours aux côtés de son fils. Une nécessité : " Si mon père devait s'arrêter, il me faudrait l'équivalent de deux temps plein pour le remplacer ", explique Laurent, 44 ans. Lui-même enchaîne les heures travaillées - une centaine par semaine -, et rémunérées, selon ses calculs, "environ 3 euros de l'heure". "Heureusement que je suis pas trop mauvais en gestion, à ce tarif là, c'est pas normal. C'est de l'esclavagisme".
Un métier mal payé, qu'il a pourtant choisi, sur les traces de son père donc, et qu'il aime par dessus tout. Et ce, même après avoir traversé quelques orages. L'agriculteur se souvient notamment d'une mise aux normes de ses bâtiments d'élevage, particulièrement coûteuse et obligatoire. Laurent investit alors dans son troupeau, en espérant amortir les frais.
Il rentre alors dans le cercle vicieux des emprunts bancaires, et des nuits sans sommeil. Une période douloureuse, dont il avait témoigné auprès d'une équipe de France 3 Aquitaine, en 2019. "Aujourd'hui, si on m'imposait de nouvelles mises aux normes, j'arrêterais mon métier", assure-t-il.
Voici le témoignage de Laurent Goudelin en octobre 2019
Près de trois ans après ce témoignage, le chemin reste semé d'embûches. Laurent doit désormais jongler avec les difficultés liées à la crise économique et la guerre en Ukraine. Et, à nouveau, se pencher des heures durant sur sa gestion. " Avec l'augmentation des charges, tout devient très compliqué, déplore-t-il. Le gazoil, l'engrais dont le prix a plus que triplé... J'ai beau réduire ma consommation et optimiser au max, ça devient critique ! ".
L'expérience bio
Le quadragénaire, qui "ne se ferme aucune porte", a tenté, plusieurs années, de ne pas avoir recours aux produits phytosanitaires, et a même envisagé une conversion au bio. Mais l'expérience a tourné court.
" On est sur des endroits particulièrement secs. Si on n'arrive pas à récolter assez d'herbe en amont, sans engrais, c'est très compliqué d'avoir du stock pour nourrir les animaux ", expose-t-il. Autre frein constaté : l'engouement des éleveurs pour le bio, a conduit à une saturation du marché, l'offre étant supérieure à la demande. "Le bio c'est une qualité supplémentaire, mais ça a un coût : les gens veulent bien manger, mais tout le monde ne peut pas forcément se le payer. Et sans consommateur en face, on ne s'en sort pas. Tout cela met des exploitations en difficultés", constate t-il.
Dénigrement et incompréhension
A ce travail de gestion et d'ajustements permanents s'ajoutent les contraintes administratives : "on passe un temps fou à gratter du papier, on a perdu le cœur même de notre métier, c'est infernal". Pressé de toutes parts, Laurent Goudelin "ne comprend pas" que sa profession soit si peu considérée, si ce n'est dénigrée. Ce père de deux enfants, eux aussi tentés par le métier, vise notamment les médias, qui pointent régulièrement du doigt la pollution générée par les produits phytosanitaires.
On prend cher, et ce n'est pas légitime. Nous, on comprend les demandes sociétales. On essaie de faire au mieux. Mais il y a une réalité économique à prendre en compte : on doit pouvoir vivre de notre travail.
Laurent Goudelin, éleveur à Saint-Pardoux-Isaac (47)Source : France 3 Aquitaine
Surtout, l'agriculteur regrette que les décisions liées à son secteur soient décidées verticalement, sans adaptations aux spécificités du territoire. "Je ne dénigre aucune démarche, mais on ne peut pas généraliser un modèle et l'imposer à tous. La réalité change d'un endroit à un autre. Certains terrains situés à deux kilomètres de chez moi, n'ont pas les mêmes besoins que les miens", assure-t-il.
Mouvement de la ruralité
C'est cette "écologie vue de loin", que l'éleveur reproche aux politiques, tous confondus, ou presque. Pour les législatives, Laurent s’intéresse tout de même à la candidature de Patrick Maurin. Un homme " qui n'était pas du milieu agricole mais qui a été touché par notre situation". Marmandais, anciennement LaRem et désormais membre du Mouvement de la ruralité, Patrick Maurin avait notamment pris à bras le corps le sujet du suicide des agriculteurs. " Heureusement qu'on l'a. Il a soulevé un sujet difficile, voire tabou. Surtout dans le milieu agricole, qui est assez taiseux", note Laurent Goudelin.
La désillusion des urgences
A une trentaine de kilomètres de la ferme de Laurent, Valérie Gibert nous accueille dans son joli pavillon du Mas d'Agenais. Tout sourire, cette infirmière est en poste depuis près de neuf ans aux urgences du centre hospitalier. "Dans ma famille, cinq générations sont décédées dans un accident de la route, donc travailler aux urgences c'était un vrai choix. Puis je voulais faire un peu de SMUR (Structure mobile d'urgence et de réanimation)", explique-t-elle.
Un quotidien fait d'action, d'adrénaline, mais aussi de week-ends travaillés, d'horaires à rallonge et parfois même d'agressions verbales de la part des patients.
Comme de nombreux territoires ruraux, le département du Lot-et-Garonne connaît un déficit de médecins généralistes. Conséquence : de nombreux patients se redirigent vers les urgences, un service à la fois saturé, et lui-même sous-doté.
L'hôpital sort tout juste d'une crise sans précédent. En septembre 2021, le médecin chef des urgences de Marmande avait posé sa démission, dénonçant les conditions de travail et le manque de personnel soignant dans le service. "Il manquait des urgentistes, des internes, des intérimaires... Personne ne peut travailler comme ça, à flux tendu tout le temps", reconnaît Valérie.
Si aujourd'hui la situation s'est apaisée, Valérie reste très amère quant à la gestion de la santé publique. "Marmande a été précurseur mais cette crise prend de l'ampleur sur l'Aquitaine", constate-t-elle, alors que les urgences du CHU Pellegrin de Bordeaux sont, elles-aussi, contraintes de réguler les entrées de nuit.
"Je n'ai plus d'empathie"
Cette accumulation des tâches et cette dégradation des conditions de travail, Valérie l'a constatée au fil des ans. "Ca s'est vraiment compliqué il y a trois ans. On était déjà dans les rues avant le Covid pour alerter sur le manque de personnel. On n'a pas été entendus", se souvient-elle. Par dessus est arrivée la crise sanitaire, avec son lot de fatigue, d'anxiété, et de défiance. "Ca ne m'est pas arrivé mais certaines de mes collègues se sont vu refuser l'accès à l'ascenseur. Parce que nous étions en première ligne et donc plus exposées au virus", soupire-t-elle. Depuis, l'épuisement n'a fait que s'accroître.
On doit prendre de plus en plus de responsabilités, on se retrouve à faire énormément d'administratif, et on passe beaucoup moins de temps auprès du patient. Et malgré tout ça, notre salaire est loin d'être mirobolant.
Valérie Gibert, infirmière aux urgences de MarmandeSource : France 3 Aquitaine
"Ce jour-là, j'ai craqué"
Valérie décrit une succession de tâches, dont il devient impossible de venir à bout : "quand on doit changer des personnes âgées dans le couloir, qu'on n'a pas le temps de leur donner à manger, que des gens nous appellent et qu'on ne peut pas y aller parce qu'il y a une urgence de l'autre côté... Il n'y a pas la satisfaction du travail bien fait".
L'infirmière se souvient d'un déclic, en 2021. "Le couloir était plein, il y avait des gens sur les brancards, on courait partout. J'avais en charge une patiente, et je voyais que je ne m'en occupais pas bien. Ce jour-là j'ai craqué complètement, je me suis mise à pleurer, je me suis demandé ce que je faisais là".
L'épisode lui a fait questionner sa vocation. "Certaines de mes collègues ont carrément arrêté. Moi, je ne suis pas en burn-out. Je suis plutôt démotivée : j'ai l'impression de manquer d'empathie. Pourtant, mon métier je l'aime toujours, j'ai toujours besoin du contact avec le patient".
Aujourd'hui, Valérie envisage un nouveau cap dans sa carrière. L'infirmière devrait désormais travailler dans le service des consultations externes de l'hôpital. "Il fallait que je change. Moi qui suis tout le temps zen, je me retrouve à râler pour un rien. Je vois bien que je ne suis plus à ma place".
Même si elle va quitter les urgences dans quelques mois, la quinquagénaire garde un œil critique sur la gestion de la santé par les pouvoirs publics, notamment en milieu rural. Et assure que son choix pour les législatives dépend aussi des propositions des candidats dans ce domaine. "Notre système de santé est en train de se casser la figure, il n'y a plus de médecins, ni de paramédicaux, la situation dans les hôpitaux est catastrophique... Ca fait peur".
Elle-même a souvent vu arriver aux urgences des patients qui n'avaient pas les moyens de payer une consultation auprès d'un médecin : "on mise tout sur le privé alors que la pauvreté augmente, et que les gens ne se soignent plus par manque d'argent", constate-t-elle.
Solidarité et Cœur sur la main
Cette paupérisation, Luis et Françoise Cerro l'observent au quotidien. Le couple s'occupe de l'association Cœur sur la main à Marmande, en tant que secrétaire général et vice-présidente. Chaque matin, ils tiennent une petite épicerie solidaire, en plein centre de Marmande. Dans ce petit local lumineux, situé à deux pas de l'église Notre-Dame, chacun peut trouver une aide alimentaire à un coût accessible.
Pas de colis tout préparé, l'association se défend de faire de l'assistanat : chaque client peut choisir ce dont il a besoin, et repartir avec de la nourriture pour plusieurs jours, le tout pour moins de 5 euros. Les produits sont achetés à la banque alimentaire. L'association qui, par ailleurs, manque cruellement de produits hygiène de type savons, shampoings ou serviettes hygiéniques, est également preneuse de dons de particuliers ou d'entreprises*.
Au total, quelques 500 foyers et plus de 1 000 bénéficiaires sont inscrits, un chiffre en constante augmentation.
C'est Françoise qui est à l'accueil, vérifie les bons du CCAS, le Centre communal d'action social, et remplit les paniers de tous, même de ceux qui arrivent avec quelques centimes dans les poches. "Françoise a plus que le cœur sur la main, sourit Luis. Elle donne à tous, sans distinction".
C'est aussi elle qui voit, à quel point il peut-être difficile pour certains, de franchir le seuil de la porte. "La dignité en prend un coût. Les gens voient cette inscription sur la porte "épicerie solidaire". Ils me le disent, que ce mot dérange. Certains pleurent la première fois qu'ils viennent. Alors moi, je me mets à leur place", explique cette ancienne auxiliaire de vie chez les personnes âgées.
La sexagénaire se lève chaque jour aux aurores pour ravitailler l'épicerie, et termine parfois sa journée à 21 heures, au service de "ses clients".
J'ai toujours un petit mot pour chacun. Je m'efforce de retenir tous leur nom et leur prénom, leurs histoires. Et eux m'appellent Françoise. Je ne changerais pas mon métier pour tout l'or du monde.
Françoise Cerro, vice-présidente Cœur sur la mainSource : France 3 Aquitaine
Mères célibataires et personnes âgées
A Marmande, 26% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Dans le centre-ville, le taux atteint 40%. Parmi le millier de bénéficiaires du Cœur sur la main, beaucoup de mères célibataires et de personnes âgées. "On a aussi beaucoup de petits jeunes qui ne trouvent pas de travail, souvent parce qu'ils n'ont pas de moyens de locomotion", précise Françoise.
En effet, sans voiture, impossible d'envisager travailler dans le secteur agricole ou les quelques entreprises des environs, comme l'équipementier aéronautique Lisi Aerospace.
Le couple décrit une commune charmante, mais désertée au fil des ans, sans lieu d'animation. L'arrivée des centres commerciaux a pénalisé de nombreux commerces de proximité, et entraîné la fermeture d'un bon nombre d'entre eux. "Il n'y a plus de restaurants. Les jeunes se retrouvent au V&B en périphérie. Et le dimanche, les gens vont se promener sur la plaine de la Filhole, mais ils ne viennent pas en centre-ville".
Si l'ouverture de l'épicerie en 2016 a créé du lien social, elle n'est pas du goût de tous. "Ici, les pauvres gênent, constate Luis. Une femme qui allait au vêpres est passée devant l'épicerie et nous a fait une réflexion. Il faudrait qu'ils soient invisibles, qu'ils arrêtent de gâcher le paysage" regrette-t-il. L'ancien chauffeur routier reste prudent quand il s'agit d'aborder les sujets politiques.
Je suis comme tout le monde, je suis mécontent. Mais la politique, c'est comme la religion, c'est des sujets à engueulade, alors je n'en parle pas.
Luis Cerro, secrétaire général Cœur sur la mainSource : France 3 Aquitaine
- Alexandre Freschi (Ensemble),
- Hélène Laporte (RN),
- Martine Calzavara (LR),
- Christophe Courrègelongue (Nupes),
- Patrick Maurin (Mouvement de la ruralité),
- Isabelle Hénaff (Reconquête),
- Laetitia Redoulez (LO),
- Michel Vendège (parti animaliste).
* L'association Cœur sur la Main est preneuse de dons alimentaires et en produits d'hygiène. Elle est située au 2, rue Léopold Faye à Marmande et est joignable au 05 53 20 96 92.