Dans une ordonnance rendue le mercredi 14 août, le tribunal de Bayonne a suspendu le chantier d'ampleur de la ligne très haute tension (THT), reliant les villes de Cubnezais, en Gironde, et celle de Gatika, en Espagne. Sa reprise est conditionnée au respect de nouvelles mesures pour protéger la biodiversité marine.
C'est une nouvelle étape dans le bras de fer qui oppose les riverains et associations environnementales à l'entreprise étatique RTE, gestionnaire du réseau de transport d'électricité français. Dans une ordonnance rendue le mercredi 14 août, le tribunal de Bayonne a suspendu les travaux réalisés dans le cadre du grand projet de ligne à très haute tension (THT) reliant la France et l'Espagne. Un chantier qui pourrait reprendre si les nouvelles conditions de protection de la biodiversité marine, fixées par l'instance judiciaire, sont bien appliquées.
Interruption du chantier
Cette décision stoppe durant quatre mois maximum le chantier, le temps pour le gestionnaire énergétique de fournir une étude d'impact sur l'environnement marin, préalable à la pose de ses câbles en milieu aquatique.
Cette ligne électrique de très haute tension devrait à terme contenir une énergie similaire à celle de deux centrales nucléaires, soit environ 400 000 volts. Elle devrait relier les villes de Cubnezais, en Gironde, et celle de Gatika, dans le Pays basque espagnol. Le projet nécessite donc d'importants travaux, aussi bien dans les terres qu'en mer qui inquiète un bon nombre d'associations et riverains au regard des menaces qui pèsent sur l'environnement.
Plusieurs d'entre elles, à l'image du collectif "Stop THT 40" et des associations Sea Sheperd et Défense des milieux aquatiques (DMA) remettent notamment en cause l'utilisation de plusieurs sonars puissants installés par le gestionnaire électrique, pour sonder les fonds marins avant les travaux. Selon ces associations, auxquelles s'ajoute Landes Aquitaine Environnement (LAE), le niveau des impulsions sonores pourrait tuer 17 espèces présentes le long du tracé de cette ligne.
Concilier énergie et biodiversité
Ces menaces ont conduit les associations à déposer une plainte devant le Parquet régional environnemental de Bayonne fin juillet, à laquelle répond cette ordonnance. "Avec les différentes conditions imposées par le juge à RTE, il y a une recherche de conciliation entre les impératifs énergétiques et la préservation de la biodiversité marine", traduit Amandine Boyer, substitut du procureur en charge du contentieux environnemental au tribunal de Bayonne.
Que ce soit l'État ou pas, RTE doit se mettre en conformité.
Marie DarzacqAncienne juriste à l'initiative du collectif Stop THT 40
Pour les associations environnementales opposées au tracé, c'est une victoire. "Nous sommes extrêmement satisfaits, se réjouit Marie Darzacq, ancienne juriste à l'initiative du collectif "Stop THT 40". Nous remercions les juges du parquet qui ont fait preuve d'indépendance et de professionnalisme. Ils ont sanctionné les agissements de RTE." Le collectif est maintenant dans l'attente : "On va voir s'ils vont faire appel de cette décision. Si c'est le cas, ils nieraient encore l'évidence. Si ce n'est pas le cas, ils reconnaitraient les manquements."
De son côté, "RTE prend acte de la décision du tribunal", indique le gestionnaire énergétique. Dans un communiqué paru ce jeudi 15 août, il affirme avoir "réalisé ses sondages marins dans le strict respect des autorisations délivrées par l'État". La firme précise s'être appuyée sur les prescriptions des experts indépendants qui ont été mandatés, ainsi que sur le guide ministériel de référence publié par le ministère de la Transition écologique. Il conclut : "RTE reprendra ses sondages en mer en respectant les mesures complémentaires demandées par le tribunal et se réserve le droit de faire appel de cette décision."
Des nouvelles conditions
Car les conditions permettant la poursuite du chantier prévoient dorénavant quatre nouveautés : "Aux alentours du navire, qui émet de puissants décibels susceptibles de nuire aux mammifères, une zone d'exclusion de 750 mètres a été imaginée, poursuit Amandine Boyer, substitut du procureur au tribunal de Bayonne. Ainsi, le chantier doit veiller à l'absence des espèces dans cette nouvelle zone. Toutefois, si un mammifère est aperçu, "la deuxième condition prévoit un temps d'arrêt de 20 minutes pour lui laisser le temps de quitter la zone."
Il est désormais ordonné au chantier de "démarrer progressivement les émissions sonores afin de dissuader les animaux de s'approcher du chantier", poursuit le substitut du procureur, rappelant que ces conditions s'inscrivent plus largement dans un protocole international, signé par la France.
Enfin, la dernière condition prévoit d'installer une surveillance constante à bord des navires. "Elle doit être à la fois acoustique et visuelle, précise Amandine Boyer. Et doit émaner de deux spécialistes." En cas de manquement, une astreinte a été évaluée à 10 000 euros par jour de retard ou par fait constaté.
Contestations et solutions
Ce grand projet énergétique doit s'achever d'ici à 2028. Si sa nature n'est pas contestée en tant que telle, c'est son tracé qui fait l'objet d'une remise en cause. En effet, le cheminement initial prévoyait de partir de la commune de Cubnezais et de traverser le Médoc jusqu'à la côte, où les lignes très haute tension plongeraient dans la mer jusqu'à Gatika. C'était sans compter le Gouf de Capbreton, sorte de canyon sous-marin empêchant cette réalisation.
Le tracé contesté prévoit désormais de rentrer de nouveau dans les terres et de passer par les communes de Seignosse, Soorts-Hossegor, Bénesse-Maremne, Angresse et Capbreton. Avant de s'enfouir de nouveau dans l'océan.
Le long de la A63
"Ce tracé est extrêmement impactant pour l'environnement", insiste Marie Darzacq du collectif "Stop THT 40". Selon l'ancienne juriste, le moindre mal serait de poursuivre ce chantier le long de l'autoroute A63, ce que les collectifs et associations avancent déjà depuis plusieurs mois. "C'est d'ailleurs ce que préconise également le Conseil national de la protection de la nature (CNPN)", rappelle Marie Darzacq, dont l'avis défavorable au tracé actuel a été rendu en août 2022.
Pour l'heure, le gestionnaire énergétique français a 24 heures pour se prononcer sur son éventuel appel devant la Cour d'appel de Pau, au regard de l'ordonnance délivrée hier, mercredi 14 août, par le tribunal de Bayonne.