"On est passé d'une affaire régionale à un scandale national" : les victimes de violences sexuelles à Betharram s'impatientent

En octobre 2023, Alain Esquerre lançait un groupe Facebook d’anciens élèves de l’Institution Notre-dame-de-Bétharram pour en dénoncer les violences. Un an après, 110 plaintes pour violences physiques et abus sexuels ont été déposées. Pour autant, le parquet de Pau n'a toujours ouvert d'information judiciaire.

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"En un an, le travail accompli est considérable, mais il n'y a toujours pas de réelle prise de conscience. En Béarn, l'omerta est toujours forte". Ancien élève de Notre Dame de Betharram, un établissement privé près de Pau, Alain Esquerre est aussi un lanceur d'alerte. 
Depuis octobre 2023, il a réuni 110 plaintes qui mentionnent une vingtaine d'agresseurs. Des auteurs présumés de violences physiques et surtout d'abus sexuels sur des enfants, tous scolarisés dans l'établissement béarnais, qui ont perduré des années 1950 pour les témoignages les plus anciens, aux années 2010 pour les faits les plus récents. 

Plus d'un demi-siècle d'agressions

"C'est une affaire hors norme. De par le nombre d'agresseurs et par la durée". Plus d'un demi-siècle d'agressions. Les auteurs sont des prêtres, des laïcs et aussi des élèves. Le travail de fourmi d'Alain Esquerre a permis d'établir l'existence d'un système de pédophilie et de pédocriminalité qui a duré plus de cinquante ans, un système protégé par le silence de l’église, de l’Education nationale, mais aussi celui aussi des élus et des habitants. 

Ancien élève, lui-même victime de violences physiques dans les années 1980, Alain Esquerre a recueilli toutes les plaintes. "J'ai lu tous les CERFA. Au début, j'en pleurais. Une phrase revient dans toutes les plaintes : "ils ont brisé ma vie", constate le lanceur d'alerte qui continue, encore aujourd'hui, à recevoir des plaintes. Son groupe de parole est passé de 300 à 1 200 membres.

Les plaignants sont d'anciens élèves, alors mineurs au moment des faits, âgés entre 8 et 13 ans, brisés par les humiliations et les actes subis.  "Aujourd'hui, les victimes déposent dans toutes les gendarmeries de France. Comment le procureur de Pau peut encore attendre pour ouvrir une information judiciaire ? ", s'interroge Alain Esquerre.

On est passé d'une affaire régionale à un scandale national.

Alain Esquerre,

porte-parole des victimes de Notre-Dame de Bétharram

Des dizaines de plaintes chaque mois

En janvier 2024, vingt premières plaintes sont déposées pour des faits de violences, agressions sexuelles ou viols, datant des années 1970 aux années 1990. Elles visent des laïcs et religieux ayant exercé ou exerçant à l’Institution Notre-dame-de-Bétharram. "Lors des premières plaintes, j'avais la crainte qu'il y ait des victimes après l'an 2000. J'avais raison", se souvient-il.

Le 2 février, le procureur de la République à Pau a ouvert une enquête préliminaire. Les auditions des plaignants sont toujours en cours.

Puis, dans la foulée, coup de tonnerre à Bétharram, le 14 février. Sous la pression médiatique, notamment d'un reportage diffusé à France 2, un surveillant visé par huit plaintes d’anciens élèves et toujours en poste, a été écarté de l’ensemble scolaire Le Beau Rameau, le nouveau nom de l’Institution Notre-dame-de-Bétharram. L'établissement a indiqué à France 3 Aquitaine, en juin, que le surveillant avait depuis quitté l'établissement. Il aurait signé une rupture conventionnelle de contrat après quarante ans passés à Bétharram selon nos informations.

En juillet, Alain Esquerre dépose de nouvelles plaintes portant le total à 108, dont cinquante pour des faits de nature sexuelle." J'ai reçu récemment de nouvelles plaintes dont les faits se sont déroulés entre 2013 et 2016. Il s'agit d'actes de violences physiques, et d'abus sexuels".

"Comme si rien de rien n'était"

Alain Esquerre insiste. " Il faut un juge d'instruction ! D'un côté, il y a des satisfactions, car les auditions avancent plus vite. De l'autre, un peu de colère parce qu'il y a des décennies d'omerta qui pèsent ! Toutes les plaintes sont identiques. Plus de deux générations d'agressions et d'agresseurs. Et encore, cela s'arrête parce qu'avant les années 50, les personnes sont aujourd'hui décédées. Cela paraît fou que la responsabilité de soulever une telle affaire pèse sur un homme ordinaire ! Et on peut ajouter le silence de l'Education nationale :  pas un recteur ne s'est ému", déplore-t-il, avant de s'émouvoir du silence des élus locaux, notamment ceux ayant eu une portée nationale.

Pas un homme politique ne s'est emparé de ce scandale. Il y a François Bayrou, mais aussi Michèle Alliot-Marie, et d'autres.

Alain Esquerre,

porte-parole des victimes de Bétharram

Une inertie qu'Alain Esquerre estime avoir retrouvé chez les habitants. "Il n'y a pas de prise de conscience collective, assure-t-il. Cela s'est passé sous nos yeux et l'internat est toujours ouvert ! Le directeur actuel fait comme si de rien était, alors que le scandale de pédophilie est avéré aujourd'hui".

Des décennies d'omerta

France 3 Aquitaine a tenté, à plusieurs reprises depuis le début de l'affaire Bétharram, de solliciter les diocèses de Bayonne et de Lourdes. Des demandes restées sans réponse.

Le maire de Pau, François Bayrou fut tour à tour député des Pyrénées-Atlantiques, président du Conseil général, ministre de l'Éducation nationale, mais aussi parent d'élève avec deux enfants scolarisés à Notre-Dame de Bétharram. Son épouse y a enseigné le catéchisme. Il n'a pas donné suite   à nos multiples demandes d'interviews.

Également contacté, le rectorat de Nouvelle-Aquitaine qui contrôle les enseignants du secteur privé, a répondu par mail, très laconique. "Les faits évoqués remontent aux années 70 à 90. À ce stade de la procédure, le rectorat n’a pas suffisamment d’éléments pour répondre sur les éventuels agissements des enseignants de cette période, mais les services académiques sont en lien avec l’autorité judiciaire au sujet de la procédure judiciaire en cours".  

"Les défenseurs de Bétharram disent que les victimes font ça pour l'argent" , regrette Alain Esquerre. 

Les gens minimisent encore. Et les enseignants sont murés dans le silence.

Alain Esquerre,

porte-parole des victimes de Bétharram

Une congrégation invisible

L'institut Notre-Dame de Bétharram a été fondé au XIXe siècle par la congrégation religieuse des pères du Sacré-cœur de Bétharram, qui a dirigé l'ensemble scolaire jusqu'en 2009. Cette congrégation est sortie du silence le 6 septembre dernier en diffusant un long communiqué de presse en forme de "mea-culpa". Elle assure être "déterminée à accompagner les victimes des abus sexuels et des violences physiques".

"Depuis plusieurs mois, de nombreuses révélations sur les terribles événements qui se sont déroulés au sein de l’établissement scolaire de Bétharram ont été relayées dans les médias, et plus particulièrement des témoignages relatant des abus sexuels et des violences physiques, commis pour la plupart des années 1970 aux années 1990", a écrit la congrégation. Les plaintes mettent en cause au moins huit prêtres, qui ont dirigé l'école privée, pour des agressions sexuelles sur mineurs de moins de 13 ans.

Cette congrégation, qui dépend directement du Vatican, a également exprimé sa volonté d'accompagner les victimes. "La congrégation de Bétharram poursuit avec détermination ce chemin de reconnaissance et de réparation en allant à la rencontre de tous ceux qui le désirent et à mettre en œuvre toutes les mesures concrètes afin que ces violences criminelles soient définitivement bannies", écrit Jean-Dominique Delgue. Le vicaire général de la congrégation de Bétharram a confié à une ONG de Bayonne une mission de médiation avec les victimes. Dans les faits, depuis ce message, elle est absente des démarches.

Selon Alain Esquerre, une rencontre est prévue en janvier prochain entre la congrégation et un groupe de victimes. "Ça va être un dialogue de sourds si on n'échange pas avant pour préparer la rencontre, prédit le porte-parole des victimes. La congrégation se cache derrière la Commission de réparation de l'église (CRR ),qui assure le service après-vente en distribuant quelques chèques pour indemniser les victimes des prêtres pédophiles. Mais ça ne répare pas le traumatisme ni le préjudice.

C'est le mépris qui pèse ! On attend de la congrégation qu'elle plaide coupable ; il faut arrêter de se cacher", lance Alain Esquerre qui regrette l'attitude en demi-teinte de la congrégation.

Les agressions sexuelles sur enfants étaient systématiques à Bétharram. Il faut ouvrir les archives et permettre aux victimes d'entrer dans les lieux. Mettre en place une cellule psychologique a minima !

Alain Esquerre

Ancien élève de Notre-Dame de Betharram, lanceur d'alerte

 

Malgré nos relances, la congrégation a refusé notre demande d'interview. Elle dit "s'en tenir au communiqué du 6 septembre."

Un prêtre mis en cause continue d'officier

Par ailleurs, un des membres de la congrégation, le père Lamasse, 93 ans, mis en cause par un ancien élève pour des abus sexuels entre 1959 et 1962, assure toujours la messe à l'Ehpad de Bétharram tous les jeudis matin. Une provocation pour les victimes. " Ce prêtre a été reconnu coupable par l'Eglise, qui a indemnisé une des victimes. Et la congrégation le protège et continue de le mettre en avant. C’est du mépris", s'agace Alain Esquerre.

Et la justice ? Le parquet a confié l'enquête à la section de recherche de la gendarmerie de Pau. "Les enquêteurs ont pu auditionner trois quarts environ des personnes s’étant manifestées par lettre plainte. Les dernières auditions auront lieu avant la fin de l’année. Nous progressons donc sensiblement. À l’issue de ces auditions, une décision sera prise sur l’orientation de ce dossier", assure Rodolphe Jarry, procureur de la république de Pau, dans un mail en date du 13 novembre.

Alain Esquerre est persuadé que l'ouverture d'une instruction judiciaire va aider la parole à se libérer. D’autres victimes se feront connaître. "On n'est qu'aux prémices du scandale. Il faut encore du temps. Depuis les années 1950, plus de 5 000 élèves ont défilé à Bétharram. Quand on évoque la scolarité, il y a toujours un malaise chez les anciens et aussi les plus jeunes. C’est palpable".

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