Témoignages. "On avait beau crier, on ne nous croyait pas" : la parole des anciens élèves de Notre-dame de Betharram se libère, une ex-enseignante confirme les violences

Publié le Écrit par América Lopez
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Plus d'une centaine de plaintes ont été déposées dans l'affaire Notre-Dame de Betharram, le nouveau scandale de pédophilie dans l'Église catholique. Parmi elles, celle d'Adrien Honoré, 33 ans, qui raconte son calvaire entre 2002 et 2004. Les faits qu'il dénonce ne sont pas prescrits et sa plainte pourrait être déterminante, alors que, pour la première fois, une ancienne professeure témoigne de la terreur qui régnait dans cet établissement privé sous contrat.

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"Témoigner à visage découvert, c'est une libération pour moi d'un poids que je porte depuis 20 ans". Adrien Honoré, 33 ans, s'est décidé à porter plainte le 9 juillet dernier devant le parquet de Pau, et à prendre la parole dans les médias.

Le petit "bizut"

Ce jeune chef d'entreprise d'1,91 mètre et 110 kg paraît solide comme un roc, intouchable. Pourtant, à 12 ans, il a vécu l'enfer lui aussi alors qu'il était pensionnaire à l'école Notre-Dame de Bétharram, près de Pau, entre 2002 et 2004.

Adrien a de mauvais résultats scolaires et il est diagnostiqué surdoué. Pour l'aider dans sa scolarité, ses parents décident de l'inscrire à Notre-Dame de Bétharram, qui bénéficie à l'époque d’une prestigieuse réputation "pour obtenir de bons résultats".

Enfant bavard, très à l'aise à l'oral, nouvel élève, appareil dentaire, toujours un livre à la main, il devient rapidement le " bizut ". Dès les premiers jours, Adrien se retrouve à genoux sur les marches du perron, les bras en croix avec un livre dans chaque main, puni par un surveillant. Une enseignante s'en étonne, mais la direction laisse faire. "Certains sévices n'avaient pas lieu en présence des enseignants qui se doutaient de quelque chose, mais qui n'avaient pas de marge de manœuvre s'ils voulaient conserver leur poste. L'école était très réputée ", se souvient Adrien Honoré.

Violé par trois autres collégiens

Au milieu du premier trimestre, le garçon va devenir le souffre-douleur de camarades collégiens et du directeur, Monsieur P., "un laïc très violent" qui a occupé les postes de surveillants et d'enseignant dans l'établissement par le passé. Son épouse est également professeur. "De novembre à janvier, j'ai été tabassé, racketté et j'ai subi des sévices et des violences sexuelles", témoigne Adrien, vingt ans plus tard. 

J'ai subi des sodomies, des fellations à trois reprises dans les toilettes de la cour de récréation, et du lycée. Je ne me souviens plus du visage de mes agresseurs, ils étaient plus âgés que moi, mais c’étaient des collégiens.

Adrien Honoré,

ancien élève de Notre-Dame de Bétharram et plaignant

Durant un an, le collégien a vécu "un enfer". "Je me réfugiais souvent dans les cuisines, j'étais ami avec les dames de cantine".

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Tripoté par un vieux prêtre

Il y a eu aussi cet épisode avec un prêtre de la maison de retraite, qui se situe juste en face des salles de classe, dans l'ancien bâtiment de l'Apostolicat de la congrégation du Sacré-cœur de Jésus de Bétharram. " Le mercredi après-midi, il y avait des activités réparation rénovation à côté de l'école. Des prêtres de l'Ehpad voisin venaient nous voir, se souvient le trentenaire.  Un jour, l'un d'entre eux a glissé sa main entre mon caleçon et mon pantalon, en prétextant que "j'avais un truc". Je suis allé immédiatement voir le directeur pour me plaindre. Il m'a menacé : "Arrêtez de mentir, vous allez rentrer dans le moule. Je vais vous faire rentrer dans le moule !' Cet homme a tout fait pour me briser".

Dès lors, Adrien vit un calvaire. Le garçon est privé de toutes les sorties scolaires, quand bien même ses parents payent, "tout m'a été supprimé, car je tenais tête au directeur". 

"On avait beau crier, on ne nous croyait pas"

L'ancien élève raconte que le directeur et les surveillants laissaient faire les tabassages et les violences entre élèves dans la cour. "Ça les arrangeait de ne pas s'en mêler parce qu'il y avait des élèves très violents, déscolarisés qui étaient placés à Notre-Dame de Bétharram. Je n'avais jamais vu cela. La violence était permanente. On ne dormait que d'un œil à l'internat. C'est le côté très noir de cette école. C'était ça Bétharram en 2002 - 2003. On avait beau crier, on ne nous croyait pas ".

Les faits ne sont pas prescrits pour Adrien Honoré qui a déposé plainte en juillet dernier. Il n’a pas été encore auditionné à ce jour.

Aujourd'hui, chef d'entreprise dans le secteur du BTP, le jeune homme a dû suivre une psychothérapie entre 2012 et 2020, "pour apprendre à vivre après Bétharram".

Vivre avec cette cicatrice

Comment se reconstruire, vivre avec ce passé douloureux ? Adrien Honoré a trouvé en lui l'énergie nécessaire pour relever la tête. Tenir bon. En couple, il projette de se marier l'an prochain, à l'église. Le trentenaire affirme "avoir gardé la foi" en Dieu. " Je continue à voir un psy, car il y a encore des nuits blanches, des frissons quand je m'endors le soir. Le plus compliqué, ce sont ses parents. "Ils ne m'ont pas cru à l'époque. Je n'ai sans doute pas dit clairement les choses. Je ne leur en veux pas, mais c'est actuellement le plus dur pour moi.

J'étais beaucoup dans la haine. Je ne veux pas que cela me définisse. Je ne veux pas m'interdire de vivre".

Aujourd’hui, j'en parle librement. Je n'en veux pas à l'Église catholique, mais à ceux qui ont laissé faire.

Adrien Honoré,

ancien élève de l'école Notre-Dame de Bétharram et plaignant

Depuis son dépôt de plainte, Adrien Honoré a donné son témoignage à plusieurs médias. "Si je témoigne aujourd'hui, c'est pour dire aussi que c'est possible de vivre après. On peut s'en sortir. Mes clients sont au courant et m'encouragent. J'ai fait une dépression, mais je vis avec maintenant, c'est comme une cicatrice ".

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"La direction a réuni les enseignants en nous menaçant"

Dans ce nouveau scandale de pédophilie dans l'Eglise, la parole se libère parmi les anciens élèves. Cent-deux plaintes ont été déposées à ce jour. Des parents se joignent à leur enfant. C'est le cas de la mère d'Adrien Honoré. Et puis, il y a Françoise Gullung, 77 ans, enseignante retraitée. Elle a quitté la région de Bétharram où elle a enseigné à l'école Notre-Dame entre 1994 et 1996, "ce fut bref, car le père directeur de l'époque, le père L. a voulu me muter". À ce jour, c'est la seule enseignante et le seul témoin extérieur à prendre la parole. 

Ce n'est pas une victime directe, mais cette professeure de mathématiques a subi des pressions et des menaces de la part de la direction de l'établissement, qui voulait l'empêcher de révéler au grand jour les méthodes" de Bétharram". À en croire son témoignage, tout est vrai. Les violences physiques quotidiennes, et les agressions sexuelles, tout le monde savait, mais gardait le silence.

"Il s'est passé des choses très déplaisantes que j'ai signalées. Le père directeur de l'époque a tenté de me muter. Le matin, on voyait des collégiens dans un état d'épuisement étrange. On savait qu'il y avait des violences physiques, et le bruit courrait qu'il y avait des abus sexuels, mais pas d'éléments suffisants, rapporte l'ancienne enseignante
J'ai réagi vivement quand deux enfants ont été laissés par moins cinq degrés dehors en slip sur le perron. Ils ont dû être hospitalisés, pourtant cela ne s'est pas su. La direction a réuni les enseignants en nous menaçant de prendre la porte si on disait quoique soit".

"J'ai été menacée, blessée, ma voiture a été vandalisée. Des parents aussi ont subi des pressions dans les années 1996 et 1997, il y a eu une enquête bâclée et ils ont été déboutés. 

Le poids des élites locales, politiques, administratives et religieuses a joué dans l'omerta autour de Bétharram.

Françoise Gullung,

professeur de mathématiques à Notre-Dame de Bétharram de 1994 à 1996

"Il faut contrôler les internats privés"

Cette professeure certifiée en mathématiques qui a fait toute sa carrière dans l'enseignement privé sous contrat, dénonce les manquements de l'éducation nationale et de l'Etat. "Le problème, c'est le contrat d'association des établissements privés catholiques. Ce contrat prévoit le paiement des enseignants et un contrôle bas de gamme du programme scolaire, mais rien sur les internats. L'Etat fait ainsi des économies de bâtiments et de transports des élèves. Et pour l'Elise et ses congrégations, c'est le moyen d'entretenir l'immobilier et le patrimoine.

En ne contrôlant pas ses internats, l'administration ne peut ignorer qu'elle met les enfants dans des conditions défavorables, à la merci d'éventuelles maltraitanes de tous ordres et de gravité variable.

Françoise Gullung,

professeur de mathématiques à Notre-Dame de Bétharram entre 1994 et 1996

"On ne doit pas autoriser un établissement sous contrat à ouvrir un internat sans contrôle. Surtout au fin fond d'une vallée perdue, c'est la porte ouverte à tout", s'insurge Françoise Gullung pour qui l'Etat a aussi sa part de responsabilité dans ce nouveau scandale de pédophile dans un établissement scolaire catholique.

Tant que l'Église catholique de France n'aura pas compris, et ne dira pas que sa faute est partagée avec l'Etat, qui néglige la protection des enfants placés en internat, le problème se répètera.

Françoise Gullung,

ex enseignante à Notre-Dame de Bétharram (64)

Suite à l'incident des deux élèves contraints de passer la nuit dehors en plein hiver glacial, la congrégation a muté le père directeur de l'époque qui a été promu évêque de Rabat au Maroc, et qui aujourd'hui dirige le synode de la famille au Vatican, à Rome.

Françoise Gullung s'est signalée au procureur de la république de Pau et se tient à la disposition de la justice. Les auditions des plaignants se poursuivent. Initialement confiée à la brigade de gendarmerie de Lescar, l'affaire a été transférée à la section de recherche de Pau.

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