Tempête 1999 en Poitou-Charentes : le réseau d'électricité à terre, 20 ans après, quelles leçons ?

Si les alertes météo reviennent très régulièrement aujourd'hui, en 1999, les tempêtes Lothar et Martin surprennent par leur violence, en pleines vacances de Noël, les fournisseurs d'électricité, subitement confrontés à une crise inédite par son ampleur.

Des arbres écroulés sur les câbles, des poteaux de béton tordus, des fils électriques arrachés par le vent... Des pylônes tombés comme des dominos... L'état du réseau électrique en Poitou-Charentes au lendemain du passage de la tempête Martin (la 2^e dépression qui traverse la France en cette fin décembre 1999) est catastrophique.

Le retour de la bougie

500.000 foyers, un peu plus de la moitié des 800.000 abonnés EDF de la région, sont privés de courant. Les lampes à pétrole ressortent des greniers, les bougies remplacent les ampoules. La panne va être longue pour certains...

Jordan Pineau (aujourd'hui technicien Enedis en Charente) a été marqué par ce moment particulier, sa vocation vient en partie de là. Il avait 7 ans, habitait Montmoreau.

J'ai le souvenir de manger à la bougie, d'aller dormir chez les grands-parents, parce qu'il y avait des cheminées pour se réchauffer... Mais surtout le souvenir de la satisfaction quand l'électricité est revenue à domicile, ce fut un plaisir, c'était valorisant pour ces personnes-là.

La fierté du service (au) public

Des milliers d'agents sont envoyés sur le terrain en urgence pour remettre le réseau sur pied. Des retraités reprennent spontanément du service et les responsables d'EDF sollicitent aussi des volontaires dans les régions épargnées par les vents pour prêter main forte dans les zones sinistrées.

En dépit de leurs efforts, les dégâts sont tellement massifs que les hameaux reculés, derniers raccordés, patienteront jusqu'à 3 semaines après le passage de Martin avant de voir revenir la lumière.

En 1999, Philippe Vidal vient d'entrer chez Electricité de France. La tempête lui laisse un très grand souvenir professionnel, c'est un moment clé, de ceux qui marquent une carrière.

Tout le monde s'en rappelle, on était fiers d'y être et d'avoir fait ce qu'on a fait à l'époque pour remettre le courant le plus rapidement possible sur notre région. On a apprécié l'entraide aussi, c'était la première fois qu'on vivait ça : des renforts qui venaient de si loin... On a accueilli des gens du Sud-Est venus qui sont venus nous porter secours, nous rendre service, boycottant leurs fêtes de fin d'année... On a ouvert notre table... et plus que la table !

Aujourd'hui, cette entraide est formalisée : c'est la Force d'Intervention Rapide Electricité. Elle fait partie intégrante du fonctionnement de l'entreprise, chacun peut être amené à y participer. Jordan Pineau était ainsi récemment dépêché en Ardèche et dans la Drôme, suite au séisme du 11 novembre 2019.

De même, à chaque alerte météo, le nombre d'agents d'astreinte dans le secteur est systématiquement revu à la hausse. Cette vigilance face aux évènements météo (vents, neige collante, inondations, canicule) est l'une des premières leçons tirées de 1999.

Rupture chez EDF

Pour l'opérateur public d'électricité, cette tempête marque un profond changement d'approche. La gestion, trop morcelée, du réseau est repensée...
Politique d'enfouissement et gestion à distance sont accélérées. Sauf exception, les nouvelles lignes créées sont souterraines et les zones les plus ventées sont prioritaires pour ces chantiers-là.

Aujourd'hui, plus de 48% du réseau basse et moyenne tension est enterré (visible en pointillé sur la carte ci-dessous).  Le pilotage du réseau à distance s'est modernisé, grâce aux outils numériques. Il est régionalisé et centralisé dans un lieu discret, sensible, appelé la conduite. Les informations remontent en temps réel et la surveillance est permanence. Grâce à cela, le temps et l'impact des coupures sont réduits à leur strict minimum.

L'objectif est de déterminer la partie de réseau la plus petite possible affectée par un incident de manière à l'isoler et à ré-alimenter les clients non concernés par l'incident.
- Fabrice Vriet, chef de l'agence de conduite régionale

Les portions de ligne peuvent être isolées grâce à des interrupteurs aériens, comme ceux-ci par exemple (voir photo ci-dessous).  
L'élagage fait aussi l'objet d'un suivi beaucoup plus pointilleux. En Poitou-Charentes, un service d'Enedis, basé à Saintes, lui est entièrement dévolu. Les tranchées autour des lignes ont été élargies. Tous les arbres relevant du domaine public et trop près des lignes sont ainsi régulièrement entretenus. Et les propriétaires privés en délicatesse avec les fils sont rappelés à l'ordre par courrier en cas de besoin. En cas de sinistre dû à des chutes de branches, l'opérateur pourrait se retourner contre eux pour assumer le coût des réparations.

De l'importance du retour d'expérience

Chaque passage de tempête fait l'objet d'analyses et de retours critiques pour en permanence ré-évaluer les procédures et les améliorer.

Si on prend l'exemple de la tempête Amélie, on voit la propagation de son impact. On a un pic de clients coupés à près de 20 mille le matin du 3 novembre à 9h40, pour un évènement débuté vers 3h du matin, d'abord en Charente-Maritime puis en Charente. Le 3 novembre au soir, on avait réalimenté près de 95% des clients impactés.
- Stéphane Ménoret, adjoint au directeur régional, en charge des opérations.

C'est conforme aux objectifs fixés par Enedis... Les trois semaines sans électricité vécues par Jordan appartiennent à la légende. C'était il y a 20 ans, la tempête du siècle...

Reportage de Marie-Ange Cristofari, Stéphane Bourin et Carine Grivet :