Reconversion dans l’agriculture : ils se sont installés à 40 ans passés, avec un projet mûri et tourné vers l'avenir

À Châtellerault, Eric et Johanna, deux quadragénaires, cultivent des légumes bio depuis mars 2020. Avant de mettre les mains dans la terre, ils ont exercé d’autres métiers, et tirent de ces expériences passées de précieux atouts pour leur vie de maraîchers.

Des légumes bio et en circuit court : c’est le créneau, simple, mais affirmé, des Jardins de la Cousinière, à Châtellerault.

Cette exploitation agricole est née en mars 2020 : lorsque la France s’est mise à l’arrêt, Eric Gérard et Johanna Juin ont retroussé leurs manches pour remettre en état la petite dizaine d’hectares, en friche depuis quelques années. Le couple a rapidement pu vendre ses premiers légumes aux habitants des alentours : "On vendait à nos voisins les quelques radis et salades qu’on avait, et quand on a commencé à avoir un peu plus, et à avoir un peu plus de voisins qui s’arrêtaient, on s’est dit qu'on allait faire une vente officielle une fois par semaine, pour éviter d’être dérangés toute la journée", se souvient Johanna. "On avait mis un petit panneau « réservé à nos voisins », et une voisine l’a pris en photo, et a partagé sur Facebook notre première vente, et là dès le premier soir, on avait 25 clients, et ça a été ça jusqu’au déconfinement".

Il faut dire que l’attente était forte, car Les Jardins de la Cousinière ont vu le jour grâce à une grande mobilisation populaire. Mais faisons un petit retour sur leur histoire : en 2018, Xavier Choisy, prend sa retraite après avoir cultivé ces terres pendant trente ans. Après une première reprise infructueuse, la société qui gère la ferme est liquidée par le Tribunal de Poitiers, et le propriétaire des lieux craint de voir l’activité maraîchère s’éteindre. Une souscription est lancée et 75 citoyens, voisins et anciens clients, réunis en association, répondent à l’appel pour réunir 40 000 euros, de quoi reprendre les actifs de la ferme. C’est là que Johanna et Eric entrent en scène : ils ont d’abord loué le terrain à l’association, le temps de s’installer, avant de le racheter. Trois ans après leur installation, le GAEC (Groupement Agricole d'Exploitation en Commun) s’est développé, et le couple accueille désormais une troisième personne dans son équipe : Antoine Hamard, l’un des voisins qui, après ses 40 bougies soufflées, a, lui aussi, voulu prendre un virage professionnel pour travailler la terre.

La reconversion : une autre approche du métier

À eux trois, Johanna, Eric et Antoine cumulent plusieurs vies, des parcours bien différents et de nombreuses compétences.

Johanna a d’abord travaillé dans l’accompagnement socio-éducatif en région parisienne, avant de se tourner vers l’agriculture bio. Eric, de son côté, était peintre en bâtiment. Il a gravi les échelons de sa profession jusqu’à diriger des projets depuis un bureau. Désireux de retrouver plus d’autonomie dans son travail, et des rapports professionnels moins protocolaires, il a quitté son poste. Avant de se lancer dans l’agriculture avec sa compagne, il a voulu essayer : "J’ai commencé par un grand jardin de 5 000m2, tout seul, car Johanna travaillait, pour un peu me faire la main, voir si c’était mon truc, donc ça m’a plutôt plu, donc on s’est mis à la recherche d’une exploitation à installer ou à reprendre."

C’est vrai que c’est un métier qui demande beaucoup de cordes à son arc. Et c’est pour ça que c’est bien aussi d’être plusieurs.

Eric Gérard

Maraîcher

Antoine, enfin, a travaillé pendant 15 ans dans l’industrie automobile. Après avoir participé à la souscription populaire pour faire perdurer les Jardins de la Cousinière, il a suivi les débuts de Johanna et Eric. Lui qui achetait déjà ses légumes à Xavier Choisy, est devenu un fidèle client : "En fait, je suis voisin, j’habite juste à côté," raconte-t-il. "Pendant le confinement, on avait droit à un kilomètre et moi ça fait juste un kilomètre". Les voisins sont désormais collègues : l’ingénieur effectue un stage de parrainage au sein du GAEC grâce à la Chambre d’agriculture, et compte devenir associé à l’horizon de janvier 2024.

Bien plus que produire quelques tomates

Antoine a longtemps mûri son projet avec Johanna : "Elle, ça la rassurait de voir comment je les voyais travailler, le fait que c’était quand même pas facile, et que je ne découvrais pas, que je n'étais pas naïf, que ce n'était pas juste, on produit quelques tomates et voilà quoi."

Effectivement, le métier ne se limite pas à la plantation et la récolte de tomates, ni même de salades, de petits pois, poivrons ou autres melons comme le font les trois maraîchers. Il faut aussi vendre tous ces légumes, et pour attirer les clients, Johanna le confie, il faut être au point sur les techniques de communication, à la limite du marketing. "Quand on s’installe, on se dit qu’on va faire notre métier, et notre métier, c'est de produire des légumes, je pense qu’on ne s'imagine pas le temps que ça demande de faire de la communication, les réseaux sociaux, c'est super bien, c’est gratuit, ça marche bien, mais ça demande beaucoup de temps d’animer les réseaux sociaux."

C’est cette pluridisciplinarité exigée par le métier qui a d’ailleurs attiré Antoine, lassé de perdre la main sur des projets de plus en plus fractionnés et internationaux dans l’automobile. Ici, il peut voir son travail évoluer de la graine à la vente, en passant par les réparations de tracteurs, les questions administratives, les rotations de cultures. "C’est important de planifier dans ce métier, ce que je vois, c'est que c’est aussi complexe que là où j’ai pu être avant, il faut penser à tout, réfléchir à tout, que ce soit les pompes, les calculs d’irrigation..." décrit-il. "Ça relève de l’ingénierie globale."

Je pense qu’on n'est que de passage, ce n’est plus comme avant où le père était maraîcher, alors on est maraîcher, il y a tellement d’ouvertures sur le monde extérieur…

Eric Gérard

Maraîcher

Eric, lui, apprécie les nombreuses questions d’organisation que pose son activité, comme une réminiscence de l’époque où il dirigeait des chantiers de peinture. De cette précédente vie professionnelle dans la décoration, il doit en revanche faire parfois taire quelques réflexes comme l’impératif d’avoir toujours un espace de travail et un rendu impeccables : "Moi, j'aime bien que le légume soit beau, que mon jardin soit beau… c’est mon œil, je n’y peux rien," avoue-t-il. "Il faut que ce soit propre, rangé, ça déteint vraiment sur mon métier aujourd’hui, si je voulais faire de la biodiversité, il faudrait laisser un peu tout pousser, donc je prends sur moi pour pas tout nettoyer."

Montrer l’exemple

Changer de métier, changer de vie, et surtout, se mettre en phase avec une vision du monde. Si Eric a choisi de se tourner vers l’agriculture, c’est aussi pour promouvoir des valeurs et des idées : "Il y a aussi le côté écologique, voilà avec la prise de conscience de ce qui se passe aujourd’hui, le réchauffement climatique, de voir qu’il faut quand même faire quelque chose, ça me paraissait cohérent, c’était un projet cohérent, avec ce que j’estimais juste et acceptable et possible."

Aux Jardins de la Cousinière, les trois maraîchers proposent des légumes bio, de saison, issus de semis qu’ils préparent eux-mêmes. Ils font aussi la promotion de la vente en circuit court, et tentent d’attirer toujours plus de public, en organisant notamment des événements sur leur terrain. Une manière pour eux d’apporter leur contribution à un futur désirable : "On veut créer un environnement, le nôtre en tout cas, qui soit en cohérence avec ce qu’il faut faire, avec la biodiversité" affirme-t-il. "On va planter une cinquantaine d’arbres cette année, construire un environnement stable qui permette à tout le monde de vivre en harmonie." Pas question pour autant de donner des leçons, et pour Eric, agriculteur depuis seulement quelques années, il vaut mieux démontrer que des méthodes d’agriculture douce et résiliente peuvent fonctionner : "Moi, j'ai du mal à dire à quelqu’un ce qu’il doit faire, mais il me semble que ça a valeur d’exemple, de faire les choses comme il me semble que tout le monde devrait les faire."

Un exemple qui ne rapporte pourtant pas beaucoup : lorsque les aléas climatiques et les sécheresses bouleversent le métier, les revenus du couple tournent autour d’un SMIC chacun, trois ans après leur installation. Pour Johanna, ce manque de reconnaissance pourrait remettre en cause la nouvelle vie qu’ils ont choisie : "J’aime ce que je fais, je veux juste bien gagner ma vie et peut-être ça pourrait me faire arrêter ça parce que ce n'est pas normal de travailler comme on travaille et de pas être rémunéré de ce travail-là," regrette-t-elle. "Je pense qu’il y a peu de gens qui travaillent autant et qui gagnent aussi peu." La saison 2023 s’annonce déjà très sèche, les récoltes de l’année seront donc déterminantes pour l’avenir des Jardins de la Cousinière.

>> Alors que le Salon International de l'Agriculture ouvre ses portes à Paris, Les Jardins de la Cousinière accueillent ce samedi 25 février le Salon à la Ferme de la Confédération paysanne, de 14h30 à 17h. 

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