Série de suicides à la prison de Poitiers-Vivonne : un système carcéral en crise ?

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Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti a été interpellé la semaine dernière dans une tribune écrite par trois avocats. Ils se disent inquiets des conditions de détention à la prison de Poitiers-Vivonne. Trois détenus s'y sont suicidés depuis le 9 août dernier. Le 22 septembre, c'est le député Renaissance de la Vienne, Sacha Houlié qui s'y est rendu. Reportage d'Antoine Morel et de Romain Burot. ©France télévisions

Avec trois suicides de détenus entre le 9 août et le 5 septembre 2023, la situation de la prison de Poitiers-Vivonne pose question. Les avocats des familles de détenus demandent à comprendre. Si du côté de l'administration pénitentiaire, on ne cache pas certaines difficultés liées à la surpopulation carcérale, on assure toutefois que les détenus sont correctement pris en charge.

En l'espace de quelques jours, en août dernier, deux détenus de la prison de Poitiers-Vivonne se sont suicidés. Le 5 septembre, c'est un troisième détenu qui s'est donné la mort dans le centre pénitentiaire de la Vienne. Face à cette série dramatique, les avocats des trois familles ont interpellé le ministre de la Justice sur les conditions de détention dans la prison de Poitiers. Surpopulation carcérale, manque de personnel, mais également des "conditions sanitaires déplorables" et un "accès très restreints aux soins médicaux" sont alors pointés du doigt.

Le député Renaissance de la Vienne, Sacha Houlié s'est rendu sur place afin d'évaluer, par lui-même, la problématique. Il souligne "une réactivité très forte de l'administration pénitentiaire face à ce phénomène" et assure que le gouvernement prend le problème à bras-le-corps.

De son côté, l'administration pénitentiaire de la prison de Poitiers-Vivonne assure que les trois détenus suicidés ont été "correctement pris en charge".

Surpopulation carcérale et manque de personnel

"J'ai eu la directrice de la prison au téléphone qui m'a annoncé le suicide de mon client et à ce moment-là m'a dit : "Cela fait trois suicides depuis le début du mois d'août, on a beaucoup de détenus atteints de maladies psychiatriques, on est un peu sous l'eau", assure Julia Courvoisier, l'une des trois avocates à l'origine du communiqué adressé le 10 septembre dernier à Éric Dupond-Moretti.

Près de deux semaines après, elle n'a eu aucune réponse. Avec ses confrères, Julia Courvoisier dénonce "un malaise général dans les prisons en France, concernant les conditions de détentions et concernant les malades psychiatriques en particulier".

Une problématique d'autant plus forte à Poitiers-Vivonne. "La prison de Gradignan, à côté de Bordeaux, a été fermée pendant un temps et donc, toutes les personnes condamnées dans le coin ont été envoyées à Poitiers, donc on s'est retrouvé avec une surpopulation d'un coup", reprend l'avocate. À Poitiers-Vivonne, le taux d'occupation serait de 140 %, selon l'administration pénitentiaire et de 155 %, selon la section française de l'Observatoire Internationale des Prisons.

Du côté de l'administration pénitentiaire, on ne nie pas cette problématique de la surpopulation carcérale. Le député de la majorité présidentielle, Sacha Houlié, en a aussi pleinement conscience. "Il y a aussi des sanctions prises par les juges qui sont beaucoup plus importantes. Et les juges ne sont pas laxistes, contrairement à ce que je lis partout, ils appliquent des peines sévères", ajoute-t-il.

Face à cette surpopulation, une donnée s'ajoute : le manque d'effectif de surveillants pénitentiaires. Le recrutement est très difficile. "Ce n'est pas faute de mettre des moyens, répond Sacha Houlié. On fait de notre mieux, on essaie de recruter des gens tout comme on essaie de construire des nouveaux établissements pour limiter la surpopulation." Sur ce dernier point, il met en avant la difficulté d'obtenir des permis de construire de la part des mairies.

Le dispositif de prévention du suicide en question

La population carcérale ressent pleinement ces manquements qui finissent par créer un cercle vicieux. "Du fait du manque de personnel, les surveillants sont tendus et ça met de la tension chez nous aussi. Depuis quelques mois, il y a une mauvaise ambiance", relève un détenu lors de sa rencontre avec le député Sacha Houlié. "Il n'y a pas de prise en compte des souffrances de façon individuelle ici. Le manque de surveillants se répercute à tous les niveaux. Les surveillants ne peuvent pas empêcher les suicides, ce sont les suivis en amont qui ne sont pas faits", témoigne un autre.

Du fait du manque de personnel, les surveillants sont tendus et ça met de la tension chez nous aussi. Depuis quelques mois, il y a une mauvaise ambiance.

Un détenu

lors de la visite de Sacha Houlié

C'est notamment sur ce point qu'insiste Me. Julia Courvoisier. Avant son passage à l'acte, son client alertait sa cousine sur sa situation. Il disait entendre des voix, avait un sentiment de persécution et était persuadé que des gens "allaient venir le tuer". "Il n'a pas trouvé d'autre solution malheureusement que de mettre fin à ses jours. Parce qu'en réalité, il faut les soigner ces gens-là, les suivre au quotidien. On ne peut pas se contenter de leur donner des médicaments ultra-lourds et les laisser dans une cellule, même seuls", pointe l'avocate.

Au sein du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne, les surveillants se sentent quelque peu démunis. "Il y a des personnes qui ne vont jamais montrer de mal-être et passer à l'acte du jour au lendemain, constate, dépitée, une surveillante. D'autres personnes sont très demandeuses d'attention, vont dire qu'elles ne sont pas bien et ont des idées noires. On va faire le maximum pour elles, et à côté de ça on ne va pas forcément voir les autres. Pour nous, c'est un échec terrible."

Pour répondre à l'urgence actuelle à Vivonne, le service médico-psychologique régional (SMPR), implanté au cœur de la prison, a revu son organisation. "Aujourd'hui, l'équipe est satisfaite des réponses que l'on peut apporter, appuie le chef du SMPR et responsable de la psychiatrie légale, Guillaume Davignon. Maintenant, on ne peut pas être derrière tout le monde." Il mentionne tout de même 118 placements en cellule de protection d'urgence, soit "autant de suicides évités".

 

Le dispositif de prévention du suicide dans les prisons en France n'est pas dans une approche psychologique et humaine. C'est seulement dans l'empêchement du passage à l'acte.

responsable des analyses et du plaidoyer à la section française de l'Observatoire International des Prisons

France 3 Poitou-Charentes, le 29 août 2023 

La directrice de la prison de Poitiers-Vivonne, Karyne Prince, se défend de tout manquement sur les trois drames survenus dans son établissement et assure qu'il n'y a aucun lien entre eux. "Effectivement, plus on a de personnel et plus, on peut avoir du temps pour être au plus près de la prise en charge. Mais là, en l'occurrence, on était sur des secteurs très différents, insiste-t-elle. On ne peut pas être dans le contrôle total de tout, il y a des évaluations qui sont faites par tous les personnels qui prennent en charge la personne, mais on n'a pas toujours la maîtrise de tout ce qui se passe dans leur tête."

Afin de faire la lumière pleinement sur ce qu'il s'est passé le 5 septembre dernier lors du suicide de son client, Julia Courvoisier a déposé une plainte pour "non-assistance à personne en danger, notamment de violences ayant entraîné le décès, des violences volontaires". "On voit assez large parce qu'on veut savoir précisément quel a été son suivi psychiatrique depuis son incarcération", complète-t-elle. Avec l'espoir que ce dossier puisse faire avancer les choses "sur le suivi psychiatrique des malades en détention". À la prison de Poitiers-Vivonne comme partout en France.

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