Près de 124 000 infirmiers libéraux exercent aujourd'hui en France. Un millier d'entre eux devraient se réunir à Paris le 4 avril prochain, pour manifester leur colère. Conditions de travail dégradées, salaires non revalorisés depuis plus de dix ans et qualité de vie amoindrie... La profession est à bout de souffle.
"Ma tournée démarre entre 6 h 30 et 7 h, dure jusqu'à 13 h, parfois plus. Sur ma pause, je m'occupe de l'administratif. À 16 h, je reprends jusqu'à 19 h 30, 20 h. Chaque jour, je fais entre 40 et 50 visites, soit environ 100 à 120 km quotidiens."
Infirmière en libéral à Saintes (Charente-Maritime) depuis une douzaine années, Sandrine Berbille est épuisée. "À 54 ans, je suis déjà dans un sale état. J’ai une tendinite aux deux épaules, au coude, des problèmes de dos. Physiquement, je ne peux plus réaliser tous les soins." Problème : elle devra attendre ses 67 ans pour obtenir une retraite à taux plein.
Vague d'abandon du métier
Comme nombre d'infirmiers libéraux, elle déplore une dégradation de ses conditions de travail depuis de nombreuses années. Non-revalorisation des honoraires, absence totale de reconnaissance de la part de l'État, détérioration du lien avec les patients... Rarement en grève, la profession doit se rassembler jeudi 4 avril, à Paris, pour demander des comptes au ministère de la Santé.
"Nous montons à Paris, parce que nous voulons dénoncer un système de santé qui s'écroule, tonne Charlène Thevenet, infirmière libérale depuis 2018. Nous sommes les oubliés du Ségur : pendant tout le Covid, nous avons continué à aller voir nos patients, nous étions les seuls. Pendant les feux de forêt, c'est pareil : nous étions les premiers mobilisés auprès des sapeurs-pompiers."
Si la colère gronde depuis des mois, elle n'a toujours pas été entendue, estime la professionnelle. "Nous constatons une baisse flagrante de l’attractivité du métier. De moins en moins de personnes s’installent chaque année. D’ici à cinq ans, 58 % des infirmiers libéraux comptent fermer leur cabinet. On fait quoi de nos patients ?"
Travailler à perte est une règle
Sur les presque 124 000 infirmiers libéraux exerçant en France, tous ceux qui voudront participer à la grève ne le pourront pas. "Nous avons une obligation légale de continuation des soins, explique Charlène Thevenet. Nous avons dû nous organiser entre nous pour mettre en place des remplacements."
Rémunérés selon les soins prodigués à leurs patients, les infirmiers libéraux doivent s'acquitter des frais liés à leur cabinet. "Une nomenclature fixe tous les tarifs de nos honoraires : 6,30 € bruts pour un pansement simple, 20 € bruts pour des pansements plus complexes, 8,50 € pour une prise de sang... Il faut ensuite décompter nos charges, environ 60% sur chaque soin, et celles versées à l'URSSAF, à notre caisse de santé, nos déplacements en voiture...", détaille Sandrine Berbille.
Bien souvent, ces personnels médicaux travaillent à perte. "Que je passe une, trois ou dix fois par jour au domicile d'un patient, je serai payée pour un passage, soupire Sandrine Berbille. La seule augmentation qu'on nous a concédée, c'est 0,25 centimes par déplacement. Soit 70 € par mois. Ça me fait tout juste un plein d'essence."
Une vie familiale déréglée
L'état de la profession pousse certains à se reconvertir. "Beaucoup de personnes se posent la question, concède François Xavier Roussel, coprésident IDEL de la Vienne. Quand vous consacrez 50 heures par semaine à votre travail, mais que vous n’obtenez aucune reconnaissance... Est-ce que ça vaut vraiment le coût de continuer ? Je n’ai plus la même motivation que lorsque j'ai commencé."
"On entend fréquemment qu’on ne peut pas faire un autre métier parce que notre dévouement auprès des patients est trop grand, que c’est notre empathie qui nous oblige à faire ça, complète Julien Pascreau, infirmier clinicien à Poitiers. Mais je pense que nous avons tous besoin de trouver du sens à ce que l’on fait."
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— Infirmiers Libéraux en Colère (@Idelencolere) March 26, 2024
Emploi du temps à rallonge, pénibilité du quotidien, rémunération trop faible... Autant de difficultés qu'il devient parfois difficile de gérer en parallèle d'une vie de famille. "Beaucoup de collègues sont en instance de séparation ou déjà divorcés, poursuit le soignant. Allez donc raconter à votre conjoint que vous ratez les soirées en famille, les repas du dimanche parce que vous êtes restés au chevet de vos patients jusqu’à 22 heures."
Les manifestants se rejoindront jeudi 4 avril, place de la Bastille, à Paris. Le cortège se rendra ensuite "sous les fenêtres du ministère de la Santé", précise Sandrine Berbille, infirmière libérale à Saintes. Un millier de personnes sont attendues.