Dominique Liot, 57 ans, est un Robin des bois des compteurs : ce technicien cégétiste chez ERDF à Toulouse rebranche des familles précaires auxquelles on a coupé l'électricité, au mépris des risques de sanctions.
A l'approche de l'hiver, les factures d'électricité et de gaz explosent, surtout dans les logements mal isolés habités par des pauvres. "On ne peut quand même pas laisser ces gens sans chauffage", lance Dominique Liot, figure emblématique de la gauche militante à Toulouse, qui travaille depuis près
de 30 ans à ERDF.
Avec ses collègues d'ERDF ou de GRDF rassemblés au sein des Robins des bois CGT de l'énergie, il mène des opérations commandos pour "remettre le jus", parfois au milieu de la nuit, à des familles de Roms, des squatteurs ou des foyers à bout de ressources. Dominique Liot lui-même ou d'autres techniciens, tous "des gaziers ou électriciens officiellement habilités", arrivent alors, encagoulés ou pas, avec le matériel nécessaire à la remise en service, mais, précise-t-il, toujours en dehors de leurs heures de travail. "C'est à des mecs comme ça qu'il faudrait donner la Légion d'honneur, pas à n'importe qui", plaide Jean-Marc Legagneux, secrétaire général du GAF, une association qui aide les sans-logis et qui le sollicite régulièrement pour remettre des compteurs en service. Jean-Marc Legagneux est admiratif de cet homme au physique passe-partout surmonté d'un front dégarni et de fines lunettes. Il décrit un "médiateur exceptionnel écouté de tous", mettant d'accord les organisations qui n'arrivent pas à s'entendre. Il arrive que des assistantes sociales l'appellent, faute de trouver une solution institutionnelle.
Depuis, Dominique Liot, "monteur exploitation et maintenance", a continué de sévir en n'étant plus guère inquiété par sa hiérarchie. Il explique cette tranquillité par le respect accordé à son travail syndical et par ses soutiens en dehors de l'entreprise. "Ils ont quand même un peur, ils savent pas ce que je peux leur sortir du chapeau". "C'est un syndicaliste qui dérange. Je ne suis pas forcément d'accord avec lui, mais il force le respect par sa force de conviction, et il est irréprochable dans son travail", dit une collègue de travail.
Né à Marseille en août 1955, Dominique Liot puise sa combativité dans la figure paternelle. Son père, prisonnier en Allemagne de 1939 à 1945, lui a inoculé la "haine du gaspillage, de l'injustice" et son optimisme. Parti à 17 ans pour Lyon, où il a accumulé les emplois d'ouvrier pour payer ses études à l'Institut national des sciences appliquées (INSA) et renoncer en fin de cursus à devenir ingénieur parce qu'il ne voulait pas être "du côté des patrons", arrivé à Toulouse en 1982, Dominique Liot prendra sa retraite
en 2013.
S'il faisait imprimer une carte de visite revendiquant ses engagements politiques ou syndicaux, il aurait du mal à les caser tous : défense des services publics, soutien aux sans-papiers, mal-logés, Roms ou Palestiniens, en passant par la LCR, les Verts comme conseiller municipal de Plaisance-du-Touch, et le Front de gauche aujourd'hui.
Près de la retraite, Dominique Liot ne dit pas à combien de rebranchements il a procédé. "Pas la peine d'aiguiller la direction". Il ne dit pas non plus combien il a de complices. Mais il se retirera la conscience tranquille car, assure-t-il, la relève est assurée. Et il continuera à militer.