Trois écrits entremêlés, celui d’une ancienne éleveuse de chèvres devenue écrivaine, celui d’une bergère et celui d’un professeur d’université qui les visite et les poétise. Ainsi cheminera le lecteur dans cet ouvrage où la vie en estive n’est pas que bucolique, loin de là.
Nos Pyrénées sont belles. Il y aura bien "cette mer de nuages qui reflète le ciel pastel", des "asphodèles, pensées cornues, orchidées" et ce "soleil qui incendie l’estive". Mais là n’est pas le cœur du récit. Ces monts sont un monde d’hommes où il faut s’imposer, prouver sa légitimité. Et y être bergère est, sans doute et avant tout, un sacrifice.
"J’ai réinventé ma vie pour que mon loisir soit mon quotidien. Je ne pars plus en vacances. Je n’ai plus besoin de gagner autant d’argent. J’ai banni le mot « loisir » de mon vocabulaire." Ainsi Violaine Bérot résume son choix de devenir éleveuse de chèvre en Ariège après avoir été informaticienne, et avant de faire des ménages en Ehpad, pour pouvoir se consacrer pleinement à l’écriture.
Florence Debove, elle, avoue s’être coupée de ses connaissances, mal supporter les gens, leur bruit, leur lenteur et devoir adapter son rythme au leur. Ainsi Jean-Christophe Cavalin résume ce sacerdoce pastoral :
La pente a bu votre sang : vous voilà liées, bergères. Tout en vous est consacré, vos hanches dures à l’ouvrage, votre féminité d’athlète. Retranchées des épouses et mères, vous passez dans vos chœurs de brebis et de chèvres.
L’image du berger libre et indépendant vole aussi en éclat quand Florence explique comment elle doit "se vendre" auprès des éleveurs pour garder leurs troupeaux en estives haut-pyrénéennes. "S’ils me choisissent, ils me confieront leur raison de vivre, ça vaut un interrogatoire en bonne et due forme. (…) Désolée, je négocie, mais m’isoler du monde pendant quatre mois, et le faire depuis six ans, requiert un sacrifice qui ne sera jamais pris en compte. C’est ça ou j’arrête. Ils m’embauchent."
Des bêtes et des Hommes
Ces récits racontent aussi les liens entre les bêtes et les Hommes. "Un chien qui vit pour son maître apprendra tout ce qu’on veut" y apprend-t-on. "Oui je mange mes bêtes. Je les aime et je les mange" est-il encore avoué, n’en déplaise à certains. Et puis comment passer à côté de l’ombre omniprésente du prédateur, loup ou ours.
Mon troupeau a subi une attaque d’ours. Je repère le corps d’une brebis sous le chemin de randonnée. Les brebis dérochées sont ma pire crainte. C’est le rôle du berger d’achever les brebis agonisantes. J’ai un couteau bien aiguisé dans mon sac et la peur au ventre. Soutenir le regard de la bête, enfoncer la lame, sentir la chaleur du sang qui ruisselle sur mes mains, accompagner. Respirer un grand coup, passer à la suivante.
Perdre l’une de ses bêtes est une mini-défaite, une remise en cause de son travail et un rappel aussi que la nature donne autant qu’elle reprend. Mais à peine la descente effectuée que la bergère a envie d’y remonter, lassée de ces soirées en tête à tête avec le chien, dans un monde beaucoup trop grand pour eux. "Moi, rien ne m’ancre. Je vais passer l’hiver à observer le jardin jaunir, sécher, cristalliser, se densifier, fleurir. A peine le temps de me fondre dans le monde et puis l’estive".
« Pastorales », Violaine Bérot, Florence Debove et Jean-Christophe Cavallin, éditions Wildproject
Une première version du Chant I du livre avait été donné en lecture dans l'église d'Aucun en juin 2023, dans le cadre du festival "le murmure du monde".