"Et vous passerez comme des vents fous" est le dernier roman de Clara Arnaud. Gaspard, berger en Ariège, accompagne ses brebis en estive et doit vivre avec la menace de l'ours dont les déplacements sont étudiés par Alma, éthologue. Le plantigrade cristallise les tensions.
"L’ours était ici un totem qui cristallisait les tensions, polarisait les gens, un marqueur identitaire. On affirmait sa position dans le monde, son camp, en se rangeant du côté des pro ou des anti." (extrait) Clara Arnaud nous propose une immersion dans le Couserans, au cœur du parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises, avec ses habitants, ses bergers et l'ours. "Cet animal est du côté du diable" assénait un curé à la fin du 19ème siècle.
Cet animal est du côté du diable
Un curé au 19ème siècle
"Les ours avaient disparu de la région durant plusieurs décennies, on avait désappris à vivre à leurs côtés. Et tandis que les injonctions toujours plus contradictoires pesaient sur les agriculteurs, que la PAC les écrasait de son arsenal de normes sanitaires et sécuritaires, ils s'étaient forgés contre une autre adversité : la bureaucratie. Ils avaient oublié comment faire avec l’ours". (Extrait) Mais l'ours est de retour et traque les brebis.
Alma, l'éthologue et Gaspard, le berger
Alma travaille pour le programme pilote Ethologie de l’ours du Centre national de la biodiversité. Sa mission : dresser un panorama de l’usage du territoire par les deux ourses qui le fréquentaient. Gaspard est berger et il part en estive plusieurs mois avec ses brebis. Son cheptel va subir les assauts des plantigrades. Gaspard n'est pas le plus virulent, mais en bas, au village, les attaques fusent : " Y avait des raisons si on les a butés, on a appris à vivre sans, on s’en portait très bien ! Qu’on ne vienne pas nous faire chier avec des discours écolos. On en a marre d’être pris pour des cons." (extrait)
Alma tente d'expliquer sa mission. On connaît mal les ours, on en sait peu sur leur vie, leurs interactions, comment ils occupent un territoire, pourquoi ils attaquent plus certaines estives. Mais c'est difficile. Elle va retrouver sa voiture taguée d'un énorme "salope à ours"...
Clara Arnaud, née en 1986, a vécu en Chine, en République démocratique du Congo et au Honduras.
Quatre questions à Clara Arnaud
Comment vous est venue l'idée d'écrire ce livre ?
J'ai acheté une petite maison en Ariège, dans le Couserans. Dans un hameau où il y a désormais 3-4 habitants à l’année. On peut difficilement être plus enclavé. Et j’ai eu envie d’écrire depuis ce territoire.
J’avais envie de parler de la montagne, dont la manière dont moi, je la vis. Cela fait presque 20 ans que je séjourne longuement en Asie centrale, dans le Caucase ou les Andes où il y a beaucoup d’activités pastorales, donc je côtoyais les bergers depuis longtemps. J’avais envie de parler de ce monde-là, ce rapport à la montagne, de ceux qui la vivent au quotidien et qui portent un regard dessus. Ce n’est pas le rapport des alpinistes ou des touristes qui la verraient comme une carte postale.
Ça m’intéressait d’avoir quelqu’un qui a un regard scientifique, qui connaisse bien la biodiversité, le comportement des animaux. Les deux personnages me le permettaient.
Ce qui m’intéressait aussi, c'est que la montagne ça bouge dans le temps, avec les saisons, avoir des personnages qui se déplacent pour pister l’ours, pour veiller les brebis.
Et l'ours ?
L’ours, c’est presque un prétexte. Oui les ours me fascinent comme beaucoup de gens. Oui, on est sommé en Ariège de dire qu’on est pour ou contre et souvent, c'est un sujet qui est évité, car il est polémique et politique.
Mais moi, j’ai très souvent eu l’impression que la majorité des gens qui ne s’exprimait pas par peur avait des avis beaucoup plus nuancés sur la question. Ce n’est pas l’amour ou la haine. C’est un mélange de plein de choses, de fascination, d’inquiétude, d’incompréhension et la polémique autour de l’ours, elle est souvent le porte-étendard de problématiques qui dépassent largement l’ours : la question de l’agriculture aujourd’hui, du pastoralisme...
C’est un animal qui a une place à part, qu’on le déteste, qu’on veuille le tuer ou le protéger à tout prix. Et je trouvais que c’était intéressant dans notre rapport au monde sauvage. J’ai toujours eu l’impression que les gens au contact de la montagne, moi y compris, c’était un territoire où on pouvait retrouver notre part sauvage.
Vous avez réalisé un travail de recherche important ?
On peut à la fois être très romanesque et avoir un texte au contenu documentaire, qu’il s’agisse de l’étude comportementale de l’ours, de la faune, de la flore, ou du pastoralisme dans le Couserans en particulier. J’ai accompli un travail extrêmement précis avec des personnes "référence. Mais ce que je cite moins, c’est tout le reste des influences, de films par exemple ou de tableaux. Ce sont des matières moins visibles que j’utilise aussi.
Le texte, il est issu d’une matière documentaire et du terrain parce que je passe beaucoup de temps sur le terrain, plus qu’à écrire, et donc il s'agit d'une matière personnelle et intime. Lorsque je parle de la montagne, je me sers de mon vécu et ensuite tout devient nourriture.
"Et vous passerez comme des vents fous." Pouvez-vous nous expliquer le titre de votre livre ?
C'est le dernier vers du poème "L'impromptu" de l'Arménien d'Hovhannès Chiraz que je ne connaissais pas qui n’a pas été retraduit en France depuis un demi-siècle, je crois. C’est un berger en Ariège qui m’en a parlé. Ce poème selon lui faisait écho à ce que j’étais en train d’écrire et j’ai trouvé que c’était vrai.
Et au moment de chercher un titre, cela a été un processus long et pénible, d’un coup, je me suis réveillée un jour et je me suis dit qu’en fait, il fallait aller piocher dans ce poème. Et on a pris le dernier vers. Cela raconte bien ce que devrait être la place de l’humain dans le vivant, c’est-à-dire une place parmi les autres, presque éphémère.
Clara Arnaud participera à la Semaine des possibles à Marciac (Gers). Rendez-vous le 26 octobre à 17h30.