SEMAINE DU HANDICAP - Un duo de deux jeunes femmes originaires de Toulouse, Julie, diagnostiquée autiste Asperger et Anne-Claire, diagnostiqué "personne à haut potentiel", vont ouvrir un café-librairie à Castelnaudary, dans l'Aude. Un projet pour s'intégrer dans la société à leur manière.
L'idée leur est venue en plein confinement. Deux jeunes Toulousaines, Julie et Anne-Claire, ont décidé de quitter la ville pour Castelnaudary, dans l'Aude, afin de s'y installer et d'y créer un lieu unique qui leur ressemble : un salon de thé-librairie. Julie a été diagnostiquée autiste Asperger, Anne-Claire, personne à haut potentiel. Elles se sont rencontrées, il y a deux ans, par leur travail et leur passion pour la littérature. Aujourd'hui, créer leur entreprise leur permet de s'imposer à leur manière dans une société où il est parfois difficile de s'intégrer.
Créer un lieu accueillant pour les femmes
Tout commence par une envie de verdure, partagée par beaucoup de français, pendant les trois mois de confinement du début de l'année. "J'ai voulu rejoindre une ville avec plus de nature, mais je ne trouvais aucun endroit pour télétravailler, seulement des cafés fréquentés surtout par des hommes, raconte Julie. J'ai toujours habité en ville, et ce sont des lieux auxquels j'étais habituée et qui me manquaient. Je ne me trouvais nulle part en sécurité en tant que femme."Avec sa collègue Anne-Claire, elles ont alors l'idée d'ouvrir leur propre tiers-lieu : Le Boudoir de Miss Lovelace, du nom de l'inventrice du premier véritable programme informatique, pour le clin d'oeil féministe. Un salon de thé, mais aussi et surtout une librairie, pour leur passion commune. "On avait l'habitude, à Toulouse, de passer les trois quarts de notre pause déjeuner chez Gibert Joseph", se souvient Julie.
Ce futur lieu, qui sera installé en centre-ville, Julie le décrit comme chaleureux, avec des livres d'occasion à bouquiner sur place, ou à emporter, mais aussi propice aux créations artistiques, avec des ateliers couture pour Anne-Claire, ancienne couturière. Un espace qui leur permettra de s'exprimer dans leur différence.
Il y a quelques mois j'ai reçu un diagnostic de Syndrome d'Asperger qui est venu poser une étiquette sur ce que ma mère appelait "mes insuffisances". Alors plutôt que de parler d'insuffisances, je me dis que je pourrais en faire un atout et tenter de créer un lieu atypique, rempli de livres parfumés au thé pain d'épices et au chocolat chaud.
Faire de son handicap un atout
Pour Julie, créer son entreprise lui permet de s'affranchir d'un contexte professionnel normé, qui lui pose problème au quotidien en tant qu'Asperger. Ce syndrome est une forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage. Mais les personnes qui en sont atteintes ont des difficultés d'intégration sociale.Par ailleurs, les personnes Asperger développent un intérêt restreint, une obsession pour un sujet ou une activité en particulier. "Le mien, c'est la lecture. Je ne me suis jamais sentie autant à l'aise que dans une librairie." Son amie Anne-Claire, diagnostiquée comme Julie "personne à haut potentiel", partage justement la même obsession, la même sensibilité. "J'aime les livres, j'aime en conseiller aux gens, j'aime organiser, ranger, c'est pour ça que je pense que ça me conviendrait parfaitement", abonde Julie.Les autistes Asperger ont également besoin de sécurité et de routines, sont particulièrement sensibles (bruit, toucher, lumière, selon les personnes), et ont des difficultés à se concentrer en groupes. "Ma seule crainte est de voir si je vais m'habituer au contact des gens toute la journée, mais heureusement pour ça, il y a Anne-Claire." Les deux complices se complètent.Etre Asperger, ce sont des difficultés au quotidien, ça a un impact sur les relations sociales, on ne maîtrise pas les codes, tout ce qui est implicite, l’ironie. Dans ma vie professionnelle, ça m'a coûté dans ma relation avec mes supérieurs, car je ne concevait pas ce rapport de hiérarchie, les codes de l'entreprise. Je m'adressais à mes patrons comme à des collègues. Ça m'arrivait de toquer à la porte quand on ne répondait pas à mes mails. Je me suis fait virer ou alors ça ne convenait plus au bout de quelques mois.
Je suis bardée de diplômes, il y a des choses qui peuvent me sembler très faciles, et d'autres choses censées être faciles qui ne le sont pas du tout pour moi. Mes parents m'ont poussé à faire de grandes études, et maintenant ils me demandent si j'ai fait tout ça pour servir des cafés. Mais ça ne sera pas n'importe lesquels. Ce sont les miens.
Les deux jeunes femmes sont soutenues par la mairie de la commune de 12.000 habitants et la chambre de commerce de l’Aude. Business plan, stock de livres, local, hormis les incertitudes provoquées par la crise sanitaire, et quelques meubles, elles sont presque prêtes à se lancer dans l'aventure. Le Boudoir pourrait ouvrir au premier trimestre 2021. Mais avant, elles lancent une campagne de financement participatif, afin de compléter leur budget. "300 personnes ont répondu à notre étude de marché sur les réseaux sociaux, on sait que notre projet est attendu", estime Julie. Pour le moment, la collection de leur librairie d'occasion est déjà disponible en click&collect.