Installé depuis 2015 dans ce village près de Narbonne, Fabrice Sauget n'en peut plus. Entre l'inflation, la hausse des matières premières et la concurrence de l'épicier, il est pris à la gorge et ne se verse plus de salaire.
A Bizanet, un village de 1 700 habitants près de Narbonne dans l'Aude, l'affiche du boulanger ne passe pas inaperçue. Fabrice Sauget est en grève. S'il continue à fournir ses clients, il veut exprimer son désarroi. Entre la concurrence de l'épicier qui vend désormais du pain, et la baisse du pouvoir d'achat de ses clients, il ne s'en sort plus. Installé depuis sept ans, l'artisan ne se verse plus de salaire depuis des mois. "Mes fournisseurs de farine et de produits frais sont assez compréhensifs et me laissent des délais, mais je dois de l'argent partout. Je n'en dors plus le soir", raconte-t-il.
Pour survivre, il doit continuer à produire, tout en faisant des économies. Il s'est donc attaqué aux charges d'électricité et a pris des décisions radicales. Le boulanger éteint désormais de plus en plus d'appareils : le refroidisseur d'eau, le surgélateur, plusieurs lampes, etc. Désormais, le four à pain est uniquement utilisé en heure creuse, de 4h30 à 6h30 : "Après j'éteins le four parce que ça coûte trop cher", détaille Fabrice Sauget.
Les factures ont explosé, tout particulièrement celles de la farine. "Avant j'étais à presque 900 euros par mois, je suis monté à 1 300/1 400 euros." Il a fait le choix d'une farine de qualité, labellisée rouge. Il l'assume, mais "forcément je le paye au bout, sans le répercuter à mes clients". Du moins "pour l'instant, mais jusqu'à quand ?", s'interroge-t-il.
Une structure totalement repensée
Le fait d'éteindre des appareils n'est pas anodin, l'organisation du boulanger est bouleversée. "Comme il faut que je cuise tout plus tôt, il faut que j'essaie de deviner au plus juste les quantités de pain que j'ai à produire." S'il y a en a trop, c'est la perte assurée, et s'il n'y en a pas assez, il y a le risque de manquer des ventes. Avant, le boulanger laissait une partie de l'équipement allumé, pour pouvoir cuire du pain frais tout au long de la journée, en fonction des besoins. Désormais, il est impossible d'anticiper.
Et c'est encore pire pour la pâtisserie. "Puisque mon congélateur est éteint, je ne peux plus stocker mes produits", rappelle-t-il en le pointant, "je ne peux donc plus faire de l'avance, je suis obligé de tout réaliser en direct" ce qui ne permet pas de répondre à des demandes spéciales ou immédiates. Il propose également moins de produits qu'avant. Des économies d'un côté, et un manque à gagner de l'autre.
Sa vie de famille anéantie
Au bout du compte, le boulanger se retrouve avec une boutique moins approvisionnée, et des semaines interminables. "Ma vie de famille est terminée : je ne vois plus mes enfants, je vois ma femme très rarement, parce que je me donne à 200% pour mon magasin." Tous ces changements ne sont pas sans conséquence pour la vie du boulanger, qui l'avoue : "Bien sûr, ça impacte mon temps de sommeil. En ce moment, je sais que je travaille entre 16 et 18 heures par jour."
Avec l'augmentation du coût des matières premières, le boulanger ne sait plus où il va. "Je ne peux pas vous dire où ça va me mener, à part peut-être à la dépression à force de tirer sur la corde."
Le fait d'éteindre ces appareils "a complétement changé mon mode de vie" confie l'artisan. "Je faisais déjà beaucoup d'heures, puisque je suis le seul à faire tout, mais là c'est devenu impossible, je suis toujours à la boulangerie", déplore-t-il.
En quelques années, Fabrice Sauget a perdu une centaine de clients, mais il lui en reste 60 qui le soutiennent. Une fois sa boulangerie fermée, il se plongera encore dans sa trésorerie. Mais sans augmenter ses prix et attirer de nouveaux clients, l'équation sera difficile à résoudre.
Ecrit avec Delphine Aldebert avec Enrique Garibaldi.