Séance solennelle annuelle, cette semaine, pour les 45 juges du tribunal de commerce de Narbonne, dans un contexte inédit. Malgré les mois de confinement et l’économie au ralenti, les procédures collectives et de liquidation sont en recul de 47% sur le ressort de cette juridiction audoise.
Chaque année en janvier, les tribunaux de commerce font leur rentrée solennelle. Ils sont 134 en France. Une cérémonie symbolique mais aussi l’occasion de révéler quelques chiffres.
En 2020, le tribunal de commerce de Narbonne a ainsi traité 47% de dossiers en moins, notamment les placements d'entreprises sous contrôle judiciaire. Elles semblent avoir plutôt bien résister au Coronavirus, mais la tendance devrait se dégrader en 2021. Cette juridiction consulaire composée notamment de juges élus peut aussi aider et conseiller les entrepreneurs en difficulté.
2020, les entreprises sous perfusion
«Paradoxalement, en fin d’année 2020, la situation des entreprises sur le Narbonnais était plutôt bonne. Certaines ont même réalisé une meilleure année qu’en 2019». Jean-Pierre Cassand est le président du tribunal de commerce de Narbonne depuis deux ans. Ce chef d’entreprise local refuse de se laisser gagner par le pessimisme : «Je ne suis même pas certain qu’il y aura une hécatombe dans l’année… Aujourd’hui, des sociétés ne font plus du tout de chiffre d’affaires mais peuvent tenir grâce aux différentes aides d’Etat, qui ont clairement permis de sauver des entreprises. L’inconnu reste le niveau du redémarrage quand certains vont pouvoir relancer leur activité et repartir».
Une inconnue à haut risque, car d’autres représentants des entrepreneurs sont plus pessimistes : «30% des hôtels et cafés-restaurants de l’Aude risquent le dépôt de bilan dans l’année. Certains sont d’ores et déjà en très grande difficulté. Ils ont des charges fixes très lourdes à payer, comme les loyers ou les assurances, que les aides d’Etat ne permettent pas de couvrir en totalité», explique Thierry Deniau, le président départemental de l’Union des métiers de l’industrie hôtelière de l’Aude (UMIH 11).
Les prêts garantis par l’Etat (PGE) ont permis de sauver des entreprises, mais dans le lot il y en a qui sont sous perfusion.
2021, l'année de tous les dangers
Les aides et l’accompagnement massif de l’Etat ont permis jusqu’ici de limiter les dégâts et les dépôts de bilan, mais cette année risque de mettre un certain nombre d’entreprises au pied du mur : «Une entreprise qui n’était pas saine le 31 décembre 2019, il y a peu de chances qu’elle aille mieux aujourd’hui… », explique Jean-Pierre Cassand.
Depuis des mois, les acteurs économiques redoutent l’échéance du printemps 2021 : c’est la date à partir de laquelle une partie des entreprises auraient dû commencer à rembourser l’argent qui leur a été prêté pour survivre à la crise. Une date qui peut finalement être repoussée d’un an supplémentaire, suite aux dernières annonces du gouvernement.
«C’est déjà bien, mais ce n’est qu’une partie de la solution. Il reste les intérêts sur le prêt et les assurances à rembourser et qu’on ne peut pas repousser. Et le PGE souvent, n’a pas permis de payer toutes les charges fixes des entreprises. Ceux qui ont des gros loyers notamment, ou qui se sont trop endettés avant la crise ne peuvent pas couvrir leurs frai », tempère Thierry Deniau.
Des entreprises sur le fil
Cyril Buesa est l’un des quatre patrons associés du Rive Gauche, un bar-restaurant au centre-ville de Narbonne. Depuis le mois de mars, il monte souvent au créneau pour défendre sa profession. Il s’est imposé comme le représentant des bars et restaurants de l'Aude et devrait être officiellement investi par l’UMIH 11 en ce début d’année. Le PGE, son entreprise y a fait appel pour un montant total de 100 000 euros, mais ne l’a utilisé qu’à hauteur de 55. 000 euros.
Pourtant la situation financière du Rive Gauche est compliquée.
Nous avons une autorisation de découvert à la banque jusqu’à -35 000 euros. En début de semaine, nous étions à -45 000€.
Cyril Buesa et ses associés attendaient avec impatience les versements de plusieurs aides : le montant correspondant au chômage partiel de ses employés. Et l’enveloppe du fonds de solidarité (un mécanisme qui compense les pertes de chiffres d’affaires pour les entreprises de plusieurs secteurs d’activité durement touchées par la crise). «Cela fait plusieurs mois que le chômage partiel nous est versé en retard par l’Etat. Du coup, on se retrouve à avancer les paies de nos salariés pour bien les payer en temps et en heure à la fin du mois. Mais on ne va pas pouvoir faire la banque pour l’Etat pendant longtemps, surtout si on ne peut pas rouvrir nos établissements».
Le PGE, une bombe à retardement ?
Pour ce patron, «le PGE, c’est une bombe à retardement. On dit que c’est une aide mais c’est surtout une facilité, parce que ça reste un prêt qu’il faudra rembourser. Ca va peser sur les trésoreries» estime Cyril Buesa.
Il alerte aussi sur un autre effet pervers du dispositif. «On dispose de 5 ans pour l’amortir sur le bilan de nos entreprises. Le report possible d’une année ajoutée à la possibilité de contracter un second prêt sont de fausses bonnes idées, puisque la durée d’amortissement va rester la même : il faudra amortir plus, mais en moins de temps. Je ne suis pas sûr que, même dans un an, tout le monde aura l’argent pour commencer les remboursements. Et ça va aussi impacter les capacités des entreprises à emprunter dans le futur et donc à investir».
Car pour prêter de l’argent, les banques regardent systématiquement la capacité d’autofinancement des sociétés, pour estimer quelles sommes l’entreprise sera en capacité de rembourser chaque mois. «Les PGE vont faire baisser de façon drastique nos capacités d’autofinancement. In fine, le PGE va être un frein à l’investissement» estime Cyril Buesa.
Sur la question des remboursements, Jean-Pierre Cassand se veut plus rassurant : «Beaucoup d’entreprises vont rembourser le PGE parce qu’elles n’y ont pas touché, elles l’avaient pris par précaution. Au début, c’est vrai, les banques ont accordé les PGE sans être trop regardantes, sans trop analyser les situations des entreprises, mais je peux vous assurer que maintenant elles sont très attentives aux capacités de remboursement et ne les accordent plus aussi facilement».
Reste que l’année 2021 s’annonce plus difficile pour les entreprises que 2020, particulièrement dans l’Aude, un département où l’économie est habituellement tirée par deux secteurs très touchés par la crise : le tourisme et la viticulture. Et tous les acteurs économiques interrogés sont d’accord sur un point.
Surtout, je dis à tous les patrons d’hôtels, de bars, de restaurants : que vous soyez adhérents chez nous ou pas, si vous traversez des difficultés, ne restez pas seuls ! Venez-vous voir pour qu’on vous aide !
Un appel également passé par le président de tribunal de commerce de Narbonne : «Les entrepreneurs hésitent parfois à pousser notre porte. Mais notre but, c’est de sauver les entreprises, pas de les couler ! On a des solutions, des informations, on peut les aider à s’en sortir».
Les sollicitations devraient être nombreuses cette année, les tribunaux de commerce s’y préparent.