Le 5 avril 1971, "343 salopes" brandissaient leur stylo pour rédiger un manifeste en faveur de la dépénalisation de l'avortement. Parmi les signataires, Maryse Arditi, ex-conseillère municipale à Narbonne et ancienne vice-présidente de la région Languedoc-Roussillon.
En 1971, Maryse Arditi boucle sa thèse. Cette docteure en physique nucléaire, féministe de la première heure, n'a alors pas réellement le temps de militer. "Un jour, une de mes copines me dit : 'je viens de signer un texte pour la dépénalisation de l'avortement, est-ce que tu veux le signer ?'", se souvient-elle.
À l'époque en effet, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est passible de poursuites en France, pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement. Pour avoir la possibilité d'avorter, les femmes sont contraintes de se rendre à l'étranger, notamment en Angleterre où l'avortement est légal depuis 1967.
Je savais bien que c'était un acte illégal et interdit. Si je signais, je pouvais courir le risque d'être attaquée. J'ai donc demandé à mon amie quelles autres femmes avaient signé et j'ai vu qu'il y avait une palanquée de célébrités.
"C'était un geste symbolique"
Parmi les illustres signataires de ce qui deviendra le "manifeste des 343", Simone de Beauvoir, Brigitte Fontaine, Jeanne Moreau ou encore Françoise Fabian. Le texte restera dans les mémoires sous le nom de "manifeste des 343 salopes", après une parution du journal satirique Charlie Hebdo.
"Je n'étais clairement pas au niveau de ces femmes et je ne comprenais pas pourquoi on me demandait de signer. C'est là que mon amie m'a dit : 'On a pensé que ce serait bien d'avoir des madames tout le monde'", poursuit Maryse Arditi. Le 5 avril 1971, elle accepte donc d'apposer son nom sous la bannière "Je me suis fait avorter".
Je n'avais pas avorté à l'époque [NDLR : elle le fera quelques années plus tard en Angleterre], et je ne suis pas sûre que c'était le cas de toutes les autres signataires. Mais c'était un geste symbolique.
À l'époque, les mentalités commencent lentement à évoluer dans l'Hexagone, notamment grâce à la légalisation de la pilule contraceptive en 1967. "Mais on avait besoin de bousculer la société pour que les choses aillent plus vite", ajoute Maryse Arditi.
L'infatigable octogénaire se rappelle d'un procès qui l'a particulièrement marquée. En août 1971, Marie-Claire Chevalier, 16 ans, subit un viol et tombe enceinte. Avec l'aide de sa mère, elle fait appel à une "faiseuse d'anges" pour avorter en secret. Mais quelques semaines plus tard, son agresseur la dénonce. Marie-Claire Chevalier est convoquée en 1972 devant le tribunal de grande instance de Bobigny pour répondre de ses actes. Défendue par l'avocate Gisèle Halimi, elle est finalement relaxée. Sa mère est condamnée à une amende et la "faiseuse d'anges" écope d'un an de prison avec sursis.
Mais la machine est lancée et la décision du tribunal de Bobigny restera dans les annales. Fraîchement élu président de la République, Valéry Giscard d'Estaing demande en 1974 à la ministre de la Santé Simone Veil de préparer une loi autour de la dépénalisation de l'IVG.
Après des débats houleux au Parlement, le texte est finalement adopté et promulgué à titre provisoire en janvier 1975, avant d'être reconduit sans limite en 1979. Mais le droit à l'avortement reste soumis à des conditions : une clause de conscience permet par exemple aux médecins et aux sages-femmes de refuser de pratiquer un tel acte.
Cinquante ans après, le combat continue avec un nouveau manifeste
Tout au long de sa carrière militante et politique, Maryse Arditi n'a jamais cessé de se battre pour faire son trou. En 1989, elle se lance dans la course à la mairie de Narbonne avec une liste paritaire et est élue conseillère municipale sous l'étiquette des Verts. Plus tard, en 2004, elle devient vice-présidente du Conseil régional du Languedoc-Roussillon.
J'arrivais parfois dans des réunions publiques presque à 100 % masculines et je disais tout haut : "ça manque de femmes !"
Si elle ne se définit pas comme une pionnière, elle espère que son parcours et son engagement ont pu ouvrir la voie à d'autres femmes. "Parfois, on voit que certaines femmes arrivent à faire un certain nombre de choses. Et du coup, ça peut permettre à d'autres de se dire que c'est possible."
Et justement : à l'occasion des 50 ans du manifeste de 1971, 343 femmes ont signé dimanche 4 avril une nouvelle tribune dans le JDD pour réclamer l'allongement des délais légaux d'accès à l'IVG, limités à douze semaines aujourd'hui. La Narbonnaise soutient l'initiative.
Douze semaines, c'est parfois trop court pour celles qui veulent entamer le processus. Une fois encore, on se retrouve avec des femmes qui partent à l'étranger pour pouvoir avorter et c'est malheureusement une opportunité réservée aux plus riches. Je pense que les femmes d'aujourd'hui ont raison de se battre pour ce droit : il ne faut s'interdire aucun imaginaire.
La proposition de loi "visant à renforcer le droit à l’avortement" a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale en octobre dernier. Ce texte, qui prévoyait entre autres de porter le délai légal de recours à l'IVG à quatorze semaines, a été rejeté par le Sénat le 20 janvier 2021. Alors qu'il devait être de nouveau discuté dans l'Hémicycle en février, il a finalement été retiré de l'ordre du jour en raison d'un grand nombre d'amendements déposés par la droite.