L'association L214, qui milite pour le bien-être animal, dénonce, dans une nouvelle vidéo diffusée ce mercredi 24 juin 2020, certaines méthodes d'engraissage et d'abattage des agneaux de la filière Roquefort. Un élevage industriel et un abattoir, tous deux Aveyronnais, sont montrés du doigt.
Ces images ont été tournées clandestinement en janvier et février dernier. Elles sont au coeur de cette nouvelle enquête de l'association militante L214. Et sont visibles depuis ce mercredi 24 juin.
La vidéo dure quelques minutes. Intitulée "Roquefort, souffrance d'origine garantie", elle montre des images d'une exploitation d'engraissement d'agneaux située en Aveyron, la plus grande de France, selon L214. 500 000 agneaux y passeraient chaque année.
1/4 des agneaux partent à l'engraissage puis à l'abattage
Le commentaire de cette vidéo explique que "la production de Roquefort implique la naissance d'un million d'agneaux chaque année pour provoquer la lactation des brebis. Les agneaux qui ne sont pas gardés sur les exploitations pour remplacer les mères (seuls 1/4 restent dans les élevages laitiers) sont engraissés dans des élevages intensifs". Dans celui pointé du doigt par l'association, les animaux ne voient pas le jour, souffrent de malformations et de maladies respiratoires.
A 4 mois, poursuit le commentaire, les agneaux sont envoyés à l'abattoir. Et toujours selon L214, l'abattoir où sont tournées les images clandestines, situé près de Rodez, commet depuis plusieurs années de multiples infractions à la réglementation, au moment de la mise à mort des agneaux. Sur les images, on voit en effet des agneaux être égorgés alors qu'ils ne sont pas correctement étourdis par la pince électrique. Ils sont donc tués en pleine conscience, affirme L214.
Personnel de l'abattoir non formé
Ces manquements ne sont pas nouveaux et avaient fait l'objet d'un rapport défavorable des services vétérinaires. On peut lire dans celui-ci que "le personnel ne connaît pas et n'applique pas les bonnes pratiques en protection animale", qu'il existe une "non-conformité majeure de la mise à mort", ou encore que "les animaux sont systématiquement hissés conscients".
Rapport vétérinaire abattoir Sainte-Radegonde
L'association L214 demande aux producteurs de lait et aux industriels de modifier le cahier des charges du Roquefort pour "y interdire l'élevage sans accès extérieur". Et demande, par le biais d'une pétition qu'elle lance en même temps que la diffusion de sa nouvelle enquête, la fermeture de l'abattoir incriminé.
Suspension et inspection ordonnées par le ministre de l’agriculture
La vidéo de l’association L214 a fait réagir les plus hautes autorités. Ce mercredi, quelques heures après la mise en ligne de cette vidéo, le ministre de l’agriculture a demandé à la Préfète de l’Aveyron la suspension immédiate de l’agrément de la chaine ovine de l’abattoir de Rodez et une inspection complète programmée pour ce mercredi 24 juin.
Dans un communiqué, le ministère de l’agriculture indique avoir pris cette décision après avoir visionné les images qui montrent des pratiques inacceptables avec des manquements graves aux règles de protection animale dans les conditions de mise à mort des agneaux.
Des pratiques condamnées par la filière Roquefort
Dans un communiqué paru ce mercredi, la Confédération Générale des Producteurs de Lait de Brebis et des Industriels de Roquefort, demande à ce qu’aucun amalgame ne soit fait entre la filière laitière Roquefort et les pratiques dénoncées par L214.
La Confédération insiste sur son exigence du bien-être animal durant tout le processus d’élevage. « La filière Roquefort a, de longue date, inscrit dans son cahier des charges de l’Appellation d’Origine Protégée, le fait de garder les agneaux Lacaune sous la mère jusqu’à l’âge d’être ruminants. Le bien-être animal est au cœur du cahier des charges de la filière Roquefort au travers de multiples critères comme le pâturage, la place en bergerie, l’autonomie alimentaire" peut-on lire.
L’élevage des agneaux (appelé nourrissage) issus du bassin laitier, constitue une filière à part entière, indépendante. Si L214 met au jour des pratiques inacceptables, la filière Roquefort saura, le cas échéant, prendre position
Jérôme Faramond, Président de la Confédération Générale et producteur de lait, s’interroge sur les attaques dont la filière est l’objet au travers de la vidéo de L214. « Dire que faisons naître des agneaux pour produire du lait, c’est enfoncer des portes ouvertes. C’est ainsi depuis que le monde est monde. Que peut-on nous reprocher ? Les producteurs de lait de Roquefort sont des exploitations familiales qui ont à cœur le bien-être de leurs brebis. Il n’y a pas d’élevage industriel. Nous sommes très en colère »
S’agissant du devenir des agneaux, Jérôme Faramond affirme que la Confédération ne se désengage pas mais qu’elle ne veut pas non plus condamner la filière viande.
S’il s’avère qu’il y a maltraitance, nous condamnons bien évidemment ces pratiques mais nous, nous sommes producteurs et nous ne pouvons pas réglementer ce qui se passe dans une filière totalement indépendante de la nôtre
La Confédération assure faire confiance aux services de l’État pour, en cas de maltraitance avérée, prendre les décisions qui s’imposeront.
Nous n’avons rien à nous reprocher
Dans sa vidéo, L214 met en accusation la Sarl Grimal, qui produit 120.000 agneaux par an, l’accusant de conditions d’élevage indignes avec des animaux qui ne voient jamais le jour et qui souffrent de difficultés respiratoires ou de malformation.
Interrogé sur ces accusations, Raymond Grimal, qui gère l’élevage avec son fils, hausse la voix. « On n’a rien à se reprocher. On est même montré en exemple. On a 200 fournisseurs qui nous font confiance depuis des années. Ce n’est pas un hasard »
Pour prouver ses dires, il se propose même d’ouvrir l’élevage, situé à Rullac-Saint-Cirq, à qui voudrait voir dans quelles conditions il travaille.
Le gérant de la Sarl Grimal qui dit avoir investi 1 million d’euro pour le bien-être animal affirme être aujourd’hui à l’avant-garde et ne pas être inquiet d’autant que les images tournées par L214 ne reflètent pas la réalité selon Raymond Grimal.
Ils sont venus de nuit et ont effrayé les agneaux. Apeurés, ils se sont alors agglutinés les uns sur les autres. Pour faire des images choc, ils ont filmé l’infirmerie, l’enclos où sont gardés les animaux malades, c’est-à-dire une minorité sur les 3000 agneaux présents
La FDSEA et les Jeunes Agriculteurs appellent à un respect strict des règles
Dans un communiqué commun, les deux syndicats agricoles prennent acte de la décision de fermer la ligne d’abattage ovine de l’abattoir ruthénois Arcadie. Cette décision, estiment la FDSEA et les JA Aveyron, doit permettre de faire rapidement la lumière sur toute l’affaire, sans impacter l’élevage aveyronnais pour qui l’abattoir est un outil économique indispensable.
Pour autant, les organisations syndicales appellent au respect strict des règles sur le plan sanitaire et de bien-être animal, un sujet qui préoccupe quotidiennement les éleveurs, qui agissent pour le bien de leur troupeau.
« Les éleveurs, précise le communiqué, respectent évidemment un cahier des charges dans lequel il y a des règles sur le bien-être animal. Ils ont également conscience des attentes sociétales et ne cessent d’améliorer leurs pratiques pour y répondre. Cela se traduit par une évolution du métier où l’on tend à ajouter du confort pour les animaux d’élevage »
La FDSEA et les JA condamnent les dérives sur la méthode d’abattage filmée par L214 mais souligne que les membres de l’association entrent illégalement dans les élevages avec un objectif clair : y mettre fin. La Sarl Grimal est un cas à part dans le paysage aveyronnais selon Laurent Saint-Affre, Président de la FDSEA Aveyron. "C’est un site d’engraissage de taille inhabituelle pour le département mais il existe et il faut faire avec" dit-il. Lui n’est jamais allé chez Grimal et il refuse de se prononcer sur les images qui y auraient été tournées par L214.
De son côté, Romain Déléris, Président des JA Aveyron, assure que les élevages sont soumis à des contrôles réguliers et que si des manquements avaient été signalés, ils auraient fait l’objet de poursuites de la part des services sanitaires. Il dénonce les méthodes utilisées par l’association L214 qui consistent affirme-t-il à se focaliser sur les animaux malades.
Un agneau avec une patte tordue comme on en voit un sur les images n’est pas le signe de mauvaises conditions d’élevage mais tout simplement une infirmité de naissance, comme il peut en exister chez les humains. Mais c’est la méthode L214 de montrer des images susceptibles de choquer
Si vous tournez pendant 10 heures dans un abattoir, vous observerez peut-être une ou deux dérives sur ce laps de temps. L214 a l’habitude de mettre en ligne des vidéos séquencées qui ne montrent que ces moments-là, laissant imaginer que la pratique filmée est permanente
Pour les syndicats agricoles, l’urgence est de tout mettre en œuvre pour que l’abattoir de Rodez puisse redémarrer avec l’assurance de la mise en œuvre d’un protocole assurant le bien-être des animaux. Ils insistent sur la nécessité de conserver des abattoirs à échelle locale, seule condition pour pouvoir en maîtriser la gestion.
Arcadie sud-ouest aux abonnés absents
Accusé de graves infractions au moment de la mise à mort des agneaux par l’association L214, l’abattoir de Rodez, une entité du groupe Arcadie Sud-ouest n’a pas réagi. Nous avons, à de nombreuses reprises, tenté de joindre ses dirigeants. Ils étaient nous a-t-on répondu en réunion. Nous étions donc invités à contacter le service communication de l’entreprise. Malgré de nombreux messages vocaux et l’envoi de SMS sur le portable de la responsable du service, elle ne nous a jamais rappelés.