Ce que révèle le procès des attentats de Catalogne sur le jihadisme en France, selon le sociologue Jérôme Ferret

Il y a neuf ans, Mohammed Merah entamait son parcours meurtrier. Le procès des attentats ayant frappé la Catalogne en 2017 s'est lui terminé. Le sociologue de Toulouse Jérôme Ferret a suivi les débats et a comparé ce jihadisme "catalan" avec celui à l’œuvre en France. Entretien.

Le 17 février 2021, le procès des attentats jihadistes ayant frappé la Catalogne s'est refermé. Le sociologue de l'université Toulouse 1 Capitole, Jérôme Ferret, a suivi les débats, retransmis en direct sur internet par la justice espagnole. Les trois mois d'audience ont porté sur le rôle joué par trois hommes dans le déroulement d'un double attentat ayant fait en 2017 16 morts en Catalogne (nord-est de l’Espagne).

 Depuis 2016, le chercheur toulousain travaille à un projet financé par l’Agence nationale de recherche (SOV-ANR) visant à comparer des zones géographiques sur la question de la sortie de la violence. Ayant beaucoup travaillé sur le pays Basque (ETA) et les questions de séparatisme, "la question identitaire et territoriale, pas celle débattue actuellement en France dont le sens est dévoyé" souligne-t-il, le procès des attentats de 2017 en Catalogne est une occasion inespérée : celle de comparer cette forme de jihadisme "catalane" avec celle à l’œuvre en France depuis Merah, en 2012, afin d'essayer de trouver un certain nombre de points communs et d’explications d'un phénomène touchant l'Europe depuis près de 20 ans.

France 3 Occitanie : quels enseignements tirez-vous de ces trois mois de procès ?

Jérôme Ferret : paradoxalement, au-delà du contexte, ce que je constate c'est qu'il n’y a pas eu d’hystérie collective dans le débat espagnol. C’est un procès qui n'a pas attiré l’attention des médias. Il y a eu plutôt une indifférence. En comparaison avec la France, la place de l'islam, de l'islam politique, n'était pas au centre des débats. Pourtant, l'Espagne a déjà été frappée par le terrorisme jihadiste avec les attentats meurtriers de Madrid en mars 2004. On peut aussi évoquer la question de la présence arabe et musulmane durant sept siècles en Espagne.

L'attention s’est portée sur une autre question. Une question lestée et portée par le débat entre Madrid et Barcelone : quel a été le rôle des services secrets espagnols dans cette affaire ? L’Imam de Ripoll était un informateur des services secrets de l’Etat espagnol. Le projet de 2017 a-t-il été fomenté, favorisé par Madrid pour que la Catalogne soit mise en difficulté ? C’est donc plus la thématique nationaliste qui a été au cœur des débats et qui n’a d'ailleurs pas eu de réponse.

France 3 Occitanie : quels sont les mécanismes et les raisons qui ont poussé les auteurs des attentats de Ripoll et de Barcelone à passer à l’acte ?

Jérôme Ferret : Ceux qui étaient jugés n’étaient pas des acteurs centraux. Ils étaient jugés pour complicité à des niveaux différents. Tout l’intérêt de ce procès a été de déterminer si cette complicité était intellectuelle ou simplement logistique, comme d’ailleurs lors du procès d’Abdhelkader Merah (frère de Mohamed). Il est très difficile, et c’est très important sociologiquement, d'établir des relations de causalité dans le passage à l’acte. Le procès a eu ainsi le plus grand mal à révéler le processus de radicalisation. Driss Oukabir, le plus impliqué, a toujours nié sa complicité.

France 3 Occitanie : le contexte de la ville de Ripoll où ont grandi la plupart des protagonistes de ces attentats peut-il apporter des explication ? 

Jérôme Ferret : leurs traces numériques ont permis de savoir qu'ils avaient beaucoup consulté des sites de manutention, de construction de bombes, de produits explosifs mais que parallèlement ils avaient une forte propension à regarder et à étudier une période bien particulière de l’histoire de l’Espagne : la Reconquista. C’est le symbole de la construction d’un imaginaire à partir d’une histoire totalement reconstruite.

Il y aussi eu le concept du Nafara, c’est-à-dire le concept de fraternité, qui est apparu lors de ce procès. Il circulait entre les membres de la cellule de Ripoll et représente un mot important dans l'imaginaire jihadiste. C'est l'idée de force entre frères. Le concept d’autodéfense contre une société qui vous agresse à la fois symboliquement et matériellement. C’est-à-dire une énorme haine vis-à-vis de la société d’accueil.

France 3 Occitanie : des liens avec la France ont-ils été évoqués au cours de ce procès ?

Jérôme Ferret : cela a été abordé. C’est une piste de recherche importante. Un coup de téléphone a été évoqué entre Driss Oukabir et des individus habitants dans le Tarn pour qu’ils viennent à Ripoll. L’hypothèse qui ressort c’est que Driss Oukabir avait des relations de deal en France. Mais nous en sommes restés là. Sur une fin de non-recevoir des services français. Pour l’instant on reste dans un angle mort. De quel soutien logistique ont-ils pu bénéficier en France ? On est dans le silence entre services du renseignement. Les Espagnols ne comprennent pas. C’est une logique entre services. L’enquête entre les mains des services français.

France 3 Occitanie : y-a-t-il dans cette affaire des points communs avec Mohammed Merah ?

Jérôme Ferret : c’est difficile à établir. Dans la fratrie catalane, il y en a trois qui étaient particulièrement motivés. L’un d’eux s’appelle Younès Abouyaaqoub. On peut l'imaginer comme une figure assez comparable à celle de Mohammed Merah. C’est-à-dire quelqu’un de seul, de déterminé et prêt à aller jusqu’au bout, en prenant des risques. Après, il y a de grosses différences : Ripoll n’est pas un ghetto, ni une zone urbaine défavorisée. Ce n'étaient pas des gens inscrits dans la délinquance dure. C’est ce qui nous interroge beaucoup sur ces modèles. Il n’y a pas de déterminisme urbain.

France 3 Occitanie : pour vous, il n'y a donc pas de démarche séparatiste, t'elle qu'on la présente actuellement en France ?

Jérôme Ferret : ce qui doit surprendre et interroger, c'est que Ripoll n’est pas un ghetto. Cette commune n'accueille aucune mosquée salafiste. Son imam est inséré. Il n'y a ici aucune logique séparatiste, en tout cas, dans la revendication et dans le projet des membres de la cellule de Ripoll. D'ailleurs chez les éducateurs, chez les enseignants, chez les voisins qui ont connus ces familles, qui ont connus ces jeunes avec qui ils jouaient au foot et parlaient catalan, cela a été un profond traumatisme. Ils avaient tous un boulot. Sauf Driss Oukabir qui a dealé et qui était dans un monde entre délinquance, oisiveté et consommation de drogue. Les autres étaient tous des travailleurs dans les entreprises du coin. Des entreprises métallurgiques, électroniques. Tous intégrés au sens statistique du terme. Il n’y avait aucun signe de destructuration sociale, sauf des violences intra-familiales mais aucune visée séparatiste.

Ripoll et sa mosquée étaient en dehors de la carte des mosquées les plus dangereuses établie par la police espagnole. Même des salafistes ne comprennent pas ce qu'il s’est passé. Cela montre que tout ceci est un phénomène autonome. Le jihadisme a des ressorts extrêmement endogènes. Cela a assez peu à voir avec des logiques de radicalisation religieuse.

France 3 Occitanie : pour vous cela démontre que nous ne sommes pas en face d'une radicalisation de l'islam ?

Jérôme Ferret : c’est un débat qui est réducteur, mono causal, absurde. Il faut regarder les choses dans leur contexte au moyen d’enquêtes extrêmement fines, anthropologiques qui vont faire apparaître des choses qui ne sont pas visibles à l’œil nu. La présence d’une mosquée, d’un lieu à la pratique rigoriste n’est en rien explicative, en tout cas dans ce cas précis, de passage à l’acte violent. Nous ne sommes pas dans de la radicalisation religieuse. Nous sommes dans un projet de violence politique.

C’est un énorme débat sociologique car on s’aperçoit que ces jeunes se sont radicalisés avant l’arrivée de l’Imam. En soit, où est la causalité ? C’est ça qu’il faut creuser. Ce sont des phénomènes exceptionnels, en rien structurels.

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