"La Cigale, le Corbeau et les Poulets", en salles mercredi 18 janvier, dresse sous forme de fable le portrait de retraités donquichottesques, soupçonnés à tort de "terrorisme" dans l'affaire du "corbeau de l'Hérault" qui avait menacé des personnalités dont Nicolas Sarkozy en 2009.
Produit par Les Mutins de Pangée, coopérative audiovisuelle qui défend un cinéma engagé, et réalisé par Olivier Azam, qui a collaboré au documentaire satirique "Merci Patron" de François Ruffin, "La Cigale, le Corbeau et les Poulets" mêle images d'archives et savoureux témoignages.
Le réalisateur a filmé les protagonistes pendant six ans à Saint-Pons-de-Thomières (Hérault) pour cette comédie documentaire, dont le scénario improbable "a été écrit par l'élite de la police", ironise-t-il.
Olivier Azam s'éloigne assez vite du fait divers pour évoquer "l'opiniâtreté exceptionnelle" de ces farouches adeptes d'une "République sociale": pour eux, militer est un acte quotidien, vital et joyeux, l'arme la plus efficace restant la dérision.
Le documentaire part de l'irruption de dizaines de policiers, notamment des membres de l'antiterrorisme, dans la petite ville de quelque 2.000 habitants le 3 septembre 2009. Ce jour-là, des dizaines de perquisitions ont lieu dès l'aube chez des Saint-Ponais éberlués.
Principal suspect, Pierre Blondeau, ex-para devenu adepte d'un "communisme libertaire, rural et altermondialiste", est arrêté avec sa bande de copains militant à Attac, contre les éoliennes industrielles ou au Secours populaire, dans une vallée frappée par la pauvreté et le chômage.
Ils gravitent tous autour de son bureau de tabac/librairie régionaliste, baptisé "La Cigale" et orné de moult drapeaux rouges et portraits du Che.
Soupçonnés d'être la mystérieuse "cellule 34" qui adresse des balles de 9 mm et des élucubrations menaçantes à des responsables politiques, jusqu'au sommet de l'Etat, une dizaine d'entre eux seront gardés à vue à Montpellier, parfois plus de 60 heures: "ils ont raflé la maison de retraite!", s'écrie un autre interpellé en les voyant débarquer.
A l'issue de cette épreuve, ils ne seront pas même reconduits chez eux, dans le Haut Languedoc, à deux heures de route.
Le 20 septembre 2009, à Hérépian, autre petite localité de l'Hérault, un homme isolé avouera être le corbeau recherché.
'Emmerdeur local'
Et depuis "pas une excuse, pas une explication", s'est indigné Marcel Caron, principal de collège à la retraite et militant anti-éolien industriel, lors d'une projection du film à Saint-Pons-de-Thomières, dans un cinéma municipal bondé.
"Je me demande toujours comment, d'un emmerdeur local, je suis devenu un emmerdeur national", plaisante Pierre Blondeau, dont le couple n'a pas survécu à cette affaire.
Le réalisateur pointe de "graves dérives policières" et un "emballement médiatique" destructeur. Il fait un parallèle entre "les jeunes de l'épicerie de Tarnac" et les "vieux du bureau de tabac de Saint-Pons", qui célèbrent désormais chaque 3 septembre "la fête des poulets".
Olivier Azam décrit la bande de la Cigale comme "des empêcheurs de tourner en rond" qui dérangent.
Pierre Blondeau envoie depuis des années des lettres plutôt rugueuses à des élus, des gradés, des ministres. Mais n'en déplaise à ceux qui l'ont soupçonné d'être un oiseau de mauvais augure, il les signe toujours. Il est aussi le rédacteur en chef de "La Commune", "feuillet d'opinion du Piémont héraultais prolétarien", arborant fièrement faucille et marteau.
Au palmarès de cette poignée d'irréductibles, figure l'abandon en 2007 d'un projet local de "centre de stockage des déchets ultimes". Ou encore des alertes lancées aux autorités à propos de la cyperméthrine, un pesticide de traitement du bois destiné à l'export, qui menaçait les précieux coins à champignons des compères, les abeilles ou les sources.
"J'ai été frappé par la cohérence de leurs actions sur le long terme", souligne Olivier Azam. "Ce sont des lanceurs d'alerte".
"On les a longtemps regardés avec méfiance parce qu'on pensait qu'il n'y avait pas de fumée sans feu", avouait à l'AFP, après la projection, un quadragénaire de Saint-Pons. "Aujourd'hui on réalise qu'ils se battent avec bon sens pour le bien commun."