Rencontre avec l’un des pionniers français de l’architecture bioclimatique et de l’utilisation de la pierre massive. Ce Gardois d'adoption, adepte des matériaux naturels dès le début des années 1980, a construit de nombreux bâtiments en pierre massive qui résistent bien mieux que le béton à la chaleur : une architecture aujourd'hui saluée pour sa sobriété énergétique.
Gilles Perraudin est né en 1949 dans une famille paysanne originaire de l'Isère et s'est installé à Vauvert dans le Gard. Depuis les années 1980, cet architecte prône le retour à la pierre massive.
Engagé dans des productions architecturales environnementales, il a d'abord eu une approche très technologique, avant de réaliser un virage à 180 degrés, en empilant des blocs de pierre.
Quand j’ai commencé ma reconversion vers la pierre, il y a 30 ans, on m’a pris pour un fou, pour un passéiste. Mais par rapport à cette époque-là, on a fait d'énormes progrès.
Gilles Perraudin, architecte
25 ans de galère
Souhaitant atteindre des bilans carbones très bas en travaillant avec des matériaux naturels, peu transformés et facilement disponibles, il s'est lancé dans cette aventure, une philosophie professionnelle qui lui a valu 25 ans de galère.
"Dans ma carrière, j’ai connu des échecs retentissants que j’ai mal vécus, mais j’ai quand même réussi à construire beaucoup de bâtiments en pierre", affirme celui qui fut aussi professeur à l’école d’architecture de Montpellier pendant de nombreuses années, (de 1995 à 2013) époque où selon ses dires, il était le seul en France à enseigner l’architecture en pierre.
Comme de nos jours, ce sont surtout des urbanistes qui ont fait appel à ses services. Des grands ensembles avec des pierres massives ont vu le jour sous son égide, à Lyon, le palais de justice de Melun en 1994 ou encore une centaine de logements sociaux et individuels à Cornebarrieu, près de Toulouse en 2011.
L'Égyptien de Gallician
Gilles Perraudin a également construit plusieurs chais en pierre massive dans la région, à commencer par le sien. Ayant acheté des vignes à Gallician, l'un des villages de Vauvert dans le Gard, il a décidé de construire lui-même, par ses propres moyens, ce chai viticole comprendre la faisabilité économique d'un tel bâtiment, dans le milieu des années 90.
"Avec le climat méditerranéen, une cave exige une grande inertie pour éviter les variations thermiques qui peuvent être néfastes à la conservation du vin. Montée à sec, cette construction en pierre du Pont du Gard a duré un mois seulement, des fondations à la toiture".
En me voyant monter mes pierres, les habitants m'ont surnommé l’Égyptien, par dérision. Mais pour moi, c’était un compliment absolu !
Gilles Perraudin
Une fois le projet construit, Gilles Perraudin l’a présenté à des maîtrises d’ouvrage. D'autres commandes architecturales du même type, réalisées près de Pézenas dans l'Hérault et au monastère de Solan dans le Gard, ont suivi, ainsi qu'un centre de formation des apprentis à Nîmes-Marguerittes.
La pierre massive, un bouclier contre la chaleur
Pour cet architecte atypique, la pierre massive ne présente quasi que des avantages : "Outre leur grand pouvoir d'inertie face à la chaleur, elles sont réutilisables à l’infini, et non pas recyclables, ce qui suppose une dépense énergétique. Une fois assemblées dans une construction, elles ne demandent qu'un faible entretien, d'autant que cela ne pourrit pas."
Mais sa plus grande vertu, selon Gilles Perraudin,"c'est sa sobriété en termes de carbone : une maison en pierre est beaucoup moins énergivore qu’une construction moderne."
S’il reconnaît qu'en hiver ses propriétaires doivent dépenser un peu plus pour se chauffer; en revanche "le confort thermique en été est optimal", ça coûte beaucoup moins cher en carbone pour la construction, idem pour la maintenance du bâtiment. Il faut que les architectes apprennent à penser le bâtiment pour le rafraîchir de manière naturelle avec des courants d’air et des pièces traversantes. Quand le bâtiment est bien construit, grâce à sa grande résistance au chaud, on n'a pas besoin de clim"
L'usage de la pierre massive favorise aussi la sobriété architecturale: "Avec la pierre, on ne peut pas se lancer dans des constructions déstructurées, spectaculaires, destinées à épater la galerie qui sont en général très compliquée à réaliser."
Son point négatif : son poids. "Si on achemine les pierres en camion, c’est un inconvénient car cela pèse très lourd, mais si on le fait par bateau ou par train, là, le bilan carbone est très bas. Le poids, en fait, c’est une vertu car plus c'est lourd, plus c'est stable et mieux cela résiste au tremblement de terre par exemple".
Un marché en pente douce
Pour le moment, le marché de la maison individuelle en pierre massive reste confidentiel, car selon Gilles Perraudin, il faudra des années pour vaincre les habitudes et retourner l'organisation de la filière du BTP, dirigée vers le tout béton.
Il demeure néanmoins optimiste pour l'avenir : "Il y a une telle opposition à la construction avec des matériaux en pierre que même si on représente un à 2 % du marché, c’est déjà formidable. Certes, cela reste largement sous-développé par rapport aux avantages qu'offre une maison à forte inertie vis-à-vis de la chaleur, mais cela avance, c'est un démarrage" conclut-il.