Le 31 décembre 2023, la station Météo France du Mont Aigoual (Gard) sera totalement automatisée. Les météorologues du dernier centre habité de France devront plier bagages. De quoi alarmer les prévisionnistes sur la qualité des futures données météorologiques.
C'est un avant-poste situé dans le Sud de la France, face au changement climatique. Depuis 1894, le Mont Aigoual accueille l'une des plus anciennes stations météorologiques de France. Au fil du temps, les équipes de Météo France s'y succèdent. "Le Mont Aigoual, c’est un emplacement géographique très stratégique, explique José Chevalier, porte-parole du syndicat Solidaires Météo-France et prévisionniste à Rennes. Il offre une vision très affûtée sur les phénomènes réguliers qui se passent dans le sud, comme les épisodes cévenols. C’est une sorte de vigie météo de cette région de la France."
Cette longue histoire a permis d'obtenir l'une des séries de relevés climatologiques les plus importantes au monde. Mais cette époque est bientôt révolue. Les trois derniers techniciens météo pensionnaires du site, dont le site Reporterre rapporte l'histoire, quitteront les lieux d'ici le 31 décembre 2023, date à laquelle la station sera totalement automatisée.
De nouvelles technologies qui ne suffisent pas
Une très mauvaise nouvelle pour José Chevalier : "avec cette automatisation, nous allons connaître une perte d'informations qui sera préjudiciable à la qualité de nos prévisions. Cela ne fait aucun doute. Nous ne refusons pas les nouvelles technologies, bien au contraire, mais elles ne suffisent pas."
Les machines ne permettent pas encore de tout décrire. Par exemple, les radars sont très performants pour avoir l'arrivée d'une zone de précipitation, mais sont dans l’impossibilité de décrire avec précision la nature de ces précipitations. "Est-ce que c’est de la bruine ? De la pluie discontinue ? De la neige ? C’est bien souvent difficile à dire et on se retrouve dans des situations où informer ou assister nos interlocuteurs, comme les conseils départementaux, s'avère très compliqué, explique José Chevalier. Il m'est déjà arrivé d'affirmer que la neige arriverait à 13 heures et d'avoir des observateurs pour me contredire en disant "mais elle est déjà là". Le manque de remontées est le maillon faible de notre système d’alerte."
Les choix économiques de Météo-France
Au cours des 20 dernières années, Météo-France a fait le choix des prévisions numériques, confiées à des outils d’observations automatisés. "Pour des raisons économiques" selon Maximilien Suarez, porte-parole Solidaires Météo-France et prévisionniste à Toulouse, et ce au détriment de l'observation humaine. C’est très compliqué de mesurer une hauteur de neige. Rien ne vaut un humain qui sort dans son jardin et qui dit qu’il y avait 15 centimètres de neige."
Pourtant, Météo France a décidé de remplacer ses 2300 observateurs bénévoles, chargés de collecter des données de température et de précipitations, par des stations de mesure automatisées. "Ce réseau d’observateurs bénévoles très dense représentait plusieurs dizaines de points par département. Cela n’était pas de l’information instantanée, mais ils nous fournissaient chaque mois un relevé des températures, des précipitations et un compte-rendu précis du temps au quotidien. Cette série climatologique va s’arrêter. On va perdre des dizaines d’années de données à un moment où le dérèglement climatique rendait ces relevés plus indispensables encore."
Selon Maximilien Suarez "Météo-France a connu 30% de perte de ses effectifs en 15 ans. On constate des dysfonctionnements dans nos outils, plus d’une centaine de postes sont toujours non pourvus. La situation devient assez difficile."
L'opposition du conseil départemental de Lozère
Le passage au "tout automatique" du Mont Aigoual est pour les deux prévisionnistes un très mauvais signe :" Nous sommes en droit de se poser la question de savoir quand Météo France se donnera les moyens pour répondre correctement à sa mission : communiquer, informer la population sur la science météorologique. Surtout après un été où la population a enfin compris les enjeux du réchauffement climatique."
La perspective ne convient pas à Robert Aigoin, vice-président du conseil départemental de Lozère, client de Météo-France : "Nous avions déjà alerté du problème lorsque Nicolas Hulot était ministre de l'Écologie pour éviter toute fermeture du site. La présence humaine est très importante et sécurisante, notamment pour notre réseau routier départemental. Aujourd’hui, si une machine tombe en panne, un technicien météo est immédiatement là pour la réparer. Lorsqu'ils ne seront plus sur le Mont Aigoual et que la route sera coupée par la neige, comment ferons-nous ?"
L'élu local ne se satisfait pas de cette perspective : "Nous avons encore une année pour pouvoir préparer la riposte et éviter cette automatisation." Les prévisions annoncent donc d'ores et déjà un avis de tempête sur le Mont Aigoual au cours des prochains mois.