A travers l’arrivée dans le Gers d’une famille de paysans, les Ricci, chassée de Vénétie par les fascistes, l’auteur toulousain Alain Monnier raconte l’itinéraire chaotique de ceux qui sont aujourd’hui « nos compatriotes, nos voisins, nos parents, nos amis ».
C’était le temps où des agents de la France, du Consulat, représentant l’Association des agriculteurs du Gers venaient recruter en Italie. Ils promettaient des métairies pour des gens « rudes au travail (…) avec de la bonne terre, souple et riche, et des conditions pour bien vivre ». Quant au rapprochement familial alors, il est une évidence. Mais encore faut-il avoir envie de partir… « Ici, au moins, on sait ce que l’on a » assène Amelia, l’une des héroïnes de cette saga.
Mais pourquoi le Gers cherche-t-il autant de paysans ? 20% des siens ont péri dans les tranchées et là-bas, dit-on, les exploitants n’ont qu’un enfant. Il hérite de toute la propriété qui, ainsi, ne sera pas démembrée. Une terre gersoise qui serait aussi quatre fois moins chère que celle de Vénétie ou du Frioul. Mais encore faut-il avoir envie de partir de cette Italie, chérie, malgré tout. La montée du fascisme se chargera d’en convaincre plus d’un.
La tentation Mussolini
Lorenzo, lui, ne partira pas, enrôlé volontaire par les « squadristes » de Mussolini bercé par l’hymne de la Giovinezza. Il a « les rêves coloniaux d’une jeunesse à l’étroit », même s’il a grandi avec une cuillère d’argent dans la bouche et que son comte de père lui recommande de ne pas franchir la frontière du déshonneur et de l’ignominie.
C’est lui qui entraînera le départ des Ricci, endeuillés par l’assassinat d’un des leurs, Angelo, le mari d’Amelia, par les fascistes. Sandro a un quart d’heure pour décider ou pas de signer un contrat qui le liera à propriétaire terrien de Lamazère, près de Miramont d’Astarac. Face à lui, un employé « à l’air de pauvre » qui donne confiance. « Un pauvre ne volerait pas un pauvre » se dit-il.
Nous partirons au train de Conegliano le jeudi 22 juin à 14h12. Il parait que nous serons quatre-cents, entre vingt et tente familles, toutes de Vénétie, et toutes en route pour le Gers ou le Lot-et-Garonne. Le monsieur m’a dit que le Gers était mieux que le Lot-et-Garonne, plus vallonné, plus beau, plus comme chez nous…
À leur arrivée, le choc sera rude. Leur ferme des Peyros est laissée à l’abandon, comme les terres alentours. Avant d’en jouir pleinement, ils devront rembourser le propriétaire. À peine rattrapent-ils ce qui n’a pas été fait depuis la fin de la guerre qu’une autre éclate. Les Ricci, une fois encore seront pris entre deux feux, celui des sbires de Mussolini et celui des Français qui les considèrent désormais du côté des ennemis.
Cultiver l'espoir
Mais la vie est plus forte que tout, y compris (surtout ?) pour les migrants. Gina, la première Ricci née en France, voit le jour. Les enfants vont grandir, des amours vont faire battre les cœurs y compris celui d’Amelia. Des trahisons succéderont à d’autres trahisons. La famille paiera encore un lourd tribut à la guerre et au fascisme qu’il faudra terrasser quoi qu’il en coûte.
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« Le fascisme n’est pas une idéologie mais un miroir aux alouettes, une fable à laquelle les foules veulent croire. C’est compliqué de combattre le fascisme quand on n’a que des choses terre à terre à opposer aux promesses mirifiques ». Les paroles de Tommaso, militant de la Ligue italienne des droits de l’homme, lui aussi exilé dans le sud-ouest, résonnent plus que jamais.
« D’autres terres que les nôtres » d’Alain Monnier, Privat.