Le 20 mai est désigné par l'Organisation des Nations Unies "Journée mondiale des abeilles". L'occasion de se pencher sur l'infiniment petit et découvrir les travaux d'un chercheur Toulousain sur l'intelligence de ces insectes.
Selon l'ONU (l'Organisation des Nations Unies ), 90 % des plantes sauvages à fleurs du monde, 75 % des cultures vivrières et 35 % des terres agricoles à l’échelle de la planète sont dépendantes des insectes et autres espèces pollinisatrices, comme les chauves-souris et les colibris. C'est dire l'importance du rôle des abeilles dans la sauvegarde des écosystèmes et l'importance de lui consacrer la journée du 20 mai à l'échelle mondiale. L'enjeu de sa protection s'inscrit également au centre des préoccupations en matière de sécurité alimentaire.
L'abeille domestique est une espèce emblématique, une espèce sentinelle très étudiée et pour laquelle on a le plus de données pour évaluer la dégradation de l'environnement. À travers cette Journée mondiale de l'abeille, il s'agit surtout de la journée de la biodiversité.
Mathieu Lihoreau - chercheur CNRS
Une équipe de scientifiques de l'Université Paul Sabatier de Toulouse se consacre à l'étude de l'intelligence de l'abeille domestique et du bourdon. Pour protéger les abeilles du déclin de leurs populations, il est essentiel d'étudier leur comportement et leurs facultés à s'adapter aux changements environnementaux.
Chercheur au Centre de recherches sur la cognition animale du Centre de biologie intégrative de Toulouse (CNRS), le Dr Mathieu Lihoreau publie "À quoi pensent les abeilles "( HumenSciences). Un ouvrage qui récapitule quinze années de réflexions sur une espèce qui se situe tout en bas de la chaîne alimentaire et pourtant majeure pour la pollinisation.
Pour l'éthologue, ce n'est pas un hasard si cet insecte fait l'objet de nombreuses études. On sait que l'abeille domestique, qui représente une espèce parmi les 20.000 espèces connues, est domestiquée depuis l'antiquité pour son miel. Aristote en fait référence dans les premiers textes et dresse le parallèle entre l'organisation de la ruche et la société des humains, explique Mathieu Lihoreau.
Ses travaux lui ont permis de décrypter différents aspects du comportement des abeilles et de construire une représentation de leur vie intérieure.
L'abeille n'a pourtant pas livré tous ses secrets, il est possible d'aller encore plus loin dans l'exploration de la butineuse, comme entrer dans son cerveau.
"Je résume 100 ans de recherches académiques sur le comportement et la cognition des insectes. On se rend compte aujourd'hui que leur capacités intellectuelles sont très élaborées malgré un cerveau ridiculement petit d'environ 1 millimètre cube. L'abeille domestique, espèce modèle pour la recherche scientifique, apprend à reconnaitre des odeurs, des formes, des textures. Elles savent transférer des informations de manière symbolique avec la danse de l'abeille par exemple. Quand une butineuse arrive dans la ruche, dans le noir elle danse et indique la position exacte d'une source de nourriture à l'extérieur de la ruche."
Est-ce qu'il faut comprendre l'abeille pour mieux la protéger ?
Pour protéger un organisme vivant il faut effectivement le connaitre, cela permet de comprendre les menaces et trouver des mesures concrètes à sa protection. Par exemple, il y 30-40 ans, des alertes ont été lancées en France comme en Amérique du nord lorsque les abeilles domestiques et aussi tous les insectes pollinisateurs ont vu leurs populations décliner de manière brutale. Les recherches fondamentales sur le comportement de ces abeilles ont permis de démontrer que les pesticides avaient un rôle extrêmement nocif sur les insectes utiles et ne faisaient pas le tri entre les ravageurs et les insectes bénéfiques. L'usage des neurotoxines avait un impact sur le cerveau des abeilles et plus largement, sur le fonctionnement des colonies toutes entières. "Sans tuer les abeilles, ça détruit certaines neurones, ça les empêche de réfléchir, de butiner", constate Mathieu Lihoreau.
Les abeilles ont des émotions et on se pose aujourd'hui la question des limites de l'intelligence de ces insectes. "Au niveau scientifique, on se rend compte qu'en quinze ans on a beaucoup avancé dans les connaissances".
Un test de QI pour les abeilles
"On est en train de développer un nouveau capteur de cognition", détaille le scientifique. C'est un test de QI (Quotient Intellectuel) automatisé pour les abeilles. Dans la nature près de la ruche, est disposé un labyrinthe dans lequel l'abeille va devoir résoudre un problème pour récupérer une récompense. Dans ce test, l'abeille est attirée à l'entrée du labyrinthe par un peu d'eau sucrée, elle est reconnue et marquée d'un dossard grâce à une caméra. Pour pouvoir obtenir plus de nectar, elle devra trouver le chemin identifié par une couleur qui la mènera soit vers le réservoir d'eau sucrée qui sera une récompense ou vers le réservoir d'eau salée, la punition. L'insecte aura droit à une deuxième chance et pourra prendre la décision de suivre la lumière qui la mènera à la récompense. L'abeille va apprendre à résoudre cette tâche de manière plus ou moins rapide en fonction de son exposition aux pesticides.
Le test va être réalisé sur tout le territoire d'Occitanie jusqu'au mois d'octobre, fin de la saison pour le butinage.
Établir le lien avec l'environnement direct
Avec ce système automatisé, il s'agit de recueillir un maximum de données et tester le QI d'un maximum d'abeilles dans le rucher. L'objectif est d'avoir une connaissance très fine de leurs capacités cognitives pour pouvoir caractériser la qualité de l'environnement. De nombreux facteurs agissent individuellement sur la capacité cognitive des abeilles comme les polluants de l'eau et de l'air, les métaux lourds, la variété de pollens disponibles, la qualité du nectar des fleurs alentour mais on ne sait pas comment ils interagissent entre eux.
Pour mieux comprendre le rôle des insectes pollinisateurs
Extrait du livre "À quoi pensent les abeilles " de Mathieu Lihoreau. (Edition
HumenSciences)
(...) Pour une abeille, butiner est donc une tâche de la vie quotidienne. À première vue, cela peut paraître très simple. À nos yeux et narines d’humains, les fleurs que les abeilles visitent sont très colorées et odorantes. On serait alors tenté de se dire qu’il suffit de se laisser guider par ses sens. Cependant, si l’on essaie de se mettre quelques secondes dans la tête d’une abeille (sa bulle de savon), le problème apparaît beaucoup plus complexe.
L’exercice requiert un peu d’imagination. D’une part, il vous faut voir le monde en très grand, à travers une paire d’yeux à facettes, le survoler en battant frénétiquement des ailes, le sentir par des antennes articulées, le goûter en utilisant les pattes et une trompe, et tout cela, à une vitesse de déplacement moyenne de 20 km/h. D’autre part, vous éprouveriez peut-être, comme moi, la peur de vous faire piquer par vous-même ! En revanche, vous comprendrez rapidement que se repérer dans l’espace et butiner dans ces conditions nécessite de résoudre un certain nombre d’opérations mentales.(...)