"Apologie de satan et églises en feu" : les complotistes s'enflamment contre un spectacle urbain jugé diabolique

"Satan" et "les forces du mal" célébrés par le prochain opéra urbain de La Machine à Toulouse (Haute-Garonne) ? C'est ce que dénoncent un prêtre et plusieurs internautes, voyant dans l'événement la figure obscure d'une imagerie diabolique. À l'heure où les repères traditionnels s'étiolent, les théories du complot autour du diable sont l'apanage des religieux et de l'extrême droite. Analyse.

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Deux cathédrales en feu, une créature mi-homme mi-animal, des squelettes et un minotaure aux yeux perçants : l'affiche annonce le deuxième opus de l'opéra urbain "La porte des ténèbres : le Gardien du temple". Le spectacle est orchestré par la compagnie La Machine, bien connue des habitants de Toulouse (Haute-Garonne), qui promet un spectacle en plein centre-ville, à la fin du mois d'octobre 2024. Le Minotaure, la Grande Araignée et la Gardienne des Ténèbres déambuleront dans les rues, comme cela s'est déjà produit en 2018.

Sur les réseaux, l'affiche de l'évènement est mal accueillie par plusieurs internautes. "Les satanistes ont pignon sur rue à Toulouse", peut-on lire sur X (anciennement Twitter). Une militante, affiliée au Parti Reconquête partage un article du site d'actualité d'extrême droite Boulevard Voltaire évoquant la "culture des ténèbres en France", représentée par cet opéra urbain toulousain ou encore par le festival de musique Hellfest, caractérisé de "sataniste et violent". 

La cérémonie des Jeux olympiques Paris 2024 a provoqué la même réaction. Certains interprétants la cavalière sur la Seine comme le signe de "l'apocalypse".

Un combat religieux 

L'idée d'une décadence vient surtout de la part des croyants. Sur son compte X, l'Abbé Simon d'Artigue, de la Cathédrale Saint-Etienne de Toulouse, dénonce également une "iconographie diabolique" de la part de l'opéra urbain. En parallèle, Marie Vindigni, créatrice de contenu, publie une vidéo YouTube dans laquelle elle "décrypte" cette imagerie diabolique de l'événement, dans son format avec "un point de vue Chrétien éclairé" afin d'alerter ses abonnés "sur les temps dans lesquels nous vivons"

Julien Giry, politologue et chercheurs à l'université de Tours, rappelle que "le monde artistique a toujours été une cible de la part des milieux traditionalistes. Il est considéré comme perverti, car sa création sort du cadre et dérangerait ainsi l'ordre établi et les valeurs traditionnelles". Selon le chercheur, l'idée que les élites et la société moderne s'en prennent aux chrétiens n'est pas nouvelle. Aux Etats-Unis, dans les années 60, les chansons des Beatles regorgeaient de messages masqués prétendument satanistes. Même son de cloche, quelques années plus tard, pour le célèbre "Starway to heaven" de Led Zeppelin, qui serait plutôt un escalier pour l'enfer, que pour le paradis.

 

Un instrument politique

En France aussi, les catholiques traditionalistes et rigoristes de la Fraternité Saint Pie X, menés par Monseigneur Lefèbvre, combattent dans les années 70 la diabolique modernité. À la même époque, la droite chrétienne évangélique a un grand pouvoir de l'autre côté de l'Atlantique. C'est finalement Qanon, mouvance américaine conspirationniste d'extrême droite, qui remet au goût du jour, ces dernières années, les théories pédo-satanistes. 

Car à côté des fervents croyants qui craignent le diable, "la droite radicale utilise ces théories comme symbole, explique Julien Giry. Ils incluent le discours complotiste à la mode dans un discours plus large, à des fins politiques, de manière opportuniste." Les réseaux sociaux sont les vecteurs principaux de ces actions. "X (anciennement Twitter) n'est pas une miniature du monde réel, souligne le politologue. Ses usagers savent parfaitement l'utiliser pour donner l’impression qu’ils sont nombreux à relayer le même sujet." Les médias mainstream mordent à l'hameçon et "font croire que ce qu'il se passe sur X a un réel impact". Les récupérations de la droite et de l'extrême droite sont d'autant plus relayées par des chaînes comme Cnews, propriété du milliardaire conservateur et réactionnaire Vincent Bolloré. 

Retrouver une identité 

L'idée que les "forces du mal dominent le monde" continue de s'insérer dans l'esprit d'une population encline à y trouver un repère. Les individus font en fait face à une "panique morale". "En sociologie, cela désigne le sentiment que tout ce en quoi l'on croit, est mis de côté, décrit Julien Giry. Que tous nos repères moraux, culturels, politiques et religieux sont en train de disparaître." 

Conséquence, pour le chercheur, des politiques néolibérales menée depuis les années 70. L'individu se retrouve seul face au marché et perd les cadres de pensée et de sociabilisation qui le structuraient. "L'isolement détruit les repères et les identités collectives", déclare le politologue, et le complotisme devient alors une forme de rationalisation, tout comme l'engagement religieux. Voir un message satanique dans l'affiche de l'opéra urbain toulousain serait une façon de voir une "vérité", qui ne serait pas celle de "la masse". 

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