Coronavirus : les comparutions immédiates au tribunal de Toulouse en période de confinement

Pour répondre aux mesures d'hygiène imposées par la crise sanitaire liée au Coronavirus, le palais de justice de Toulouse adapte ses modalités. Depuis deux semaines, les prévenus en comparution immédiate détenus dans des prisons, assistent à leur jugement par visio conférence.

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Début d'après-midi au palais de justice de Toulouse. Dans la salle d'audience numéro 5, au fond du couloir principal, le prévenu porte un masque chirurgical blanc. S'il est présent physiquement, c'est parce qu'il comparaît libre. Sa voix résonne dans la salle vide. Derrière lui, deux policiers. En face de lui, la procureur, protégée par une vitre en plexiglas. La greffière aussi. Comme lors des procédures habituelles, un juge préside l'affaire, accompagné de deux assesseurs. L'avocate du prévenu est présente aussi. Il est le seul à porter un masque, un choix personnel. 


Affaires classiques, plaidoiries adaptées


Ce jeudi 16 avril, les cas jugés à Toulouse sont habituels : trafics de stupéfiants, vol, violence et association de malfaiteurs. Aucune affaire en lien direct avec la crise liée au Coronavirus. A l'exception de ce masque chirurgical blanc sur la bouche de l'accusé, et les deux vitres en plexiglas, rien ne fait sentir que la période est particulière. Rien, jusqu'à la plaidoirie de l'avocate du prévenu. Son client est jugé pour détention de stupéfiants, refus de se soumettre aux analyses visant à déterminer s'il conduisait sous l'emprise de stupéfiants, et rébellion. Des infractions commises le 14 avril 2020, à Pins Justaret. Le procureur demande une peine de 8 mois d'emprisonnement dont 5 avec sursis, obligation de se soigner, et confiscation de son véhicule. L'avocate rétorque : 

Mon client gagne moins de 20 000 euros par an, sa femme ne travaille pas, ils ont quatre enfants. Je dis non au mandat de dépôt parce qu'il est plombier et pourrait continuer à exercer son activité professionnelle malgré le confinement.

Un sourire se dessine sur les lèvres de l'avocate, qui s'explique de cet aparté : "pardon, je souris parce que j'ai une fuite chez moi et je m'inquiète". Et de reprendre : "je demande de ne pas saisir son véhicule car il s'en sert pour son travail, il y a même laissé des outils". La situation économique est complexe en cette période de confinement. Les avocats plaident en fonction de ce contexte. Après dix minutes de délibérations, le président annonce finalement une peine de 6 mois de prison avec sursis accompagnée d'une obligation de soins. Le prévenu pourra récupérer son véhicule. Il repart libre, le nez et la bouche toujours enfermés dans son masque blanc. 


Demandes inédites

14h24. Un nouveau cas s'ouvre au palais de justice toulousain. L'accusé n'est pas physiquement présent, il n'apparait pas non plus sur un écran. Il se trouve actuellement en Seine Saint-Denis où il réside. Mais son avocate est là. Et sa demande est en lien direct avec le contexte actuel. Son client a déjà été jugé et emprisonné du 26 mai 2016 au 15 février 2018 pour "participation à association de malfaiteurs" et "vol aggravé". Placé sous contrôle judiciaire, il doit pointer tous les jours au commissariat de Montreuil. Asthmatique, il a peur de sortir et demande l'arrêt de cette procédure de pointage. L'avocate confie au juge une ordonnance médicale. Son client demande aussi l'annulation de son interdiction de quitter le territoire pour pouvoir retrouver sa famille, en Roumanie, son pays d'origine. "Je vous montre les certificats de scolarité de ses filles, si vous savez lire le roumain ...", impossible de trouver un interprète en ce moment, précise l'avocate. Ayant respecté strictement toutes ses sanctions pendant plusieurs années, et dans le contexte d'un confinement généralisé, le procureur ne s'oppose pas aux deux demandes formulées par l'avocate. Le juge accepte les volontés de cet homme de 39 ans.
  


Visio conférence avec la prison

A la fin de l'affaire précédente, une toile blanche au dessus des cheveux blancs frisés du président s'allume. Sur l'écran qu'elle forme, on aperçoit le retour de caméra : le président, le haut de son bureau et la moitié de la juge qui se trouve assise à droite. Une nouvelle affaire commence, il est 14h42. L'appel avec la prison de Seysses est lancé. L'autre caméra montre un homme assis, ses deux mains sont enlacées, et ses coudes posés sur la table en bois en face de lui. Il apparait sur la majorité de l'écran blanc, et sur un téléviseur fixé sur le mur du fond de la salle, au niveau du regard du juge. L'image montre un prévenu seul. Une fenêtre étroite au contour et barreau blanc, laisse entrevoir de temps à autre la tête d'un homme qui circule. Probablement un policier ou un surveillant. A Toulouse, les accusés qui sont en prison au moment de leur jugement n'y assistent plus physiquement. Ils écoutent et regardent ce qu'il se passe par caméras interposées. Des conditions que l'avocate de ce prévenu juge non optimales, écoutez-la en cliquant sur le fichier audio ci-dessous : 
  

Si on peut demander des délais sans incidence sur leur détention on le fait parce que ce système est moins bien que quand nos clients sont vraiment là. Quand ils sont là il y a un lien avec le juge qui se crée, qui n'existe plus à travers un écran. Le juge ne peut pas bien connaître la personne et pour bien juger quelqu'un, il faut bien le connaître, remarque l'avocate.

 
Pour maître Sarah Nabet-Claverie, "la numérisation est bonne à certains égards mais pour les audiences physiques, c'est impossible". Et d'ajouter : 

Les audiences sont plus rapides, expédiées, et parfois on fait face à des problèmes techniques. Parfois il (le prévenu, ndlr) n'entend rien, il n'entend même pas de quoi on l'accuse. Et nos plaidoiries, on a tendance à les faire en mouvement. Là, il faut se tenir au pupitre, en face du micro, pour être sûr qu'il nous entend.

Pour s'en assurer, au début de sa plaidoirie, l'avocate se retourne vers la caméra située au fond de la salle, tournant le dos à la cour : "Monsieur D. vous m'entendez ?". Tout au long de la prise de parole de son avocate le détenu penche la tête sur le côté, puis en avant, comme pour essayer d'écouter le mieux possible ce qu'elle dit. Il ne la voit pas, impossible de communiquer directement et seulement avec elle. Pour l'avocate, c'est un handicap : 

Ca nous empêche d'adapter nos conseils en fonction de l'audience. D'habitude on peut avoir des jeux de regards, des petits gestes ou mots pour calmer nos clients par exemple. Là, on est coincé derrière l'écran, ils n'ont ni le soutien physique ni visuel de leur avocat, la seule personne qu'ils voient c'est leur juge.

A la fin de cette audience, maître Sarah Nabet-Claverie demande au président qu'il lui accorde "d'adresser deux derniers mots" à son client : "Les parloirs rouvriront d'ici deux semaines", lui assure-t-elle en se tournant une nouvelle fois vers la caméra du fond de la salle. Il ne la voit toujours pas mais l'entend reprendre : "Je viendrai vous voir et préviendrai votre famille. Au revoir !"

 
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