Trois chercheurs de l'université Paul Sabatier à Toulouse (Haute-Garonne) se sont penchés sur la façon dont la presse nationale française a couvert la crise agricole de ces derniers mois. Ils constatent notamment que la FNSEA a accaparé la parole dans l'espace médiatique, au détriment de revendications et d'opinions plus larges.
"Les médias ont donné écho à ce qu'ils voyaient sur la réalité du terrain", pourtant, des aspects de la lutte semblent avoir été éclipsés. Jules Dilé-Toustou est docteur en sciences de l’information et de la communication. Avec deux autres chercheurs du Lerass (Laboratoire d'études et de recherche en sciences sociales) de l'université Paul Sabatier à Toulouse (Haute-Garonne), il publie un rapport sur la couverture médiatique du mouvement social des agriculteurs de ce début d'année 2024.
👨🌾 Trois scientifiques de l'université ont analysé la crise agricole par le prisme de la presse et des réseaux sociaux. Ils relèvent un paysage médiatique occupé par des voix dominantes, avec peu de diversité d'opinions
— UT3 Paul Sabatier (@UT3PaulSabatier) April 4, 2024
Les 3 points-clés du rapport ⬇️https://t.co/wOXK1d3aDj pic.twitter.com/A34ZBCRI8n
À partir de 2000 articles de presse quotidienne nationale et de plus de 7000 posts Facebook et Instagram, les chercheurs ont tenté de comprendre le rôle qu'ont joué les médias et les réseaux sociaux dans le mouvement de revendication des agriculteurs.
La parole aux dirigeants
Premier constat : le syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), est omniprésent. Incarné notamment par l'homme d'affaires et céréalier, Arnaud Rousseau, le syndicat se présente comme l’acteur principal du mouvement et des négociations. À partir des données collectées, le rapport met en avant le fait que le nom du président de la FNSEA, apparaît 329 fois, dans les principaux titres de presse nationale. Tandis que pour Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, on parle seulement de sept citations.
🗓️ Rdv politique #PLOAA | Arnaud Rousseau (@rousseautrocy), Président #FNSEA, sera auditionné demain, mercredi 10 avril, à partir de 15h par la Commission des Affaires économiques de l' @AssembleeNat, dans le cadre du cycle d’auditions préalables à l’examen du projet de loi… pic.twitter.com/hts3UKjzYj
— La FNSEA (@FNSEA) April 9, 2024
"On observe une déconnexion, une prise de distance entre les paysans sur le terrain et la direction du syndicat", analyse Jules Dilé-Toustou. Ce "dissensus entre la base et la tête du mouvement" a pour effet d'invisibiliser la voix d'une partie des agriculteurs, qui ne sont pas représentés par la FNSEA ou les Jeunes Agriculteurs. Surtout qu'il y a "un désaccord de revendications", souligne le chercheur. Si les principales revendications concernant la réduction des normes environnementales et la facilitation des démarches administratives sont les mêmes pour tous les agriculteurs, "les questions de libre-échange ou la remise en cause du système agro-industriel capitaliste restent marginales". On en parle sur les réseaux, mais pas dans la presse.
L'extrême droite surreprésentée
Autre constat : l'extrême droite est omniprésente dans le mouvement. "Il y a une surreprésentation du Rassemblement National", affirme Jules Dilé-Toustou. Pour cause, Jordan Bardella et ses pairs étaient les premiers sur le terrain, aux côtés des agriculteurs. Les personnalités d'extrême droite qui ont pris la parole sur le mouvement, dans les médias, sont plus nombreuses que celles appartenant à la majorité. Une "lutte politique, selon les chercheurs, qui s'inscrit pleinement dans l'optique des élections européennes".
💬 "Je milite pour le patriotisme économique et pour sortir de nos accords de libre-échange"
— BFMTV (@BFMTV) February 25, 2024
Jordan Bardella est au Salon de l'agriculture pour échanger avec les agriculteurs pic.twitter.com/3TLMINzcxi
D'autres points sont soulevés dans le rapport, comme la question de l'invisibilisation des agricultrices, dans la couverture médiatique de cette crise, ou encore la question de la santé des agriculteurs. Dans la presse, la parole est souvent donnée "à des scientifiques, plutôt qu'à des agriculteurs", ces derniers s'expriment alors plus sur les réseaux sociaux, partageant leur vécu.