FNSEA, Jeunes Agriculteurs, Confédération paysanne, Coordination rurale, les syndicats agricoles poursuivent leur mobilisation ce lundi 29 janvier 2024 pour défendre l'agriculture française confrontée à une crise sans précédent. Leurs revendications et leurs modes d'action sont très différents, y compris en Occitanie. Qui sont-ils ? Qui représentent-ils ?
Quand les agriculteurs en colère plantent leurs tracteurs au milieu de l'A64 à hauteur de Carbonne (Haute-Garonne) le jeudi 18 janvier 2024, les syndicats n'ont rien organisé. La contestation part de la base dans la région toulousaine sous l'impulsion d'un certain Jérôme Bayle, éleveur bovin du Lauragais, sans étiquette particulière.
L'électron libre : Jérôme Bayle
Confronté à la MHE (maladie hémorragique épizootique) qui touche de nombreuses bêtes dans le Sud-Ouest, l'agriculteur se dit en difficulté et excédé par le manque de soutien de l'Etat et la lourdeur des tâches administratives. Il devient un initiateur de la révolte des agriculteurs, une figure charismatique de leur souffrance.
Après une semaine de blocage, le premier ministre se rend le vendredi 26 janvier en Haute-Garonne et sur le barrage de l'A64. Gabriel Attal met sur la table une série de mesures. Il supprime la hausse de la taxe sur le gazole non routier (GNR), donne plus d'aides d'urgence aux éleveurs touchés par la MHE et lance un chantier de simplification administrative avec dix premières mesures par décret.
Ce jour-là, Jérôme Bayle décide la levée du barrage sur l'A64. «J’avais dit [à Attal], venez me rendre visite avec des mesures concrètes. Il est venu. Avec des mesures concrètes», a-t-il déclaré le soir même. L'électron libre lève le blocage. Il fait alors l'objet de vives critiques pour avoir arrêté sa lutte trop tôt.
Les syndicats prennent le relais
Car pour les puissants syndicats agricoles, le compte n'y est pas. Un temps dépassé par leur base, ils ont vite pris le relais de la contestation. Des barrages, comme celui de Carbonne, ont été mis en place sur plusieurs autoroutes de l'Occitanie et dans toute la France.
Ce lundi plusieurs grands axes sont encore bloqués, comme sur l'A64 à Montréjeau en Haute-Garonne, sur l'A62 entre Bordeaux et Toulouse, sur l'A20 au niveau de Montauban en autres. La colère du monde agricole se fait entendre dans tout le pays.
La plus emblématique de ces actions est actuellement en cours ce lundi 29 janvier autour de Paris. Elle est menée par la FNSEA et les JA qui souhaitent organiser le "siège de Paris". Une opération spectaculaire, une démonstration de force qui pourrait braquer les autorités.
La FNSEA : interlocutrice historique des pouvoirs publics
La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) est l’organisation majoritaire de la profession. Elle revendique plus de 212 000 adhérents et entraîne dans son sillage une multitude d’associations spécialisées par production.
Fondée en 1946, elle est l’interlocutrice historique des pouvoirs publics. Elle a accompagné le modèle agricole français vers la mécanisation, la hausse des rendements, l’ouverture des marchés internationaux et l’intégration à l’Europe et à la politique agricole commune (PAC).
Elle veut moins de normes environnementales
Pour le syndicat majoritaire, et pour les Jeunes agriculteurs (JA) dans son sillage, les mesures sont insuffisantes. Le premier syndicat agricole français demande moins de normes, dont notamment la suppression des zones de non-traitement aux produits phytosanitaires (ZNT) qui fixe des distances de sécurité près des habitations pour l'épandage de certains pesticides.
Il combat également la réduction de l'usage et de l'interdiction de certains pesticides. La FNSEA souhaite aussi que la France porte à Bruxelles une demande de suppression de l'obligation faite par la nouvelle politique agricole commune de mettre 4% des terres en jachère.
Des mesures de productivité qui concernent surtout les céréaliers et les producteurs de grandes cultures (betteraves, pommes de terre), mais aussi la viticulture et l'arboriculture.
Les éleveurs (FNB) luttent contre les accords de libre-échange
La FNB (fédération nationale bovine), branche élevage de la FNSEA, bataille, elle, de son côté contre les accords de libre-échange. Pour ces éleveurs, ces accords tuent leur profession et sont au cœur des enjeux, comme celui du Mercosur (entre l'Europe et l'Argentine-Brésil-Paraguay-Uruguay). Ils font entrer des tonnes de viande en Europe mais ne respectent pas les standards réglementaires imposés aux Français.
La Confédération paysanne : à l'opposé de la FNSEA
Pour la Confédération paysanne, tournée vers le respect des normes environnementales et plus protectrices pour notre santé, fait de la rémunération un des enjeux majeurs de cette mobilisation.
Avec un discours altermondialiste et agroécologiste, la Confédération paysanne est à rebours de la FNSEA. Elle promeut la lutte contre l’accaparement de l’eau et le rapprochement avec les mouvements écologistes comme les Soulèvements de la terre.
Elle compte souvent de petits éleveurs ou des agriculteurs plus tournés vers l'agriculture biologique et plus éloignée d'une agriculture productiviste.
Elle se bat contre l'industrie agroalimentaire
Dans cette crise, le syndicat est en attente de mesure structurelle pour que les agriculteurs vendent leur produit au prix le plus juste et qu'ils puissent vivre de leur activité.
Tous ceux qui pratiquent une agriculture biologique ont souvent perdu 30% de leurs revenus en un an.
La Confédération paysanne demande des prix minimums garantis, plus de régulation des marchés et de la maîtrise des volumes pour sécuriser leurs revenus. Il souhaite faire interdire l'achat de produits en dessous de leur coût de revient.
Un respect strict des lois Egalim, ce que souhaite aussi renforcer le Premier ministre.
Des actions dans les hypermarchés
La Confédération paysanne ne grossira donc pas les rangs des tracteurs aux portes de Paris, ni devant l'aéroport de Blagnac demain.
Elle mène un peu partout des actions sur le territoire plus en direction de la grande distribution et des supermarchés pour dénoncer la concurrence déloyale qui s'opère dans les rayons entre produits français et étrangers.
À Figeac dans le Lot samedi par exemple, les agriculteurs n'ont pas hésité à se mettre nu dans un magasin pour alerter sur leurs pertes de revenus et leur détresse.
La Coordination rurale : les bonnets jaunes
Autre syndicat très mobilisé et sans doute le plus virulent, la Coordination rurale. C'est eux qui montent du Lot et Garonne ce lundi pour aller bloquer le marché international de Rungis.
La Coordination rurale est particulièrement implantée dans la région d'Agen, le centre de gravité du mouvement de blocage des agriculteurs. Aux dernières élections des chambres d'agriculture, la Coordination rurale (CR) a triomphé dans le Lot-et-Garonne avec près de 60% des voix.
Les actions les plus marquantes, notamment le feu devant la préfecture d'Agen, c'est elle. Les bonnets jaunes aussi. Siglés CR, ils deviennent un symbole de la contestation à l'instar des gilets jaunes et des bonnets rouges.
La CR : des revendications libérales et souverainistes
Ce syndicat avance des revendications à la fois libérales et souverainistes. Aux origines, la Coordination rurale a vu le jour au début des années 1990, en réaction à la réforme de la politique agricole commune (PAC). Depuis 30 ans, le syndicat s'oppose à l'interventionnisme. "Comme l'un des piliers du mouvement d'aujourd'hui est la question des contraintes environnementales, et plus largement d'un 'carcan administratif', la Coordination rurale est dans son élément", analyse Édouard Lynch, historien du monde agricole.
En défendant aussi le modèle familial, la Coordination rurale se place comme une alternative à la FNSEA, accusée de favoriser une agriculture industrialisée.