Après les violentes émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel, des questions se posent sur la gestion de l'ordre par la police. Pour ceux qui étaient présents dans le quartier du Grand Mirail à Toulouse (Haute-Garonne) au début des années 2000, la police de proximité était particulièrement efficace. Ils expliquent pourquoi et plaident pour son retour.
Elle revient comme un serpent de mer après les émeutes particulièrement violentes des derniers jours à Toulouse (Haute-Garonne) : la police de proximité. Délaissée depuis une vingtaine d'années, serait-elle utile à apaiser les vives tensions dans certains quartiers de Toulouse ? Pour les acteurs qui l'ont mise en place, cotoyé ou étudié, elle a constitué un vrai lien entre police et population.
"Un respect contagieux et mutuel"
Instaurée par l'ancien boss de la direction départemental de sécurité publique de Haute-Garonne Jean-Pierre Havrin, la police de proximité a été abandonnée en 2003. Le ministre de l'Intérieur de l'époque Nicolas Sarkozy la critiquait, en arguant notamment "qu'organiser un match de rugby pour les jeunes du quartier, c'est bien, mais ce n'est pas la mission première de la police" lors d'un déplacement à Toulouse.
Rachid Temmar se souvient parfaitement de cet épisode. Pour cet éducateur de Cap jeunes 31 au Grand Mirail, "c'est un basculement" car "la politique qui a suivi a choqué les jeunes". Pourtant, sur le terrain, la police de proximité était un gage de sécurité selon Jean-Pierre Havrin.
"Il y avait un respect contagieux, mutuel. C'était toujours les mêmes policiers aux mêmes endroits, qui connaissaient la population et le quartier. La relation était paisible" se souvient-il, presque nostalgique. Rachid Temmar a lui aussi le souvenir d'une police préventive plus que réprésive : "la police de proximité, c'était le top".
"Des jeunes s'en sont sortis grâce à la police de proximité"
"Ces policiers étaient sensibles, ils apprenaient à aimer le quartier. Cela instaurait une énorme confiance chez les habitants, qui pouvaient discuter de leurs problèmes. Il y avait un dialogue, et on essayait de trouver des solutions. Certains jeunes s'en sont sortis grâce à cela", poursuit-il. Cependant, cela ne signifiait pas que les officiers étaient naïfs et permissifs. "S'il fallait arrêter des voyous, ils le faisaient", assure Rachid Temmar.
L'ancien policier et l'éducateur regrettent la dégradation progressive des relations entre la police et les quartiers. "Aujourd'hui, c'est tout le contraire, c'est l'enfer. Ce dialogue, je ne l'ai pas entendu depuis des années", affirme Rachid Temmar. "On éteint le feu, mais on ne s'occupe pas des causes de l'incendie. Quelque chose ne va pas : il faut étudier la façon d'empêcher que cela se déclenche", analyse quant à lui Jean-Pierre Havrin.
Politiquement, "un sujet brûlant"
Jérôme Ferret est sociologue et a justement travaillé sur la police de proximité, comme par exemple à travers cet article publié sur le site The Conversation.
Comme les deux interlocuteurs présents sur le terrain, il dénonce sa disparition. Et va même plus loin en remettant en cause la position de la police nationale dans le pays, notamment "la façon dont elle envisage son métier". Pour lui, cette police se renferme dans une "étatisation" face à une police municipale "sans pouvoir judiciaire".
Même si Jérôme Ferret met dans la balance "un lien éfrité à cause des évènements qui ont durci le contexte comme les attentats, les Gilets Jaunes et les manifestations", une remise en question doit s'opérer selon lui "pour éviter des violences supplémentaires qui ne sont plus tenables ni acceptables".
La dimension politique est intimement liée à ce contexte tendu. "La police n’est pas au service du pouvoir mais de la population" estime Jean-Pierre Havrin. "C'est une question majeure, un sujet brûlant pour les politiques" ajoute celui qui s'est également occupé de la sécurité à la mairie de Toulouse. Pour Jérôme Ferret, "ce n'est pas possible de poser le problème tel qu'il est" notamment à cause d'une "polarisation hors-sol" qui perturbe le débat.
Réinstaurer la police de proximité ? "Difficile mais possible"
Aujourd'hui, tous plaident pour un retour de la police de proximité afin de renouer un dialogue actuellement inexistant. "C'est long, difficile mais c'est possible. Il faut une nouvelle philosophie avec des recrutements et de la formation" pense Jean-Pierre Havrin. L'éducateur de Cap jeunes 31 Rachid Temmar pousse aussi pour "revenir en arrière" et "rediscuter ensemble".
"C'est une police qui s'adapte à son territoire avec des objectifs et des moyens spécifiques. Elle ramène du calme et une discussion collégiale" martèle quant à lui Jérôme Ferret.
Le gouvernement n'a pas émis l'éventualité d'un retour de la police de proximité après les évènements violents récents. L'IGPN et l'IGGN ont été saisies de dix enquêtes à propos des agissements des forces de l'ordre suite aux émeutes.