Tirera-t-on les leçons de la crise sanitaire du coronavirus ? Le tarnais Thomas Brail, arboriste grimpeur, lance un appel pour inventer un modèle de société plus solidaire. Simon Popy, de France Nature Environnement souhaite aussi une évolution vers un modèle plus protecteur de la biodiversité.
La crise du coronavirus a eu un impact positif sur l’environnement. La qualité de l’air s’est améliorée, la pollution a diminué, des espèces se sont réappropriées des espaces et de nouveaux modes de consommation ont émergé. Quant sera t-il après la crise et le redémarrage économique ? Nous avons voulu croiser les points de vue de Thomas Brail, le grimpeur arboriste tarnais qui lance un appel à 23 associations écologistes et citoyennes pour porter la cause environnementale au coeur des préoccupations de demain et Simon Popy, le Président de France Nature Environnement pour l'ex Languedoc-Roussillon.
Les leçons du confinement
► Pensez-vous que cette pandémie va permettre de prendre conscience qu'il est important de préserver notre environnement?Thomas Brail
Cette crise arrive au bon moment. Il y a urgence à agir. Cette pandémie au regard d’autres grandes catastrophes environnementales qui nous attendent est dérisoire. Il faut sortir bien sûr de cette crise mais en tirer les bonnes conclusions, sinon quel avenir offrirons-nous à nos enfants ?
Thomas Brail du Groupe National de Surveillance des Arbres lance un appel à 23 associations environnementales et citoyennes :
Nous avons des modes de vie trop décadents et consommateurs. Si nous ne réalisons pas pendant le confinement qu’il faut changer nos modes de consommation, on va retomber dans les mêmes travers. Il faut se servir de ce que le covid 19 et le confinement nous ont appris : réduire notre empreinte carbone en développant le télétravail, en se concentrant sur des achats utiles ou en se tournant vers les circuits courts, par exemple.
Simon Popy
Nous continuons à nager dans nos contradictions, nos illusions et le déni. Nous voyons de la part du gouvernement quelques rectifications à la marge, mais pas de changement de cap. L’avenir de l’homme, c’est un peu l’histoire de la grenouille plongée dans l’eau bouillante. Elle saute mais si on la met dans l’eau froide et qu’on la fait chauffer progressivement dans la casserole, elle se laisse mourir. Le risque que court la société actuelle c’est un peu ça. Avec le coronavirus il y a eu un choc. Cette crise nous montre que nous sommes capables de réagir. Mais face aux prochaines crises environnementales et climatiques le risque est fort de retomber dans l’inertie et l’apathie.
Le risque d'une hécatombe chez les oiseaux
Simon PopyJ’ai également une crainte. Nous avons vu que les animaux ont repris des espaces pendant le confinement. Cela nous permet de voir d’ailleurs la pression exercée par les humains.
Il y a un certain nombre d’espèces en pleine reproduction qui se sont réinstallés dans des endroits d’habitude occupés par l’homme. Par exemple, dans les marais de Camargue les ibis falcinelles sont revenues en nombre. Que va-t-il se passer après le 11 mai ?Je suis inquiet des effets du déconfinement précoce qui arrive en plein printemps, le 11 mai. Il y a un risque que cela finisse en hécatombe, surtout chez les oiseaux.
Je suis très inquiet aussi pour ces grands rapaces qui sont allés nicher dans les falaises de notre région et qui vont redevenir des sites d’escalade. On a eu l’exemple il y a deux ans du record du monde de slackline sur le cirque de Navacelles. A 800 mètres il y avait un nid d’aigle royal avec un jeune qui avait encore quelques semaines à attendre avant son envol. C’était une période très sensible. Le jeune est mort quelques semaines après la manifestation.
La revanche du pangolin
► Les maladies infectieuses sont-elles favorisées par le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité ?Thomas Brail
Le virus a été apporté par les espèces sauvages comme le pangolin ou la chauve-souris. A moins qu’il ne se soit échappé d’un laboratoire chinois…Mais plus on va réduire leur habitat naturel, plus ils vont se rapprocher des humains. Avec le réchauffement climatique aussi, nous sommes seulement au début de crises majeures.
Par exemple, le permafrost, est en train de fondre, dans les zones polaires. Or cette couche glacière emprisonne en son sein des virus contre lesquels nous ne savons pas nous défendre. Comment les empêcher de remonter à la surface, si nous n’inversons pas la tendance ?
Simon Popy
Cette crise, c’est un peu la revanche du pangolin, une des espèces la plus braconnée au monde. Les perturbations humaines sur les écosystèmes créent les conditions d’apparition et de transfert à l’homme de ce genre de virus. La circulation des pathogènes est augmentée par le déménagement permanent du monde. Nous nous déplaçons énormément. Il y a des risques de voir apparaître de nouvelles épidémies de ce type.
Coronavirus : évolution de la situation sanitaire en Occitanie depuis le 22 mars 2020
Simon Popy
Ce qui m’inquiète beaucoup c’est la réaction humaine face au coronavirus. Nous allons chercher des boucs émissaires. Nous allons stigmatiser quelques espèces qui sont déjà très menacées. Il faut expliquer aux gens qu’il ne faut pas les persécuter sous prétexte qu’elles sont porteuses de virus alors qu’elles jouent un rôle essentiel dans l’écosystème. La chauve-souris par exemple est un anti-moustique redoutable. C’est un compagnon très utile pour l’agriculture.
Privilégier les circuits-courts
► Peut-on imaginer un autre modèle de société à l’avenir ?Thomas Brail
Les gouvernants se réveillent en disant « il faut aider nos producteurs français », mais cela fait longtemps qu’ils auraient dû le faire ! Il ne faudrait pas que nous recommencions à importer des fruits et légumes de l’autre bout de la planète et que nous retombions dans une agriculture irraisonnée.
Simon PopyLe confinement a favorisé les circuits-courts et les produits sains. Il faut un éveil des consciences pour que cela se poursuive. C’est une priorité absolue pour limiter notre impact carbone.
Je considère que cette crise a un côté bénéfique. On se rend compte que quand tout s’arrête ce n’est pas l’apocalypse. C’est une opportunité forte pour prendre conscience de l’inadéquation entre l’idéologie actuelle capitaliste et les crises environnementales auxquelles il faut s’attendre.
Nous attendons de nos politiques au niveau international que l’on stoppe les négociations sur les traités de libre échange.La question c’est : est-ce qu’on va saisir cette opportunité pour sortir de cette logique boulot-conso-dodo ?
La mondialisation ne va pas dans le sens de la résilience des territoires dont on a besoin pour faire face à ce genre de crise. Il faut arrêter d’arroser d’argent public les activités polluantes, comme les compagnies aériennes. Elles n'ont pas à recevoir de l'argent sans contreparties environnementales.
Nous devons aller vers une économie de sobriété. Il faut aller vers un système dont l’objectif ne soit plus l’augmentation du PIB, la compétition, mais la coopération, plus de sobriété et une diminution de nos empreintes écologiques. Je pense que la population réfléchit à ces questions. Mais le risque c’est que ces lobbys profitent de l’opportunité de la dépression qui va arriver pour justifier la mise de côté de l’environnement au nom du rétablissement de la croissance. Pour le business il n’y a pas de mauvaises opportunités, que ce soit une guerre ou un effondrement écologique, c’est pareil !
Le concept d'une seule santé
► Cette crise est-elle une mise en garde sur notre capacité à gérer les crises à venir ?Simon Popy
Le premier sujet d’alerte c’est la santé en lien avec l’environnement. Un environnement pollué favorise une fragilisation de la santé des gens et une fragilisation des immunités. Nous assistons à une explosion des maladies chroniques. Cette crise est une opportunité pour nous faire comprendre que la santé humaine, animale et celle des écosystèmes sont liées. C’est le concept de « one health » (une seule santé) comme l'explique le CNRS.
Il faut arriver à avoir une vision globale et un plus grand dialogue interdisciplinaire entre les sciences biomédicales, les sciences de l’écologie et de l’évolution.
Notre santé est liée à la santé de notre environnement. C’est fondamental !
"Le système actuel est vulnérable aux changements environnementaux"
► En intervenant massivement pour aider les entreprises, L’Etat prend la main dans le champ économique. N’est ce pas l’occasion d’amorcer une véritable transition écologique ?
Thomas Brail
On donne une réponse économique à tous les secteurs sans conditions alors qu’il faut retourner à des valeurs nobles et saines. Je ne suis pas dupe, je sais bien que notre système politique est un système capitaliste qui va plutôt aider des grands groupes plutôt qu’aider un producteur qui veut se convertir au bio.
Moi je suis en coopérative d’entreprises avec 300 salariés entrepreneurs, l’Ariac, basée à Clermont l’Hérault. Ce modèle là n’est pas bien répandu en France. C’est une façon pour tout le monde d’avoir du travail et d’être rémunéré à sa juste valeur. Ce modèle solidaire et juste fonctionne. Nous avons mis en place un fond mutuel. Si un entrepreneur est en difficulté il peut puiser dans ce fond. Il y a un vraie éthique humaine. Ce n’est pas la course au profit et à la spéculation.
Eduquer et relocaliser notre économie
► Quelles seront les priorités pour les années à venir ?
Thomas Brail
Si nous voulons que le monde aille mieux demain, la priorité c’est l’éducation. Les enseignants d’école primaire devraient se donner la possibilité d’offrir au moins 2 à 3h d’éducation à l’environnement par semaine aux enfants. Pour le moment c’est au bon vouloir de chaque instituteur. Comprendre le rôle d’une forêt, d’une rivière, connaître la biodiversité et l’impact de tous ces écosystèmes c’est peut-être plus important que de connaître les tables de multiplication.
Si nous voulons que le monde aille mieux demain, la priorité c’est l’éducation pour Thomas Brail
Simon Popy
Si on veut faire face à cette crise et à toutes celles qui nous attendent, il faut d’abord revoir notre système agricole. Cette crise nous montre que nous avons besoin d’une agriculture locale, diversifiée et il faut donc revoir la Politique Agricole Commune.
Simon Popy
Et puis il y a la question de l’énergie. On a un système aujourd’hui très dépendant des importations de matières premières, on peut avoir demain une crise énergétique qui conduise à un black-out. Il faut relocaliser nos énergies et développer les énergies renouvelables. Il faut dépenser ces milliards à ça. Plus près de chez nous, la région investit par exemple dans un agrandissement du port de Port-la-Nouvelle ! C’est du délire ! Ça va dans le sens du déménagement permanent du monde. Un geste fort serait de revoir la copie vers un agrandissement plus raisonnable.
Manifestation contre l'extension du port de Port-la-Nouvelle dans l'Aude en janvier 2020. Un investissement financé par la région à hauteur de 300 millions d'euros :
On est proche du point de bascule de notre société. On voit bien que ce sont les derniers soubresauts d’un monde à l’agonie selon Simon Popy
La Nature est résiliente, mais il y a quand même un point de non-retour. Quand une espèce disparaît, quand on détruit des habitats, des forêts vierges, qui ont mis des milliers d’années à se construire, c'est terminé. Pour le changement climatique j’ai peur que l’on ait déjà franchi ce point de non retour. On essaie en tant qu’association (France Nature Environnement) de limiter les dégâts et de sensibiliser, mais on est loin du compte !
Thomas Brail
Je n’ai pas le droit d’être pessimiste. Je suis père de famille. J’ai mis longtemps à me décider avant d’être père car je n’avais pas confiance en l’être humain. Moi je suis grimpeur arboriste. J’aime les arbres et j’éduque les citoyens aux arbres. Un jour mon enfant me demandera des comptes. Il voudra savoir pourquoi les arbres ont disparu. Je lui expliquerai que j’aurai fait ce que j’ai pu à mon échelle.